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Échec de l'Algérie : « La cassure était déjà trop large »

Propos recueillis par Adel Bentaha

Pour analyser l'échec de l'Algérie, dernière de son groupe et donc éliminée de cette CAN 2023, trois anciens sélectionneurs des Verts se sont mis à table. Entre psychanalyse, prise de recul et visions futures.

Échec de l'Algérie : « La cassure était déjà trop large »

Casting :

Ali Fergani : ancien international (72 sélections, 7 buts), sélectionneur entre 1995 et 1996, puis 2004 et 2005. Christian Gourcuff : sélectionneur entre 2014 et 2016.

Georges Leekens : sélectionneur en 2003, puis entre 2016 et 2017.


Quelles leçons tirer de l’élimination de l’Algérie ?

Christian Gourcuff : Que les blocages psychologiques sont beaucoup plus importants et complexes à gérer que l’aspect technique et tactique. C’est aussi banal que récurrent à dire, mais c’est la stricte réalité, et tous les acteurs du football vous le diront : avoir le meilleur effectif ne sert à rien, si dans la tête ça ne va pas. Aujourd’hui, les joueurs algériens ont perdu non pas parce que leurs adversaires étaient meilleurs, mais parce qu’eux restent traumatisés par leurs précédents échecs.

Georges Leekens : À ce niveau-là, nous sommes tous d’accord. Et c’est d’autant plus triste. Triste de voir que des joueurs qui comptent parmi les meilleurs de leur continent n’arrivent pas à passer outre leurs traumatismes. On l’a vu pendant cette CAN, à chaque but adverse, la réaction c’était : « Mince, on fait quoi ? » Dans ces moments-là, le talent ne vous sert plus à rien.

Ali Fergani : L’Algérie a failli sur tous les plans. Mentalement, on a senti une réelle fébrilité dès le match contre l’Angola. Comme si l’égalisation de l’Angola, qui n’est pourtant qu’un match nul, avait fait ressortir tous les démons dont on essayait de se débarrasser depuis deux ans. Quand je vois la fraîcheur avec laquelle a joué le Cap-Vert, qui n’était pourtant pas destiné à grand-chose, je me pose des questions. Pourquoi des joueurs du niveau de ceux de l’Algérie ont plus eu peur de perdre que cherché à aller gagner ? Je pense que les ondes étaient négatives dès le départ, et qu’au niveau de la direction, on n’a pas transmis les signaux positifs nécessaires à la sérénité.

Les Algériens ne sont pas parvenus à installer un nouveau logiciel dans leur esprit. Là, ils se sont enfermés dans une obligation néfaste de gagner.

Christian Gourcuff

Les lacunes seraient donc principalement de nature psychologique ?

CG : Principalement, oui. Les Algériens ne sont pas parvenus à installer un nouveau logiciel dans leur esprit. Une mentalité qui leur aurait fait dire que perdre n’est pas grave et qui les aurait libérés pour la suite. Là, ils se sont enfermés dans une obligation néfaste de gagner. Un psychisme transféré du banc vers le terrain, qui n’a fait qu’ajouter du doute au doute. Après, pour ce qui est de l’aspect tactique, les ajustements ont été faits de manière correcte, avec un bon amalgame entre les joueurs de la génération Mahrez et les jeunes arrivés récemment.

AF : On pourrait parler tactique pendant des heures… Le choix de faire de Youcef Atal ton latéral titulaire sous 40°C, alors qu’il n’a pas joué depuis deux mois. Celui de changer trois fois de milieu de terrain en trois matchs, sans permettre à ta colonne vertébrale de trouver sa dynamique. Le fait de jouer sans véritable relayeur ou meneur de jeu, alors que Houssem Aouar et Farès Chaïbi peuvent largement occuper ce rôle. Il y a eu une peur de prise de risques à mon avis. La peur de lancer les nouveaux, par crainte de les voir échouer en compétition internationale. Mais quand vous êtes dos au mur, seules les prises de risques paient.

GL : Ce qui m’a légèrement fait tiquer, c’est de voir autant de joueurs du sacre de 2019. Je parle des trentenaires. En regardant la liste, j’ai vu M’Bolhi, Mandi, Slimani, Mahrez, Belaïli, Bounedjah, Feghouli. Beaucoup d’anciens quand même. Il aurait peut-être fallu en garder deux ou trois, essentiels, et rafraîchir tout le reste. Djamel a certainement réfléchi dans une logique de groupe, ce qui n’est pas déconnant, mais quand on est en quête de renouveau, il aurait été plus judicieux de concerner la nouvelle génération.

