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Espagne : C’était la Furia de vivre

Par Javier Prieto-Santos
Espagne : C&rsquo;était la <i>Furia</i> de vivre

Avant le tiki-taka flamboyant, il y eut la Furia dégueulasse, synonyme d'une Espagne qui perdait inlassablement. Retour sur une époque ou l'Espagne n'était rien d'autre que la championne du monde des matchs amicaux.

Il aura fallu attendre exactement 88 ans, autrement dit une éternité, pour que la sélection espagnole trouve enfin une philosophie de jeu en accord avec les qualités intrinsèques de ses joueurs. La refonte de la philosophie de jeu de la Roja commence véritablement lors du Mondial 2006. Quand il reprend la sélection, Luis Aragonés n’a alors qu’une idée en tête : substituer cette saloperie de Furia par le tiki-taka. El Sabio en est convaincu, la clé du succès pour son Espagne se trouve dans les neurones des « jugones » , autrement dit de Xavi, Iniesta, Silva, Fàbregas et compagnie. Malgré les critiques et l’élimination contre les Bleus de Zidane en 2006, Aragonés repart d’Allemagne avec des certitudes et une Roja en gestation. C’est véritablement à l’Euro 2008 que l’Espagne affiche un nouvel ADN footballistique en adéquation avec les qualités de ses meilleurs joueurs. Mieux encore. Avant même l’arrivée de Guardiola au Barça, la Roja s’érige en référence de jeu en privant ses adversaires de ballon tout en imposant un pressing d’enfer dans les phases de récupération. Elle s’impose logiquement et tue du même coup le concept néfaste de Furia Roja. Enfin.

Un nom trouvé par un journaliste suédois

C’est en 1920, lors des JO d’Anvers que le terme de « Furia Espanola » appliquée au football apparaît pour la première fois. Pour leur début dans la compétition olympique, les Espagnols affrontent la Suède. Menée au score, la Selección parvient tout de même à égaliser grâce à un but tout en « cojones » de María Belausteguigoitia, alias Belauste. La grinta du joueur de l’Athletic rappelle au seul journaliste suédois sur place le saccage d’Anvers par les Espagnols en 1576. Impressionné par la prestation tout en testostérone de la Roja, le reporter scandinave finit naturellement par titrer son article « la Furia espanola » sans se douter que sa trouvaille fera date. Belauste, le buteur qui a véritablement inspiré un surnom qui collera à la peau des Espagnols pendant 88 ans n’est pourtant pas un patriote modèle. Nationaliste basque convaincu, il participe à la création du parti indépendantiste basque ANV (Accion Nacionalista Vasca) avant finalement de choisir de s’exiler pour un « Mort à l’Espagne! » suicidaire proféré lors d’un meeting politique. Malgré cela, la Furia flatte les patriotes les plus convaincus et finit par devenir le surnom quasi officiel de la sélection espagnole. Son boulet aussi.

Si la Furia est avant tout un surnom, c’est aussi et surtout un concept footballistique rustique basé sur la grinta et la hargne. Petit à petit, la Selección va s’embourber dans ce carcan stylistique. Un no man’s land d’idées qui finit même par réveiller le mythe des deux Espagnes cher au sociologue espagnol José Ortega y Gasset. « Il n’y a pas une, mais deux Espagnes qui vivent côte à côte et qui sont parfaitement étrangères : une Espagne officielle qui s’obstine à prolonger les gestes d’un âge mort et une autre Espagne aspirante, germinale, une Espagne vitale, peut-être pas très forte, mais sincère, honnête, laquelle, bloquée par la première, ne parvient pas à entrer totalement dans l’histoire. » Ces deux Espagnes qui jouent sous le même maillot n’ont évidemment aucune notion du collectif ni même l’envie de la cultiver. Triturée par les luttes intestines et la rivalité qui opposent les joueurs du Barça et du Real, la Roja n’est qu’un patchwork footballistique sans âme et sans résultat. Les contre-performances à répétition finissent fatalement par faire de la Furia le parent pauvre d’un football espagnol qui s’enivre facilement pour les succès du Barça et du Real.

L’Espagne qui perd

À côté des deux géants de la Liga, la Roja provoque au mieux du désamour, au pire, de l’indifférence. Les joueurs eux-mêmes ont du mal à cacher leur désintérêt pour une sélection qui ne leur correspond pas et qui prône un football en total décalage avec leurs qualités intrinsèques. Michel, ancien numéro 8 soyeux du Real Madrid et actuel entraîneur de l’Olympiacos, est l’un de ceux qui a le plus souffert du style obsolète de la Furia. « En Espagne, pendant longtemps, on s’est méfié des joueurs techniques. On a toujours eu des doutes sur leur investissement. On leur reprochait de ne pas assez se défoncer, de ne pas assez courir… Xavi ou Iniesta, à mon époque, ils auraient été critiqués. J’ai souvent entendu dire : « Il est petit, il ne court pas vite, il ne saute pas haut. En vrai, il n’a que de la qualité technique et de la vision de jeu. » Rends-toi compte de la connerie… On a longtemps préféré le muscle à la malice. C’était du temps de cette bêtise énorme qu’était la Furia. »

Une bêtise que l’Espagne a pourtant continué à cultiver pendant de longues années, sans jamais vraiment se remettre en question jusqu’à l’arrivée d’Aragonés. « Il a remis la Roja sur le droit chemin et, sans lui, on n’aurait sûrement pas d’étoile de champions du monde cousue sur le maillot » , soupire Francis Cagigao, un scout espagnol d’Arsenal (on lui doit la venue de Fàbregas chez les Gunners) avant de reprendre : « Pendant des années, l’Espagne a joué à contre nature parce qu’on avait un complexe d’infériorité par rapport aux autres nations. Par exemple, l’Espagne a été jalouse des capacités physiques des joueurs français. Le problème, c’est qu’en Espagne, il n’y a jamais eu de flux migratoires importants comme chez vous. Après, la France, ce n’est pas l’Espagne : la Roja n’a jamais pu gagner des matchs avec son physique. L’Espagnol type, c’est un type assez petit, vif. On a récupéré notre coté latin et laissé tomber l’aspect physique pour se concentrer sur nos vrais points forts : la technique, la tactique et la prise de décision. » Si le jeu de la Roja est aujourd’hui reconnu comme étant une référence mondiale, il reste néanmoins toujours sujet à débat dans un pays qui baigne dans la schizophrénie identitaire. En effet, les récents succès des athlétiques Colchoneros de l’Argentin Simeone ont fait ressurgir le spectre de la Furia avant le Mondial. Pas sûr néanmoins que le diplomatique Del Bosque soit vraiment nostalgique de cette Espagne qui perdait inlassablement.

Par Javier Prieto-Santos

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