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Le mercato en Ligue 1 : le calme sans la tempête ?
Pour de nombreux clubs de football, le mercato estival est l’occasion de renforcer son effectif tout en réalisant des ventes juteuses. Mais en Ligue 1, cette réalité ne va concerner qu’une minorité des formations, notamment en raison d’une situation financière fragile causée par l’incertitude des droits TV. À quoi doit-on s’attendre ?

« On m’a fait part de l’état financier du club. Je ne pense pas qu’il y aura beaucoup d’investissement sur les joueurs la saison prochaine. Heureusement qu’il y a eu cette aventure (en Ligue des champions, NDLR), si elle n’avait pas eu lieu, je pense qu’on aurait mis la clé sous la porte. » Ces mots sont ceux d’Éric Roy, un poil affligé, juste avant l’ultime journée de Ligue 1 face à Nice mi-mai, où les Ty-Zefs se feront torpiller 6-0. Une déclaration pessimiste mais en phase avec la réalité du club breton, dont les rêves des supporters de continuer à figurer dans le haut du tableau du championnat se sont sérieusement dissipés.
Le SB29 n’est pas la seule entité française dans cette situation, loin de là. Si la France était le troisième pays le plus dépensier sur le marché des transferts derrière l’Angleterre (1,52 milliard) et l’Italie (747 millions) en 2024, cette année risque d’être bien moins animée (à moins que le PSG ne fasse encore des siennes…). La priorité pour les équipes tricolores de l’élite, embourbées par des années difficiles (Covid-19 et le crash de Mediapro) et la nouvelle incertitude liée aux droits TV, est d’alléger leur masse salariale. Histoire de sortir, tant bien que mal, la tête de l’eau ou de survivre, tout simplement.
De nombreux clubs en danger
Si sept ou huit clubs bénéficieront de l’apport des compétitions européennes, ce qui a par exemple permis aux Brestois d’empocher environ 50 millions d’euros à la suite de sa campagne héroïque, soit deux fois le budget d’Angers, le fossé continue de se creuser avec le reste de l’élite. « C’est un championnat qui est revenu 30 ans en arrière, uniquement pour les 11 clubs qui ne sont pas concernés par les compétitions européennes. Donc, c’est un championnat à 7 et à 11, à deux vitesses, avec des écarts très importants », constatait amèrement Bernard Serin, le président du FC Metz, fraîchement promu, face à la presse au moment de faire le bilan d’une saison qui a vu son club repartir pour un tour d’ascenseur.
Pour preuve, des équipes comme Le Havre vont devoir diviser par deux ou trois le salaire de certains éléments. « On joue dans un championnat mineur parce que la Ligue nous a amenés là. On n’a pas les moyens des clubs de D2 allemande, et encore moins de Championship. On est en dessous du Portugal, en dessous de la Slovénie », pestait Jean-Michel Roussier, président du HAC en mai dernier en conférence de presse, tandis que le président de la DNCG, Jean-Marc Mickeler, a concédé que tous les clubs qui n’étaient pas européens ou qui ne bénéficiaient pas d’un actionnaire solide étaient « en danger ».
Il y a des équipes de Ligue 1 qui s’interdisent de faire des transferts !
Dans ce contexte, les équipes doivent redoubler de créativité pour exister dans une fenêtre de mercato estivale pourtant cruciale. « En Ligue 1, ça va être un mercato très long, il va se faire en plusieurs étapes. Dans le sens où beaucoup d’équipes aimeraient sur le papier être au complet pour le début de la saison, mais compte tenu des difficultés actuelles, il faut se délester de certains joueurs et recruter avec très peu de moyens. Les clubs seront à l’affût des opportunités, pose Nicolas Dieuze, agent entre autres de Pierre Lees-Melou, Jean-Eudes Aholou et Julien Laporte. Il y aura toujours des fulgurances comme le Paris FC, qui travaille très bien, avec l’arrivée de Moses Simon. En revanche, si Nantes pouvait se permettre de mettre 10 millions d’euros sur Matthis Abline, aujourd’hui c’est bien plus compliqué. Il y a des équipes de Ligue 1 qui s’interdisent de faire des transferts ! »
De son côté, David Gluzman, spécialiste de l’économie du foot, craint la fuite des talents, à des prix dérisoires : « On va voir qu’il y a des joueurs qui vont partir rapidement à l’étranger, et sans faire monter les enchères. Surtout qu’il y a aussi des régulations strictes partout en Europe, donc moins d’acheteurs et des achats au bon prix. Selon moi, ce sera le mercato des directeurs sportifs. » Le constat du banquier à la Deutsche Pfandbriefbank ne s’arrête pas là : « Aujourd’hui, Le Havre est incapable de retenir financièrement un joueur comme Josué Casimir, parti libre à l’AJA, et se rabat sur Godson Kyeremeh, pas toujours titulaire à Caen, relégué en National. Ça démontre quelque chose. »
« Avec cette crise, le marché va revenir à la raison »
Si sur le papier, les projections sont plus qu’inquiétantes, cette période d’austérité ne fait pas que des perdants. Bien au contraire. « Cette situation va profiter aux jeunes ou à des joueurs dont le niveau se situe entre le haut du tableau de la Ligue 2 et la Ligue 1. Je prends l’exemple de Gabin Bernardeau à Nice, peut-être qu’il y a deux ans, les Aiglons ne tentent pas le coup, pointe Nicolas Dieuze, gérant de l’agence NEXST11. C’est un bon joueur, il a fait une belle saison en National (avec Le Mans, NDLR), mais à une époque très récente, Nice aurait sûrement fait un gros transfert pour remplir la case. Ils jouent sur une opportunité de marché, c’est intéressant. Avec cette crise, le marché va revenir à la raison. » Dans un championnat où la DNCG a demandé aux clubs de ne pas comptabiliser les droits télé dans leurs budgets prévisionnels pour la saison prochaine, le retour à des standards plus raisonnables et viables dans le temps doit être la clé.
Le recrutement malin, économique, va devenir la norme et le travail de fourmi d’un directeur sportif comme Grégory Lorenzi sera forcément imité. La concurrence promet d’être féroce, mais c’est aussi dans des moments difficiles que certaines idées peuvent émerger. Selon David Gluzman, pour qui les clubs français seraient plus inspirés de copier des entités dénicheuses de talents comme LASK (Autriche), La Gantoise ou Genk (Belgique) plutôt que de dépenser plusieurs millions sur Junya Ito, Mohamed Daramy ou Keito Nakamura comme a fait Reims, un modèle à l’anglaise pourrait être une solution pour ne plus naviguer à vue : « Il faut une régulation financière stricte, soit une combinaison entre déficits maximums autorisés et plafonnement des dépenses joueurs, ce qui peut être une manière de piloter et gérer raisonnablement son budget. » En attendant une révolution, à 53 jours de la reprise du championnat, la LFP n’a toujours pas commercialisé sa propre chaîne et le milliard des droits TV de la Ligue 1 rêvé par Vincent Labrune (et de nombreux présidents) n’est déjà plus qu’un lointain souvenir.
Découvrez les affiches de la première journée de Ligue 1Par Thomas Morlec
Propos de Nicolas Dieuze et David Gluzman recueillis par TM