Djamel Belmadi est la cible principale après cette élimination. Quel bilan en tirer, après sa démission ?

GL : J’ai envie de dire qu’il est parti avec ses idées. Celles d’un coach qui a construit une sélection à son image, avec des succès immédiats et un travail à très long terme. Malheureusement, ça l’a peut-être desservi au moment d’entamer ce virage générationnel. Peut-être a-t-il pensé que les ingrédients qui ont marché en 2019 fonctionneraient en 2024. Mais les jeunes reçoivent le message différemment.

CG : Le coach Belmadi a gagné son crédit en Égypte, il a bien capitalisé dessus, mais la chute est arrivée au mauvais moment. Dans les matchs cruciaux. En CAN au Cameroun d’abord, puis en barrages de Coupe du monde, on sait que ça devient quasi impossible de redresser la barre. Il a essayé de s’accrocher à ce qui avait précédemment marché, en s’appuyant sur ses joueurs de base, mais la cassure était déjà trop large. Il aurait fallu installer la transition générationnelle de manière plus directe certainement.

GL : En revanche, il ne faut certainement pas faire dans l’amnésie sélective et balayer tout ce que Djamel a fait. L’Algérie traverse une période compliquée, et ce ne serait pas juste. C’était mon capitaine lors de mon premier mandat chez les Verts et croyez-moi que ce bonhomme ne pense qu’au bien de sa sélection. Donc, quand j’entends dire qu’il a pris en otage l’équipe, non. Il a simplement pensé que conserver la même recette que celle entamée en 2019 ferait le même effet. Malheureusement, les joueurs ont bien moins adhéré au discours

AF : Lui dire merci, déjà. Parce qu’il nous a procuré un bonheur exceptionnel en 2019. Ensuite, je vais retenir la même chose que mes confrères : un homme d’idée, parfois trop poussées. J’ai surtout l’impression que Djamel n’a pas suffisamment délégué. Son staff s’est effacé au fur et à mesure du temps, et c’est fort dommage. Dans les moments compliqués, tu dois te tourner vers tes collègues et leur demander conseil, car souvent tu es buté sur une idée, sans forcément avoir de vision périphérique. Et Djamel s’est enfermé dans ce schéma. C’est sa principale faillite.

L’aventure, pour Belmadi, aurait dû s’arrêter après le duel face au Cameroun. Il aurait été soulagé d’un poids.

Ali Fergani

Sa démission n’arrive-t-elle pas en trop tardivement ?

CG : On veut toujours tout chambouler après un échec, donc pour les Algériens, il aurait été logique que Belmadi démissionne après le barrage face au Cameroun (privant les Verts du Mondial 2022, NDLR). Lui a justement pensé se racheter en prolongeant l’aventure, ce qui n’est pas du tout stupide. En Algérie, tout va souvent trop vite, et dans sa pensée, le coach a donc cru bon de temporiser pour voir s’il pouvait éventuellement redresser l’équipe. Ça a été le cas, puisque les Verts ont recommencé à avoir de bons résultats, mais la rechute durant cette CAN a montré que la sélection n’était pas encore guérie et qu’il fallait mettre un terme à tout cela.

GL : Trop tard non, puisque l’Algérie sort de cinq ans de domination en Afrique. Mais l’année de trop, certainement. Il y a une nuance. Quand on est entraîneur ou sélectionneur, on a toujours envie de partir au bon moment. Et le bon moment, c’est quoi ? Une victoire. Or, Belmadi a obtenu les succès à ses débuts. Pour lui, l’objectif était donc de laisser l’Algérie en bon état avant de partir… On a eu le droit à tout le contraire. Mais vous savez quoi, je préfère cela, un travail de long terme, plutôt qu’un coach qu’on vire au bout de quelques matchs, parce qu’il y a des pressions extérieures.

AF : Djamel a fait les deux années de trop, oui. L’aventure aurait dû s’arrêter après le duel face au Cameroun. Il aurait été soulagé d’un poids, et ça aurait laissé le temps à son successeur de préparer la suite. Là, c’est limite triste de le voir partir sur un fiasco pareil. Mais dans tout mal il y a du bien, et c’était certainement la claque nécessaire pour réveiller tout le monde. Joueurs, entraîneurs et, surtout, dirigeants.

