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Anne Akrich : « Kylian Mbappé, j’en ai fait une figure littéraire »
Anne Akrich a sorti en avril le livre Kylian, récit méta où le personnage est une écrivaine ratée qui se lance dans une biographie de Kylian Mbappé, avant de perdre pied... Un ouvrage qui n’est qu’à moitié fictionnel, et dans lequel la figure du Kyks plane sans jamais vraiment être le sujet principal. L’autrice nous explique son drôle de roman.

Le point de départ de ce livre, c’est qu’on a pensé à vous pour faire une biographie de Kylian Mbappé. Quel est votre rapport au football ?
Je n’y connais rien du tout. J’ai un fils qui est fan de football, un fan de Kylian. C’est ça, mon grand rapport avec le foot. Je regardais beaucoup, beaucoup de sport avec mon père, quand j’étais enfant. Je suis une spectatrice de sport, mais du dimanche.
Que connaissiez-vous de Kylian ?
Pas grand-chose, si ce n’est la figure publique et ce que mon fils m’en disait, puisque c’est vrai que son livre de chevet, c’était la BD de Kylian.
Pour subvenir à vos besoins, vous êtes devenue depuis plusieurs années ghostwriteuse. Peut-on dire que Mbappé est lui devenu un ghostplayer depuis le Mondial 2022 ?
(Rires.) Je ne trouve pas qu’il soit invisible ! Il a marqué un triplé hier contre le Barça (entretien réalisé lundi 12 mai, NDLR). Alors oui, le Real a encore perdu. Mais je ne le trouve pas nul. Je ne suis pas une spectatrice qui connaît le sport et les enjeux du sport. Pour moi, c’est une icône, c’est une figure. Et j’en ai fait une figure littéraire.

Dans ce livre, vous racontez une partie compliquée de votre vie (divorce, alcool, éducation d’un enfant), mais vous revenez toujours sur celle de Mbappé. Pourquoi ne pas avoir directement écrit un livre sur vous ?
Je voulais mettre en miroir la réussite spectaculaire de Mbappé et l’échec intergalactique de ce personnage. Ce n’est pas vraiment ma vie, ça reste un personnage, ça reste quand même de la fiction. Ce que je voulais, c’était travailler sur ce contraste-là entre la réussite et l’échec. Je parle de mes propres questions, de mes propres désordres, de mes propres chaos. Le livre est une divagation. Tous mes défauts, tous mes travers, je les exagère, je les tords, je les ridiculise pour faire fiction. Je voulais écrire un personnage de femme qui rate. On a l’habitude de lire des livres où les hommes mettent en scène, justement, leurs travers et leurs défauts. Mais ce n’est pas exactement ce qu’on attend des femmes, ni dans la fiction, ni dans la réalité. Pourquoi est-ce que les femmes sont encore attendues au tournant de la vertu ? Qu’est-ce qu’on attend d’une mère ? Quelle est la culpabilité qui entoure la vie des femmes ? Comment cette culpabilité-là s’articule avec la création et l’écriture ?
Ce ne sont pas les dessous de la vie de Kylian Mbappé́, c’est vraiment l’archétype de la réussite, l’archétype du champion, l’athlète ultime.
Dans votre livre, vous écrivez : « J’avais eu, sans l’aide de personne, cette idée saugrenue d’exercer ce métier stupide. » Quel est le plus stupide selon vous : écrire des livres ou courir après un ballon ?
Écrire des livres, c’est sûr. (Rires.) C’est vrai que je mets en scène la figure de l’écrivain et la condition de l’écrivain aujourd’hui, qui est une condition un peu compliquée. La littérature, c’est un domaine marginalisé. Il est de plus en plus difficile de vivre grâce à l’écriture. Donc c’est vrai que ça commence à devenir une activité un peu parallèle et marginale, alors que le foot, au moins, est capable à la fois de rassembler des gens, procurer de la joie, générer des milliards.
