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Le jour où Bournemouth a tapé Man United

De 1983 à 85, Manchester United a soulevé une paire de FA Cup. Mais entre ces deux succès, un fiasco : lors de leur entrée en lice lors de l’édition 83-84, les Red Devils tombent à Dean Court, dans l’antre de l’AFC Bournemouth, une équipe de D3 emmenée par un jeune coach - un certain Harry Redknapp.
Dean Court se prépare à accueillir ses héros. Il y a une semaine, l’AFC Bournemouth créait l’énorme sensation de la 15e journée de Premier League en s’imposant à Chelsea, chez le champion. Une victoire de prestige pour ce club du Sud du Royaume qui découvre cette saison la Premier League. Selon le jeune (38 ans), mais déjà illustre manager des Cherries Eddie Howe, c’est tout simplement « le plus grand résultat dans l’histoire du club » . Rien que ça. En prime, ce succès permet au promu de sortir de la zone rouge alors que, vu les résultats délicats du moment (0 victoire, 3 nuls et 6 défaites entre la fin septembre et le match à Stamford Bridge), le trajet retour vers le Championship s’annonçait aussi prompt que l’accession acquise haut la main l’année passée. Pas sûr que Bournemouth se maintienne à l’issue du championnat, mais ce samedi soir, les fans des Cherries ont droit à une affiche de gala : la réception de Manchester United. Qui rappelle forcément des souvenirs aux plus anciens d’entre eux.
Redknapp et mise au vert arrosée
Bien avant les trois montées fantastiques acquises en grande partie sous l’égide d’Eddie Howe (nommé en janvier 2009, le coach a fait un crochet par Burnley avant de revenir en octobre 2012, lorsque le club évoluait en League One), le modeste stade, planté entre la route principale vers Southampton et un parc du Nord-Est de la cité côtière, a vibré un après-midi d’hiver de 1984. Cette saison-là, un certain Harry Redknapp débarque sur le banc. L’homme qui ne ressemble pas encore à Snoopy entame là sa carrière d’entraîneur. Proches de ses troupes, Redknapp s’attire aisément les faveurs des joueurs. Mais les résultats ne suivent pas : englué au fond du classement, l’AFC Bournemouth va passer de longs mois à lutter pour sa survie dans ce qui s’apparentait alors à la troisième division du football anglais (avant de se maintenir, 17e). Alors, quand la Cup se présente au milieu du mois de novembre, pour Redknapp, l’occasion est toute trouvée de remotiver les siens.
Avant le premier tour face à Walsall, le groupe embarque sur un ferry pour une mise au vert : cap sur l’île de Jersey, au large de la Normandie. Quatre jours pour couper avec le quotidien du championnat, et surtout quatre soirées où la bière va couler à flots derrière les portes des pubs insulaires. Au lendemain de leur retour, les Cherries balayent leur adversaire des West Midlands, 4-0 at home. Vient alors le deuxième tour à Windsor and Eton, une équipe amateur. Bournemouth est le gros à abattre et obtient difficilement (0-0) un replay à domicile. Les Rouges abordent ce match avec une tout autre motivation : le tirage au sort est tombé, et le vainqueur de la confrontation accueillera Manchester United, tenant du titre. Cette fois-ci, les Cherries obtiennent une victoire tranquille, 2-0. Pour son entrée en lice, United devra donc voyager à l’autre bout du pays.
Prof’, Barça et course de chevaux
Si, habituellement, pas plus de 4 à 5 000 âmes viennent supporter leurs protégés, cette fois-ci, Dean Court est plein à craquer : les 14 782 tickets de l’enceinte ont tous trouvé preneur. « Je ne réalisais pas l’importance de la rencontre. C’est seulement le jour J que j’en ai saisi l’ampleur. Sur le trajet menant à Dean Court, les supporters étaient habillés aux couleurs du club et je me rappelle d’un ou deux fans d’un certain âge nous tapotant le dos à notre descente du bus. (…) C’est la première fois que j’ai ressenti autant de nervosité » , raconte avec nostalgie Ian Thompson, dans l’ouvrage bien nommé AFC Bournemouth Match of My Life. Un an plus tôt, l’homme était joueur amateur à Salisbury City, à une cinquantaine de kilomètres, tandis qu’il gagnait sa vie en étant professeur des écoles.
