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Le bilan tactique de l’Euro 2016 des Bleus

Par Markus Kaufmann
Le bilan tactique de l’Euro 2016 des Bleus

En un mois, les Bleus de Didier Deschamps ont plus appris sur eux-mêmes qu’en deux ans de matchs amicaux. Malgré le manque d’adversité jusqu’aux demi-finales, l’équipe de France quitte Clairefontaine avec quelques soupçons de solutions qui restaient des inconnues absolues en mai dernier. Tentons de découper le jeu des Bleus pour comprendre l’impact de cet Euro 2016 sur le futur de la sélection : la protection défensive, l’axe des champions Pogba-Griezmann, la mesure excessive de la méthode Deschamps, la pauvre animation des couloirs et enfin une réflexion sur le fond de la liste des 23 et ces remplaçants vaincus par le banc portugais.

Les chiffres des Bleus

3 comme la moyenne de dribbles réussis par match de Moussa Sissoko, qui fait du milieu détonateur le 5e meilleur dribbleur de toute l’Europe (derrière Hazard, Bale, Walker et la pépite Pjaca). – 53,9% comme la possession de balle moyenne des Bleus, 5e d’Europe et loin derrière l’Allemagne (63%), l’Espagne, l’Angleterre et la Suisse. Et c’est bien comme ça. – 21 comme le nombre de duels aériens gagnés par match par l’équipe de France, 3e d’Europe derrière l’Angleterre et la Croatie (et juste devant l’Islande et la Suède). En tête de liste, Giroud, Évra, Sagna et Koscielny ont fait régner les Bleus dans leur ciel. – 10,4 comme le nombre de fautes commises par match par les Bleus, seulement 22es dans cet exercice. La Belgique et l’Angleterre complètent le fond du classement de ceux qui ne mettent pas le pied. Intéressant de noter qu’une grande partie de leurs joueurs évoluent en Premier League. Intéressant de noter également qu’il s’agit probablement des deux faillites collectives les plus remarquables de la compétition.

Le jeu n’a jamais été au centre du projet. Dans l’ordre, Didier Deschamps avait la mission de sélectionner du sang neuf, former un groupe nouveau, construire une équipe, la rendre « attirante » et enfin l’emmener le plus loin possible. Depuis le début, il était écrit que la mission du sélectionneur allait être mesurée en kilomètres parcourus et en buts marqués plutôt qu’en passes réussies dans le camp adverse. Avec la victoire symbolique contre l’Islande, le festival de Payet, les miracles de Griezmann et l’arrivée en finale, la mission est largement accomplie aux yeux du grand public – celui qui compte pour la FFF. Mais la suite devrait être plus élaborée. Alors que les Bleus étaient un vaisseau en reconstruction, ils atteignent maintenant le stade du décollage imminent. Il faudra construire – et non pas inventer – une identité de jeu et développer un football à la française, sophistiqué et courageux. Et les Bleus ont les armes pour voler loin.

La protection défensive

L’efficacité défensive française n’a pas été systématisée : pas de possession de balle à outrance pour repousser l’adversaire, pas de couloirs doublés pour faire fuir les dribbleurs, pas de pressing intensif pour semer la terreur loin du camp bleu. On pourra seulement noter la volonté coriace de Deschamps de protéger son arrière-garde avec des « récupérateurs » (Kanté, Matuidi) et l’insistance de conserver un bloc relativement bas. Pour le reste, si les Bleus de l’Euro 2016 ont encaissé 5 buts en 7 matchs, cette solidité s’est fondée sur les qualités individuelles de son arrière-garde. La très belle compétition de Lloris, la sérénité à toute épreuve de Koscielny, un Umtiti prêt à dévorer le plus haut niveau, et enfin une paire de latéraux formés pour défendre un résultat plutôt que pour aller le chercher. Les absences de Varane, Sakho et Mathieu, ainsi que les buts encaissés en amical avaient fait craindre le pire. Mais il a suffi de quelques jours pour que Deschamps se forme un bouclier. Un handicap pour la phase offensive – la relance et l’animation des couloirs –, mais aussi une assurance pour une équipe qui se cherchait. Pour le futur, cela signifie deux choses. D’une, les centraux restent interchangeables : Umtiti avec Varane ? Varane avec Koscielny ? Zouma ? De deux, le changement générationnel des latéraux – a priori – imposera une nouvelle donne : qu’ils s’appellent Kurzawa, Digne ou Sidibé, les nouveaux latéraux bleus ne pourront montrer un tel niveau de conservatisme dans le football moderne (lire plus bas). Deschamps compensera-t-il par de nouveaux recours défensifs pour protéger sa surface ?

