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Mélissa Plaza : « Il a fallu quitter le foot pour comprendre que je n’étais pas résumée à un physique »
En représentation au festival d’Avignon du 5 au 26 juillet pour son spectacle 140 BPM, l’ancienne footballeuse Mélissa Plaza revient sur la qualification des Bleues en quarts de l’Euro, mais surtout sur sa vie post-football et sa carrière de slameuse. Entretien.

Après ta carrière de footballeuse, tu as commencé à faire du slam, comment tu en es venue à cet art ?
Un petit peu par hasard. Quand j’ai raccroché les crampons, c’est le moment où j’ai soutenu ma thèse. Et j’ai très vite décidé de faire de la scène. Au départ, je faisais vraiment de la conférence scientifique vulgarisée, puisque j’ai fait un doctorat en psychosocial, en psycho du sport, avec un focus sur la question des stéréotypes de genre en contexte sportif. Donc ça m’a permis de faire un tour d’horizon assez complet du football. Je montais sur scène avec une conférence qui s’appelle Générations footballeuses, je mêlais mon doctorat et mon expérience sur le terrain pour sensibiliser les gens aux stéréotypes et évidemment aux discriminations et aux violences qui en découlent. Le slam, c’est arrivé il y a quatre ans, à un moment de ma vie où j’en avais un peu marre des conférences scientifiques vulgarisées et où je sortais d’une relation amoureuse un peu compliquée. J’ai voulu poster un message sur les réseaux sociaux pour prévenir les copines, en gros, et quelqu’un en dessous de la vidéo m’a dit : « Ah mais c’est super ce que tu fais en fait, c’est du slam, mais tu devrais continuer et monter un blog. » Donc j’ai monté un compte Instagram sur lequel je racontais les histoires des femmes qui avaient vécu des violences en le faisant de manière poétique.
À partir de quand tu as décidé de monter sur scène ?
J’ai découvert qu’à Rennes, il y avait des scènes ouvertes de slam, donc je suis allée m’essayer. J’ai partagé un ou deux textes que j’avais écrits et ça a été un succès tout de suite. Je me suis rendu compte que j’étais très à l’aise sur scène dans cet art-là, et surtout je me suis rendu compte que les gens étaient très touchés par mes textes. J’ai vu que je serais à ma place dans ce milieu et j’ai décidé de transformer l’essai. Aujourd’hui, je ne fais plus que ça, j’ai dû écrire pas loin de 60 textes, dont huit sont vraiment tirés de mon histoire et que j’ai décidé de mettre dans mon seul en scène, 140 BPM, qui est un voyage poétique et musical.
Si je n’ai pas terminé un quatrain, trouvé la rime ou la prochaine phrase de mon roman, j’enfile des baskets et cinq minutes plus tard, j’ai trouvé la solution.
Pourquoi ce nom de 140 BPM pour ton spectacle ?
En fait, c’est le dernier morceau du spectacle, ça s’appelle 140 battements par minute. C’est un texte que j’ai écrit comme une ode à la course à pied. 140 BPM, c’est la fréquence cardiaque à laquelle j’adore aller courir, ça correspond à mon allure qui me permet d’être essoufflée, mais pas trop, et surtout de faire le vide pour avoir dans le même temps plein d’idées. Si je n’ai pas terminé un quatrain, trouvé la rime ou la prochaine phrase de mon roman, j’enfile des baskets, et cinq minutes plus tard, j’ai trouvé la solution. Je voulais que les gens éprouvent ce que je ressens quand je vais courir, donc le son est à 140 BPM. C’est aussi ce qu’ils vivent en venant à mon spectacle. Un jour, quelqu’un m’a dit : « J’ai l’impression de faire un marathon et de piquer des sprints. » C’est un peu ça.
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Dans cette nouvelle carrière, le rapport avec le public n’est pas le même qu’en tant que footballeuse. Ce lien avec le public, ça reste le plus important pour toi ?
Ce n’est pas du tout le même contact, ni la même performance. Là, ça repose uniquement sur mes épaules et c’est chouette parce que j’ai vraiment la maîtrise. Être en capacité de toucher les gens, ça me plaît, j’aime voir que je les bouleverse ou les touche, ça peut leur faire voir les choses différemment. Je me sens juste à ma place.
Je pensais être arrivée sur le toit du monde en signant ce contrat pro dont j’avais toujours rêvé, puis je me suis aperçue que les femmes n’étaient en fait jamais les bienvenues dans ce milieu. Toujours la dernière roue du carrosse, toujours traitées comme des moins que rien…
Dans ton spectacle, tu reviens sur ta carrière de footballeuse et tu détailles les désillusions qui t’ont accompagné dans le monde professionnel. La réalité de l’autre côté du miroir, elle est décevante ?