C’est votre éditeur qui vous a proposé d’écrire un livre sur Mbappé, séduit par votre talent pour retranscrire les émotions. Il vous explique néanmoins qu’il est impossible d’entrer en contact avec lui. Finalement, avez-vous réussi à parler au clan Mbappé ?
Christophe Bataille, l’un de mes éditeurs avec qui je travaille sur des projets de ghostwriting m’a dit : « Tu n’écris jamais d’aussi bons livres que quand tu découvres le sujet en l’écrivant. » Alors un jour, il m’a proposé d’écrire une biographie sur l’enfance de Mbappé, et notamment sur sa vie à Bondy, pour essayer de comprendre comment il était devenu un champion. D’emblée, je savais que je n’allais pas avoir accès à lui, donc ce n’était ni mon intention, ni mon souhait.
Vous avez passé un mois à Bondy. C’était comment ?
J’ai commencé à aller à Bondy, à traîner, j’avais toutes sortes de personnes que j’aurais dû rencontrer. Et puis finalement, je n’ai rencontré personne, parce que j’en étais incapable à ce moment-là, et donc j’ai commencé à zoner à Bondy. J’y suis allée seule, et j’y ai passé du temps à ne strictement rien faire, en tout cas pas ce que j’étais censée faire autour de Kylian.
J’aurais bien aimé les rencontrer, j’aimerais bien qu’ils sachent que le livre existe.
On sait qu’il protège énormément son image. Avez-vous eu des problèmes avec la publication de ce livre ?
Non, le livre est irréprochable d’un point de vue juridique. Il a été lu et relu par le service juridique de Gallimard. D’accord, il y a son prénom, c’est le titre, mais bon, c’est un prénom. Puis, il est utilisé comme une figure littéraire. Ce ne sont pas les dessous de la vie de Kylian Mbappé́, c’est vraiment l’archétype de la réussite, l’archétype du champion, l’athlète ultime. Dans le livre, il n’y a strictement rien qui relève du dévoilement d’un quelconque secret ou de sa vie privée. J’aurais bien aimé les rencontrer, j’aimerais bien qu’ils sachent que le livre existe, mais il n’y a absolument rien pour l’instant. Je ne peux même pas m’enorgueillir d’être embêtée par qui que ce soit de son clan.
Vous étiez tellement réfractaire à l’idée d’écrire ce livre que vous avez pensé à ChatGPT pour le faire à votre place. Voici une question de sa part pour vous : dans Kylian, vous explorez l’impact d’une figure publique sur la perception du sport et de l’identité personnelle. Quel aspect de la vie de Mbappé, au-delà de sa carrière, vous a le plus marquée ?
Ce qui m’a marquée, c’est tout ce qu’il fait, avec sa fondation, avec les jeunes. En gros, l’idée de redistribuer la chance qu’il a eue et le travail qu’il a accompli. Ça me plaît assez.
Vous avez écrit « Kylian était un dieu et j’allais, pour l’amour du Bien, du Beau, du Juste, me remettre au travail et consacrer les prochains mois de ma vie à sa perfection ». Vous avez vu comment il tire les coups francs ?
(Rires.) Vous ne réussirez pas à me faire dire du mal à Kylian. Vous pouvez essayer, mais je ne dirai rien. J’ai vu le match contre le Barça, et je vous dis que ce n’est pas assez mauvais. Je le trouve merveilleux de part en part.
Finalement, ce livre parle plus de vous que de Mbappé. Pourquoi l’avoir appelé Kylian et pas Anne ? Ou alors Kill Anne peut-être ?
Vous ne faites pas si bien dire. C’était un des titres de chapitre à un moment, Kill Anne. Mais c’est vrai qu’on a une belle rime entre nos deux prénoms.
Et si vous aviez une phrase à dire à Kylian, ce serait quoi ?
Je dirais à Kylian que ce qu’il a accompli est déjà merveilleux. Et que s’il peut en faire davantage, ce sera merveilleux. Je crois qu’il va faire une saison remarquable l’année prochaine. Et je pense qu’il sera Ballon d’or.
Propos recueillis par Victor Foenkinos