Une mesure excessive à toutes les lignes

C’est comme si les Bleus n’avaient jamais cessé de penser comme un numéro 6 à l’ancienne, infatigable sur le terrain et dans sa soif d’équilibre. Contre la Suisse, les Bleus ont préféré gérer un match nul à la maison plutôt que d’aller chercher des certitudes ou d’effacer des doutes. Lorsque Matuidi vient remplacer Griezmann à Lille, Deschamps affiche un visage grave, presque inquiet. Le fait est que cette inquiétude, qui pourrait n’être qu’une façade illusoire, s’est transférée à tous les échelons dans les choix du sélectionneur. Ne pouvant s’empêcher de craindre le pire, les Bleus n’ont presque jamais réussi à viser le meilleur. Trop frileux, alors ? On qualifiera l’approche d’ « excessivement mesurée » . D’une, les latéraux sélectionnés présentaient le profil le plus défensif de l’Euro : Évra et Sagna se situent au fond du classement des latéraux de l’Euro en matière de tir/match (43e et 44e), dribble tenté par match (44e et 45e) et passe clé par match (32e et 51e). En comparaison, Juanfran ressemble à un meneur de jeu.

De deux, les qualités créatives de Pogba ont été grossièrement sacrifiées au profit de l’organisation du bloc et de la récupération : n’est-ce pas un comble que le milieu de terrain le plus inventif soit celui qui ait récupéré le plus de ballons pendant la compétition ? De trois, la question de la relance du 4-3-3 a longtemps été évoquée : la construction initiale du jeu bleu a lourdement handicapé ses armes offensives. De quatre, les changements ont manqué d’audace et respecté une logique de poste pour poste : Giroud est toujours sorti pour Gignac, Payet a laissé sa place à Coman, Martial a pris celle de Sissoko. Face à l’Irlande, pourtant, c’est bien en faisant entrer Coman pour Kante que les Bleus avaient soulevé Lyon. Enfin, le symbole absolu de cette mesure excessive ou de cette recherche de contrôle permanent est l’omniprésent Blaise Matuidi. Toujours sur le terrain, toujours au milieu, toujours devant Pogba. Une garantie pour Didier Deschamps ? Probablement, oui. Une garantie dont il n’a pas osé se séparer, même lorsque la sortie du Parisien aurait pu alléger la possession française, comme en finale.

L’animation des couloirs

Excellents défenseurs, mais bien plus destructeurs que constructeurs, Évra et Sagna ont condamné leurs ailiers à l’indépendance offensive la plus totale. Dans ce secteur, Deschamps a compté sur cinq joueurs : Griezmann brièvement lorsqu’il commençait à droite, Payet à gauche de manière permanente, Coman dans un registre de joker accélérateur, Martial dans un registre similaire (il semble, on ne l’a pas assez vu) et enfin le dévastateur Sissoko. C’était prévisible, mais ces profils ont offert deux extrêmes : le meneur de jeu décalé qui ne cesse de rentrer vers l’intérieur, aide peu à la couverture de son couloir et a besoin de ballons pour développer son jeu avec continuité (Payet), et l’ailier « de race » qui joue des coups, accélère, déborde, déséquilibre et cherche ensuite à s’associer à la dynamique collective (Coman, mais aussi Sissoko). Du côté gauche de Payet, on s’attendait à voir un Matuidi plus conquérant, il faut le dire. Mais cela ne change rien au constat suivant : l’une des raisons majeures des difficultés des Bleus dans le jeu et dans la recherche d’automatismes offensifs est une conséquence directe d’une frilosité « choisie » . Une frilosité assumée par Deschamps qui nourrit aussi des espoirs futurs : le manque d’utilisation des couloirs donne aux prochains Bleus une marge de progression immense dans l’animation offensive en général.

