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Didier Domi : « Il faudra toujours créer des dribbleurs »

Propos recueillis par Andrea Chazy
10 minutes

En marge de la sortie du numéro 230 du magazine So Foot consacré aux dribbleurs, Didier Domi, ancien latéral gauche du PSG et conseiller académique de la PSG Academy à Doha au Qatar, se livre sur ce sujet qui le passionne depuis de nombreuses années.

Didier Domi : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Il faudra toujours créer des dribbleurs<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Dans le football actuel, la dimension physique est plus que jamais prédominante. Est-ce que cela participe à l’extinction des dribbleurs ? Ce n’est pas une vision que je partage. Quand tu regardes une équipe jouer, tu peux voir l’idée d’un entraîneur comme Luis Enrique ou Mikel Arteta jusqu’aux 30 derniers mètres. Mais derrière, qu’est-ce qui fait la différence ? Depuis une quarantaine d’années, les espaces se sont réduits entre les défenseurs centraux et les attaquants. On a donc beaucoup plus besoin de maîtrise du ballon et de dribbleurs pour ouvrir ces blocs. Pour illustrer ce que je dis, le professeur Daniel Memmert avait analysé tous les buts lors des Coupes du monde 2010 et 2014, ainsi que ceux de l’Euro 2016. Il en avait conclu que 86 % des buts comportaient, avant leur réalisation, au moins une touche de balle avec un score de créativité très élevé. On a donc encore plus besoin qu’avant des dribbleurs !

Le dribble résout tout. Il fait partie de ces gestes qui expliquent pourquoi les gens regardent du foot : parce qu’ils sont à la recherche du bonheur.

Didier Domi

Quel est le constat justement que tu poses sur la présence du dribble dans le football actuel ?

Cela fait des années que je m’intéresse à ce phénomène. Bielsa disait que le dribble était le geste le plus important dans le football, et je suis entièrement d’accord avec lui. Le dribble résout tout. Il fait partie de ces gestes qui expliquent pourquoi les gens regardent du foot : parce qu’ils sont à la recherche du bonheur. De l’émotion. Quand tu regardes la Hongrie dans les années 1950, le football total de l’Ajax de Cruyff, le Milan de Sacchi et Gullit, Messi ou Zizou, tu aimes car cela te procure de l’émotion. Un dribbleur, c’est quelqu’un qui a une certaine élégance cultivée dans un environnement qui lui est propre, qui le différencie des autres joueurs. On respecte tous les styles de jeu, même le kick and rush, mais tout le monde aura beaucoup plus d’attirance pour un joueur avec une certaine élégance. Quand tu vois des entraîneurs où le binôme est inséparable entre le résultat et le jeu, voilà pourquoi ces gens restent au-dessus. Le but reste la quête de l’émotion.

Tu partages donc ce constat qu’il y a de moins en moins de dribbleurs ? Que la plupart des joueurs d’aujourd’hui font la différence sur leur intensité, mais ne dribblent pas au sens propre du terme.

Totalement d’accord. Le but n’est pas là de tirer sur l’ambulance ou de mettre en place un conflit générationnel en disant que c’était mieux avant. Mais d’encourager tout le monde. On fait le constat que toute une génération a influencé énormément de monde. À l’académie PSG de Doha où je travaille, encore aujourd’hui, des petits de 9-10 ans me montrent des vidéos de Ronaldinho sur les réseaux sociaux. Alors qu’ils ne l’ont jamais vu jouer ! C’est la preuve que même les enfants actuels captent l’émotion du football. Cela tombe bien, car c’est entre 7 et 14 ans que tu développes au maximum tes capacités techniques. Tu continueras toujours à progresser derrière, mais pas autant. Les grands noms dont on parle encore aujourd’hui ont été élevés dans la rue. Ils ont énormément joué dans ce chaos organisé. Dans cette rue, ils n’avaient pas de coach. Et quand tu n’as pas de coach pour te dire quoi faire, une certaine liberté se matérialise, car l’erreur est permise. Tu peux faire 50 sombreros, à part si cela énerve un coéquipier, personne ne va t’engueuler. Les petits doivent faire des erreurs, se tromper 100 fois s’il le faut. Et si le gamin comprend au bout de la 101e fois, ce n’est pas grave. Le jeu sera le meilleur professeur, fait d’erreurs, d’essais et de liberté. Parce que les enfants sont tous hyper-créatifs. Le but, c’est d’extraire le miel.

 

Pourquoi y a-t-il eu une diminution progressive du nombre de dribbleurs au fil des années ?