On en parle parce que ça fait partie du voyage et de mon histoire, mais ce n’est qu’une partie seulement. Petite, j’étais une mordue, une passionnée de foot. Je trépignais d’impatience à l’idée d’aller jouer le samedi avec les copines. Cette joie me dévorait dès le jeudi soir. Quand j’ai commencé à jouer le dimanche et que je suis devenue professionnelle, la passion s’est éteinte petit à petit. Je pensais être arrivée sur le toit du monde en signant ce contrat pro dont j’avais toujours rêvé, puis je me suis aperçue que les femmes n’étaient en fait jamais les bienvenues dans ce milieu. Toujours la dernière roue du carrosse, toujours traitées comme des moins que rien… Mon premier salaire, je gagnais 400 euros brut mensuel, donc 290 euros net ; les chaussettes, c’est celles en 43 qui restent des garçons ; les quarts de terrain à la nuit tombée parce que c’est le seul créneau laissé par les garçons ; les voyages en minibus avec les sandwichs Sodebo sur les aires d’autoroute malfamées. C’est une liste interminable ! Au bout d’un moment, t’en as ras le bol d’être traitée comme une merde. Dans mon spectacle, il y a un texte témoignage qui s’appelle « les dimanches n’ont jamais eu le goût du samedi » qui est un peu dur pour dire qu’il y a eu beaucoup de désillusions là où il y avait au départ un grand rêve.
Tu abordes également la question de l’injonction faite aux footballeuses d’être belles sur et en dehors du terrain, c’est un sujet qui t’a touché personnellement ?
Il y a deux textes : l’expérience de la beauté et le football féminin. J’aborde beaucoup la question de l’injonction à la féminité qui nous est faite, notamment à travers cette expression « football féminin ». C’est quelque chose qu’on nous a beaucoup rabâché quand on était joueuses. À l’époque, on me disait très souvent « Ah bah c’est bien, toi au moins tu restes féminine » ou « Ah bah c’est bien, toi au moins tu restes apprêtée », comme si l’important c’était pas d’être bonne sur le terrain, mais d’être bonne tout court. Ça a été difficile de sortir de là et de se dire : « Bah non, je ne suis pas là pour être belle, je suis là pour être bonne sur le terrain. » Tout le temps que je passais à essayer d’être belle dans les yeux des hommes, c’était le temps que je perdais pour être performante sur le terrain et surtout à essayer d’être belle dans mes propres yeux. Il m’a fallu quitter le monde du foot pour comprendre que je n’étais pas résumée à un physique. Le doctorat, c’est huit ans et demi pour l’avoir ; le foot, j’ai passé 20 ans de ma vie pour devenir la meilleure possible jusqu’à m’en abîmer les genoux.
Tu as connu tes premières sélections en équipe de France en 2009, les Bleues sont sorties premières de leur poule à l’Euro. Est-ce que tu as eu le temps de les suivre, même si tu jouais tous les soirs ton spectacle ?
Je suis évidemment, c’est quand même les Bleues. Malheureusement, tous leurs matchs sont à 21 heures, pile pendant ma représentation, donc j’en parlais un peu tous les soirs. J’ai un peu stressé hier (l’entretien a été réalisé le lundi, NDLR) parce qu’en sortant de scène, j’ai vu qu’il y avait 2-2. J’étais paniquée et le temps de discuter avec les spectateurs, je me suis rendu compte qu’il y avait 5-2 à la fin du match. C’était un peu l’ascenseur émotionnel.
Delphine Cascarino, c’est vrai qu’elle est toujours aussi impressionnante.
Et avec ton œil d’ancienne joueuse, comment tu perçois cette équipe de France ?
Je ne les ai pas trop vues jouer, c’est difficile pour moi de les juger. Il y a pas mal de renouveau. Tout ce que je leur souhaite, c’est d’avoir un titre, ça fait quelques années qu’on court après. Mon avis personnel, c’est qu’on a un peu gâché des générations entières de joueuses. Et la responsabilité, ce n’est pas celle des joueuses. On n’a pas su montrer dans le train assez tôt.
Est-ce qu’il y a une joueuse qui a attiré ton attention, que tu aimes regarder jouer chez les Bleues ?
J’ai vu dimanche le but de Delphine Cascarino, c’est vrai qu’elle est toujours aussi impressionnante. J’ai des souvenirs d’elle à l’OL, où elle nous impressionnait par ses pointes de vitesse, donc je vois que ça marche toujours aussi bien !
L’équipe de France peut croire au titre selon OptaPar Léna Bernard
Propos de Mélissa Plaza recueillis par LB