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Ulrik Saltnes : « Le secret de Bodø, c’est de mettre les bonnes personnes aux bons endroits »

Propos recueillis par Ulysse Llamas, à Bodø
12 minutes

Ulrik Saltnes n’a que 32 ans, mais est déjà le joueur le plus capé de l’histoire de Bodø/Glimt. De la deuxième division norvégienne à la Ligue des champions, il a tout connu, sauf la chaleur.

Ulrik Saltnes : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le secret de Bodø, c’est de mettre les bonnes personnes aux bons endroits<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Tu joues à Bodø/Glimt depuis le début de ta carrière. Grandir dans le nord de la Norvège, ce n’est pas trop ennuyant ? 

Je suis né à Brønnøysund, une toute petite ville sur la côte, entre Trondheim et Bodø. Quand j’étais petit, j’étais tout seul à jouer au foot. Avant d’arriver ici, j’avais joué dans pas mal de villes autour. J’ai été repéré en faisant quelques tournois pour Bodø/Glimt. J’essayais simplement de vivre du football. Je suis arrivé ici à 17 ans, et depuis je n’ai pas de plan, à part de jouer le prochain match. Ma femme aussi est d’ici, ma fin de carrière dépend d’elle. On aura bientôt un deuxième enfant, et Bodø, c’est un bel endroit pour grandir. C’est safe, ce n’est pas très grand, mais pas très petit non plus, comparé à Brønnøysund.

Comment est la vie à Bodø ? Ici, tout le monde se connaît, non ?

Avec 55 000 habitants, Bodø reste vingt fois plus grande que là où j’ai grandi, mais oui, on connaît un peu tout le monde. Ça a ses avantages : un gros sens de la communauté, un sentiment d’appartenance très fort. On se sent ensemble, on prend soin les uns les autres, on tire tous dans la même direction. Les inconvénients, on les connaît : il y a beaucoup de rumeurs, de gens qui parlent, et beaucoup qui restent ici et ne bougent pas trop. C’est dommage.

Le fait que la ville ne soit pas très grande aide les footballeurs à rester motivés sur le foot ?

Oui. Pour nous, c’est top. Pour les joueurs qui ont la réputation d’être des fêtards, il y a moins de distractions.

Que fais-tu quand tu ne joues pas au football ?

J’aime bien plaisanter en disant que mes deux métiers sont joueur de foot et père. Il n’y a rien entre les deux, ça prend toute ma vie. Être footballeur professionnel est un boulot très social, on rencontre beaucoup de gens, donc je ne suis pas très disposé pour avoir beaucoup de vie sociale en dehors. Je vais aussi un peu pêcher, comme tout le monde ici, mais ça prend du temps. C’est pas mal pour se relaxer et penser à autre chose. Et Bodø est un vrai paradis pour la pêche. J’aimerais aussi beaucoup jouer au golf, mais je n’ai pas le temps.

La confiance en soi change tout le temps, pas l’estime de soi.

Ulrik Saltnes

Qu’est-ce que tu connaissais de Bodø avant d’y arriver ?

Je savais que c’était un petit club de Norvège, mais très professionnel. Je ne le suivais pas particulièrement, mais je l’ai vu comme une belle opportunité. Beaucoup voient Bodø /Glimt comme un tremplin dans une carrière. Aujourd’hui, c’est un peu plus que ça. Le développement du club est incroyable.

C’est quoi le secret ?

Tu imagines que tu n’es pas le premier à poser la question. Je n’ai pas la réponse, mais je dis toujours un truc très simple : les gens. Les bonnes personnes aux bons endroits. Le président, l’entraîneur, les joueurs, le staff. Tous ces gens sont arrivés en même temps, donc il y a un gros concours de circonstances, mais également beaucoup d’opportunités à saisir et de chance. La chance est très sous-estimée, mais il y en a beaucoup dans le football. Beaucoup de choses arrivent au même moment, et hop. (Il claque des doigts.)

Quel genre ?

Par exemple l’arrivée de Kjetil (Knutsen, l’entraîneur, NDLR) s’est faite à un moment où le club avait été relégué en deuxième division (en 2017). Il avait aussi beaucoup de jeunes joueurs à sa disposition, qui ont eu leur chance de pouvoir jouer en professionnels à 16, 17 ans. Et aussi, on a commencé à travailler au même moment avec un coach mental, Bjørn Mannsverk. À cette époque, même en Norvège, c’était révolutionnaire. Ça nous a donné un avantage sur les autres. Toutes ces choses sont arrivées au même moment. Et ça, c’est de la chance. Enfin, je crois.

 

Qu’est-ce qui a entraîné l’arrivée de cet entraîneur mental ? 

Je ne sais pas exactement, mais j’étais là à ce moment. Je me posais beaucoup de questions sur le terrain, me sentais mal de jouer au foot. J’étais même en train de lutter contre moi-même. Quand tu travailles dur toute ta vie, que tu t’acharnes pour devenir un joueur professionnel et que les gens ne t’identifient plus que comme ça, c’est dur. Parce que quand tu ne progresses plus, tu deviens affecté. Dans ma tête, tout cela était mêlé. J’ai développé des symptômes physiques de stress, des trucs bizarres venaient sur mon corps.