Pogba et Griezmann, le cœur et la tête du projet

Quelle situation rêvée pour comprendre l’importance d’un contexte collectif dans le rendement individuel d’un joueur, même bourré de talent. En France et à l’étranger, il a semblé que certains exigeaient de Pogba des actions à la Zidane, des statistiques à la Platini et une activité à la Ribéry. Pas assez soliste, presque trop appliqué tactiquement, Pogba a plutôt ressemblé à un Vieira sans Makelele. Deux dimensions sont à prendre en compte ici : le positionnement dans le schéma, d’une part, et le rôle dans l’animation, d’autre part. Lorsqu’il a joué milieu intérieur gauche, le Français a dévoré les espaces, réduit la taille du terrain et joué avec la transversale adverse. Lorsqu’il a joué milieu droit défensif du 4-3-3, il a nourri le côté gauche de longs ballons et assuré la couverture. Lorsqu’il a joué – presque – seul devant la défense, il a soigné la relance bleue comme il pouvait et répondu aux consignes d’équilibre de Deschamps. Que pouvait-on demander de plus à la Pioche ? Dépasser ces consignes et cette obsession de la mesure pour prendre le jeu à son compte et adapter le schéma à son jeu pour le meilleur du collectif, c’est-à-dire une mission impossible à cet âge-là. Peu importe ce que l’histoire retiendra de l’Euro de Pogba, n’oublions jamais non plus le contexte médiatique malsain dans lequel ses – bonnes – prestations ont été – mal – reçues. Lors de l’été 1995, à 23 ans, Zizou le Bordelais jouait l’Intertoto contre Karlsruhe.

S’il y a un joueur qui est miraculeusement parvenu à faire épouser le jeu et le résultat, c’est Antoine Griezmann. Meilleur buteur et meilleur joueur du tournoi, Grizi a fait comprendre à tous que l’histoire des prochaines années des Bleus devrait passer par son pied gauche aux accents latins. Tueur lorsqu’il a dû se limiter à un rôle d’attaquant de soutien, tranchant lorsqu’il a dû faire vivre l’animation offensive bleue et enfin génial lorsqu’il a été mis au centre du projet, le numéro 7 a joué, fait jouer et marqué. Le Griezmann de l’Euro 2016 aura été un surplus d’intelligence et d’intensité qui n’aura cessé de servir à la fois la construction et la finition. Et à l’aube de la construction d’un nouveau projet, il semble impensable de ne pas faire l’effort de le mettre dans les meilleures conditions : lui donner une pointe puissante qui aime les espaces, d’une part, mais aussi des milieux rapides et habiles pour l’aider à faire vivre le jeu bleu.

Du fond de la liste et de la forme du banc

Et si Deschamps avait des regrets sur sa liste des 23 ? Après un mois de compétition et sept rencontres qui ont vu DD changer souvent de système face à des adversaires aux profils variés, il est intéressant de noter que seuls 15 joueurs ont joué plus de 90 minutes (sans compter Cabaye, arrêté à 91). Une rotation très serrée. Sans mentionner les gardiens, pas moins de six joueurs ont vu leur participation réduite à celle d’un rôle de figurant ou presque : les latéraux Jallet et Digne (0 min), Schneiderlin (0 min), Mangala (18 min), Martial (69 min) et Cabaye (91 min). Plutôt regrettable, dans le contexte d’une finale perdue en prolongation face au banc portugais. Deschamps avait-il vraiment besoin d’autant de remplaçants au profil défensif ? Car pendant ce temps-là, le sélectionneur s’est aussi privé de profils pouvant amener « autre chose » , que ce soit de l’aisance dans les petits périmètres au milieu (Koziello, Rabiot, Ben Arfa) ou alors une soif de grands espaces en attaque (Gameiro, Lacazette). Et puis, lorsque Martial explosera en pointe dans quelques années, voire quelques mois, on évoquera peut-être ses entrées en jeu sur le côté gauche comme l’on évoque aujourd’hui le Pirlo numéro 10 remplaçant de l’Inter. Comme un gâchis.

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