Repositionné au milieu de terrain, le buteur attitré (17 réalisations cette saison-là toutes compétitions confondues) d’Harry Redknapp n’a rien oublié de la causerie d’avant-match. « Il nous a dit que les joueurs de United avaient maté une course de chevaux à la télé juste avant le match et ne semblaient donc pas concernés par la rencontre. Peu importe que ça soit vrai ou pas, j’en sais rien, mais on avait envie d’y croire et on y a cru. » Bournemouth s’attend à être pris à la gorge par les Mancuniens, et pourtant. Si deux mois et demi plus tard, les hommes de Ron Atkinson se payeront le Barça en quarts de finale de la Coupe des coupes (2-0 pour les Catalans au Camp Nou, 3-0 pour les Red Devils au retour à Old Trafford), ce 7 janvier 1984 (8 janvier selon certaines archives de la FA), ils sont dans un jour sans.
Pizzas gratuites à vie et silence étrange
Dans les cages des locaux, Ian Leigh a un pari à tenir. Quelques jours avant le grand match, les joueurs ont dîné à La Lupa, un restaurant italien de la ville. Et le propriétaire s’est engagé à servir ses pizzas gratuitement à vie au gardien – qui a la réputation de ne pas être fâché avec la nourriture – si celui-ci réussissait un clean sheet. Motivé comme jamais, le dernier rempart n’a pas besoin de s’employer, les coéquipiers de Ray Wilkins et Bryan Robson sont à côté de leurs pompes et peinent à se créer des occasions. Bournemouth fait durer le suspense, à la pause, United est toujours tenu en échec. Peu avant l’heure de jeu, les joueurs de D3 se procurent un corner. À bout portant, le jeune Milton Graham (21 ans) devance le portier Gary Bailey et claque le cuir au fond des filets, 1-0. « Le temps d’un instant, il y a eu un silence étrange. Puis le stade s’est déchaîné ! » , remet Ian Thompson.
L’ancien prof’ ne le sait pas encore, mais le meilleur est à venir. Deux minutes plus tard, coup franc sur la ligne médiane. Le ballon atterrit dans la surface, Thompson se jette et envoie une demi-volée au-dessus de la tronche du gardien. Les bras en l’air, le buteur est vite enseveli par tous les joueurs qui se sont jetés sur lui. 2-0, le score ne bougera plus. « Ce soir-là, je crois que je suis resté sur le terrain à boire jusqu’à 20h30, avant de rentrer à la maison fêter ça avec ma femme, mes parents et mes beaux-parents » , glisse Thompson. À la fin du match, Harry Redknapp s’avance devant une légion de micros. Mains sur les hanches, veste Adidas au col ouvert, l’entraîneur savoure avec les supporters qui se sont joints à la fête sur le terrain en arrière-plan : « Ça doit être le plus beau jour de ma vie, et je suis sûr que c’est aussi le cas pour tous les joueurs. » Et qu’importe si l’aventure s’arrêtera net à Middlesbrough au quatrième tour, 2-0.
L’année suivante, Manchester United se rattrape en soulevant à nouveau la Cup… après avoir éliminé d’entrée Bournemouth à Old Trafford, 3-0. Crime de lèse-majesté, Ian Leigh n’obtiendra jamais ses pizzas à volonté. Bientôt, le nouveau proprio du restaurant s’appelle Harry Redknapp et il entend préserver la condition physique de son gardien. Radin. En 1987, après quatre saisons chez les Cherries, Ian Thompson voit, lui, sa carrière professionnelle brisée par une blessure au bassin. L’attaquant retourne à son quotidien de Salisbury. Au tableau, devant ses élèves.
Christian Eriksen veut quitter l’AngleterrePar Florian Lefèvre