On n’a pas gravi de montagne, on l’a fait marche après marche, donc ces choses nous paraissent banales.

Ulrik Saltnes

De quel genre ?

Jour après jour, semaine après semaine, je commençais à me sentir de moins en moins bien, et je me suis complètement effondré. Des médecins ont pensé que j’étais très malade, mais c’était lié au stress. Le club a commencé à travailler avec Bjørn à ce moment-là. Bjørn vient de l’armée. Il était pilote de ligne, donc il sait comment contrôler le stress. Ce n’était pas forcément lié à la confiance en moi, mais à l’estime de moi. J’ai appris la différence entre confiance en moi et estime de moi. La confiance en soi change tout le temps, elle dépend de ce dont tu es capable à un moment donné, ou des choses autour de toi. Pas l’estime de soi, qui dépend de toi-même, de la personne que tu es. Si tu sais de quoi tu es capable, si tu sais ce que tu peux faire, alors avoir confiance en soi ne compte pas beaucoup. Par exemple, je peux savoir si j’ai réalisé un bon entraînement, si j’ai bien joué. C’est intéressant.

Si le club reste stable et sain, surtout dans l’environnement du foot, c’est grâce à ça ?

La partie du travail mental du foot augmente beaucoup, on peut le voir avec le succès des équipes norvégiennes, même avec l’équipe nationale. Je pense que quand je prendrai ma retraite, l’entraînement mental sera peut-être aussi important que l’entraînement physique ou technique. Ce sera devenu une chose normale dans le foot.

Tu t’étais imaginé jouer la Ligue des champions ? 

En 2016, 2017, quand on a commencé à tracer notre voie et qu’on est remontés en Eliteserien (la première division norvégienne), on n’aurait jamais imaginé accomplir tout ça : remporter quatre fois le championnat, jouer à Manchester, à Rome, à Milan, à Londres… Mais chez ceux qui sont là depuis le début, aucun n’observe ça comme quelque chose de dingue. On n’a pas gravi de montagne, on l’a fait marche après marche, donc ces choses nous paraissent banales. Quand on joue des équipes en coupes d’Europe, on commence à un bas niveau, et on voit qu’on arrive d’abord à faire des matchs nuls. Puis à gagner, puis à les éliminer. Tout ça s’est fait petit à petit. Donc maintenant, voir qu’on va jouer la Ligue des champions, ça nous paraît très naturel.

Les gens en Norvège commencent à fatiguer. Ils nous voient peut-être comme Pogačar en vélo, ou comme des gens dopés économiquement.

Ulrik Saltnes

Qu’en pense le reste du pays ? 

Au début, les gens étaient sous le charme. Ils avaient l’habitude de voir Rosenborg dans les années 1990 (voir So Foot numéro 193), un peu Molde, et toutes ces autres grosses équipes nous battre, et on est arrivés. Ils étaient étonnés. « Oh tiens, ils sont mignons et petits ». En plus, on jouait bien, donc on a été très vite perçus comme une équipe cool. Mais là, on se met à gagner chaque année. Nos salaires sont plus élevés, donc on est moins mignons. Les gens commencent à fatiguer. Ils nous voient peut-être comme Pogačar en vélo, ou comme des gens dopés économiquement parce qu’on ne joue plus dans la même cour. Ils n’ont pas tort, mais je pense que le public norvégien apprécie de nous voir en Coupe d’Europe. Il aime nous voir jouer de cette manière et surtout que ça marche. Après, bien sûr que les supporters des autres clubs ne nous aiment pas. Et on le sait : personne ne fait du mal aux histoires de challengers. Tout le monde aime les histoires de petits qui battent les gros.

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Vous pensez que vous êtes encore les challengers ? 

En Europe, bien sûr. C’est pour ça que vous êtes là, et que beaucoup de touristes viennent nous voir. Mais quand on aura joué trois fois d’affilée la Ligue des champions, plus personne ne nous verra comme ça.

Vous avez des limites ?

Je pense qu’on évite de nous mettre des limites. Se mettre des limites, c’est pour avoir des chiffres, des objectifs, mais ça ne veut rien dire. On a arrêté de se fixer ce genre d’objectifs depuis quelques saisons déjà. Je pense que la limite, c’est d’aller le plus loin possible. Demain, on verra. Et peut-être qu’un jour on gagnera la Ligue des champions. C’est très joli de voir la vie comme ça, non ?

La ligue française est très individualiste. Je pense que quand tu viens de Norvège, c’est une des pires destinations.

Ulrik Saltnes

Tu n’as jamais eu envie de venir jouer en Ligue 1 ?

La ligue française est très individualiste. Personne ne travaille ensemble. Il y a un vestiaire avec des gens qui ne se parlent pas, qui ne s’écoutent pas et ne sont pas potes. Ça doit être dur pour nous. Je pense que quand tu viens de Norvège, c’est une des pires destinations. Il faut aller dans des pays plus collectifs, les Pays-Bas par exemple.

Le club a été créé en 1916, mais n’est connu en Europe que depuis cinq ans. Il y a une revanche historique à prendre ?