CG : Sur cet aspect, l’Algérie patine. La demande de résultats immédiats a toujours fait du mal au pays. Je me souviens des soufflantes que j’ai prises, car j’avais perdu en quarts de finale de la CAN, contre la Côte d’Ivoire future championne (3-1, en 2015). Je ne comprenais pas, l’équipe commençait à peine à prendre ses marques et on parlait déjà de me licencier… C’est la raison de mon départ quelques mois plus tard, alors que l’on était en excellente forme. Les pressions extérieures sont difficilement gérables en Algérie. Avec Belmadi, le seuil de tolérance a été plutôt rehaussé. Déjà, car il est lui-même algérien, donc certainement plus en phase avec le contexte local. Et surtout, il a du caractère. Ce qui lui a certainement permis de gagner en crédibilité.

L’Algérie a connu ses cinq ans de bonheur, désormais ils mangent leur pain noir.

Georges Leekens

Cet échec permettra-t-il à l’Algérie d’enfin avancer ?

CG : Alors, il est évidemment plus facile de travailler dans un climat de victoire, mais une bonne gifle permet aussi de réveiller les consciences. Pour l’Algérie, la fatalité lui pendait au nez depuis deux ans, il fallait que ça se casse la gueule, et c’est tant mieux. Désormais, les dirigeants vont analyser ce qu’il manque, et faire un travail de fond, au-delà de la sélection. Il faut déjà structurer le football à échelle régionale, en établissant de véritables centres de formation. L’Algérie est l’un des plus grands pays de football, et voir aussi peu de talents s’exporter, ce n’est pas possible. Ensuite, pour ce qui est de la sélection, il va simplement falloir laisser la place et faire confiance aux jeunes. Cet échec est aussi une bonne expérience pour eux, qui vont pouvoir s’affirmer dans la difficulté.

GL : Oui, la relève est là. Atal, Amoura, Touba, Bennacer, Ounas. Il y a un vivier suffisamment solide pour recréer quelque chose sur le long terme, et je suis à 100% certain que cela va fonctionner. Comme on le dit souvent : le football est fait de cycle de cinq ans. L’Algérie a connu ses cinq ans de bonheur, désormais ils mangent leur pain noir. Si on veut comparer, on peut dire que les dynamiques se croisent avec le frère marocain. À la fin des années 2010, le football marocain était en crise, et l’Algérie rayonnait. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Aux Algériens d’accepter la défaite, de faire le dos rond, et dans deux ans, vous verrez que tout sera différent.

CG : Il y a deux choses que les Algériens doivent à tout prix retenir : acceptation et compréhension. Accepter que sur une courte ou moyenne période, rien ne va aller dans leur sens. Que les échecs vont s’enchaîner, que vous aurez l’impression de stagner. Ensuite, comprendre. Apprendre pour quoi cela n’a pas marché, quels leviers activer pour rebondir – comme je le disais plus haut, le travail de formation est juste fondamental – et ensuite, laisser du temps aux plus compétents. Ne pas demander de remède miracle à efficacité immédiate. En Algérie, tout est parfois fait dans la précipitation, par peur de ne pas être à la hauteur. Heureusement, ils ont nommé Walid Sadi à la tête de la fédération. Un homme de l’école Raouraoua (ancien président de la fédération algérienne entre 2001 et 2005, puis entre 2009 et 2017, considéré comme l’un des grands réformateurs du football local, NDLR), avec qui j’ai personnellement travaillé et qui a une vision ultramoderne du football. Tout ce qu’il fallait à l’Algérie pour revenir encore plus fort.

AF : Bien sûr qu’on va revenir ! Le mot d’ordre maintenant, c’est : former, former, former, et encore former. Nous sommes un pays de football, avec des gamins qui ne demandent qu’à être encadrés. Qu’on les forme ! Attention, je n’ai aucun problème avec les binationaux, que l’on soit clairs. L’Algérie se nourrit de la binationalité depuis son indépendance, ça fait partie de notre histoire. Mais pour le futur, il faut que la base soit locale et qu’on y ajoute des éléments binationaux. Il faut aussi faire un travail nécessaire au niveau des clubs, en y installant de vrais centres d’entraînement sur le modèle européen et en être financièrement capable.

GL : Aujourd’hui, les Algériens pleurent, mais croyez-moi qu’une qualification en Coupe du monde en 2026 fera oublier tous ces épisodes. Le football algérien n’est pas mort, loin de là, il va même certainement renaître.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Adel Bentaha

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