Beaucoup de nos supporters viennent du nord de la Norvège. Je pense que c’est un classique dans beaucoup de pays : des régions ne reçoivent pas beaucoup d’aides, n’ont pas de bonnes routes ou infrastructures, sont isolées et se sentent rejetées par rapport aux pouvoirs centraux. Bodø n’avait pas le droit de disputer des compétitions nationales jusqu’à 50 ans après sa création. Les équipes du nord de la Norvège jouaient un championnat entre elles. Aujourd’hui, on arrive à exceller là où on était interdits. C’est aussi bon pour notre identité, ça nous donne un peu plus de puissance. Si vous venez du nord de la Norvège, vous pouvez désormais vous promener avec plus de fierté. On n’en parle pas beaucoup entre coéquipiers, mais quand on croise des gens du sud, ils nous regardent de moins en moins de haut.

Sur le terrain, qu’apporte Kjetil Knutsen ?

Il souhaite avant tout avoir sa culture de jeu, penser par lui-même. Soit vous adhérez au projet, soit non. C’est basique, mais c’est comme ça. Avec Kjetil, il ne faut jamais dire qu’on ne peut pas le faire ou qu’on n’y arrivera pas. On essaye et on voit. Et si on n’est pas assez bon, ce n’est pas grave. Tout le monde doit essayer. Si on est assez bon, on va réussir, et sinon, on apprend.

Est-ce qu’il a des modèles ? L’Ajax, Brighton ?

Je pense qu’il s’inspire d’eux. Aussi de Jürgen Klopp. Mais il change tout le temps. La saison dernière, le foot européen a été beaucoup plus direct, beaucoup plus individuel, dans les duels d’homme à homme, et je pense que Kjetil s’en est inspiré. Notre foot a évolué : au début, on jouait beaucoup plus un jeu de position.

La Norvège est assez connue pour lisser les hiérarchies, il n’y a pas le coach au-dessus des joueurs, ou le président au-dessus. Dans le monde de l’entreprise, c’est aussi comme ça ici.

Ulrik Saltnes

Vous discutez de la manière dont vous souhaitez jouer avec l’entraîneur ?

Oui, on a des temps de parole, avec les joueurs, le staff. On parle beaucoup de foot et de la manière dont on doit évoluer en équipe. La Norvège est assez connue pour lisser les hiérarchies, il n’y a pas le coach au-dessus des joueurs, ou le président au-dessus. Dans le monde de l’entreprise, c’est aussi comme ça ici. Tout le monde est côte à côte, se parle comme à tout le monde. C’est très horizontal. Cette structure est la même dans le club. Si un gars de 16 ans arrive, il sera aussi important que moi. Il a autant de choses à dire que moi, et a autant de revendications que moi.

Tu as peur du départ de Kjetil Knutsen ?

Non. Je ne contrôle pas ça, donc c’est pour ça que je n’ai pas peur. Il y aura un grand trou, ça va laisser un grand vide, mais un vide permet toujours de faire autre chose. Je pense que le remplacer sera un grand défi pour le club. Après, on a beaucoup travaillé pour grandir : sur le nouveau stade, la culture du club. Tout cela pourrait nous aider à surmonter cette étape.

Penses-tu que l’évolution du club suit l’évolution de la ville et de la région ?

Au niveau touristique oui. La ville grandit, mais beaucoup de facteurs y contribuent : nous, le club de foot, le climat. L’Europe du Sud devient beaucoup trop chaude l’été !

Tu penses que vous êtes le futur ?

Non quand même pas. Penser ainsi est trop présomptueux. Mais je ne serai pas surpris si notre partie de l’Europe connaît un boom, notamment de sa population.

Tu as étudié l’économie ?

Oui, j’ai un diplôme en économie, un bachelor. Pas un master, malheureusement. J’avais commencé, mais j’étais déjà footballeur professionnel. Je reprendrai plus tard !

Vraiment ?

Non, j’ai peut-être abandonné l’idée de bosser dans la finance, mais on verra.

Tu n’as pas d’iPhone ?

Non, je déteste les produits Apple. Ils ne sortent rien de nouveau depuis 2007, mais on se sent tous obligés d’en acheter quand même. On est liés à eux, comme attachés. On doit acheter un iPad, un Mac, ensuite le chargeur, les écouteurs, les batteries… Ils créent des envies : la face ID, elle arrive mais elle n’est pas nécessaire, mais tous les autres téléphones en ont. Je ne veux pas être un mouton ! Bon, j’abuse, des produits sont bien : les iPad, ce sont les mieux, iMac, c’est pas mal, mais pas les Airpods, pas les iPhone.

Comment tu écoutes de la musique alors ? J’écoute plutôt des podcasts en réalité. En Norvège, on a un service public, un peu comme vous avez en France ou la BBC en Angleterre, qui s’appelle Norway Broadcast System (NRK). Ils produisent beaucoup de podcasts. En ce moment, j’écoute celui sur la princesse Diana, il est pas mal. Elle est décédée à Paris d’ailleurs, sans mettre sa ceinture.

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Propos recueillis par Ulysse Llamas, à Bodø

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