Avant, les générations passaient leur temps à jouer au football en bas de chez eux, dans la rue. Par la suite, une autre génération a mixé la rue et l’académie. Ceux qui sont nés en 1987-1988, Messi, Benzema, Ben Arfa. Ça a donné des joueurs hybrides qui ont toujours beaucoup joué au football et donc des phénomènes techniques. Mais par la suite, en fonction des endroits du monde, on a vu l’insécurité grandir. L’arrivée d’internet et des smartphones, aussi, a eu un impact. C’est pour cela que ce n’est pas la faute des gamins d’aujourd’hui s’ils sont moins créatifs : si nous, ma génération, on avait eu ça dans les mains, on aurait sûrement été pareils voire pires. Attention, tu auras toujours des exceptions, comme Lamine Yamal, mais la plupart ont moins joué dans la rue, moins joué dans des espaces restreints pendant des heures et des heures. Ils n’ont peut-être pas pu exploiter tout leur potentiel, tous ces dribbles et ces feintes qu’ils ont en eux. Voilà pourquoi on a moins de dribbleurs. Autre chose aussi : aujourd’hui, quand on est un enfant, on arrive vite dans des structures où le petit va avoir de la chance si un entraîneur va le laisser tranquille. Mais on a tendance à mettre le football des adultes trop tôt chez les jeunes, avec des encadrants qui veulent des résultats sportifs et qui parlent déjà de tactique à 8-9 ans.

Jamais de haine, de colère, de hurlements. Pourquoi ? Parce que si on commence déjà à rentrer dans un environnement entre 7 et 14 ans avec beaucoup de tension, c’est du stress pour l’enfant.

Didier Domi

Que mettez-vous en place à l’académie PSG par exemple pour stimuler la créativité et vous détacher du résultat ?

La priorité, c’est le développement du joueur. On déstructure nos séances pour se rapprocher le plus possible du football de rue. Des fois le dimanche, on joue sans chasuble. Quand tu joues dans la rue, tu as un mec habillé en jaune, un autre en gris, un troisième en rouge. On ne s’en rendait pas compte, mais notre vision était beaucoup plus profonde. Chacun a ses qualités, mais le haut niveau, c’est la maîtrise du ballon – ton contrôle, ta conduite de balle, ton dribble – et la vitesse de perception. Nous, on n’a rien inventé. Mais il y a des bases simples et saines. Pour la vitesse de perception, on va jouer sans chasuble. Au début, les petits se plaignent, mais on leur répond simplement : « Oui mais comme ça, tu vas prendre l’information encore plus tôt ! » Un peu comme certains autres clubs, on n’interfère jamais dans la prise de décision d’un enfant. Quand il va prendre une décision, on n’entend pas « Tire ! Va ! Centre ! », on le laisse faire. En revanche, après, on va revenir dessus avec une dédramatisation, une correction avec question pour qu’il trouve lui-même la solution et on termine par un encouragement. Jamais de haine, de colère, de hurlements. Pourquoi ? Parce que si on commence déjà à rentrer dans un environnement entre 7 et 14 ans avec beaucoup de tension, c’est du stress pour l’enfant. Cela va provoquer chez lui la volonté de faire des choses contrôlées, formatées, parce qu’il va avoir peur de son formateur. On rentre quasiment dans de l’inhibition. C’est là où on empêche un petit d’être créatif.

Ça rejoint même la construction de l’être humain. Quand on dit que le résultat n’est pas la priorité, c’est parce qu’on développe les petits pour que, plus tard, ils deviennent des monstres. Qu’ils exploitent toutes leurs qualités, pour pouvoir gagner après. Si tu lui dis qu’il faut gagner à 7-8 ans, mais que tu ne lui apprends pas comment, à 18 ans, il ne saura pas faire. S’ils gagnent plus tard, c’est la résultante. Mais avant, ce n’est pas grave. Parce qu’il ne faut pas se tromper : l’enfant, lui, quand il a 6-7 ans dans la cour de l’école, il veut déjà gagner. Mais tout doit partir du jeu et du plaisir : le plaisir va ancrer les bons apprentissages. Je pense que les clubs, chez les petits, devraient inciter leurs licenciés à aller jouer au maximum dehors ou dans des fives. Ça devrait faire partie du cursus pour moi. Certains vont dire qu’ils vont être fatigués s’ils font ça. Mais il n’y a pas de fatigue à cet âge-là ! À 10, 11, 12 ans, même s’il est fatigué le petit, il récupère. Là, on est dans un truc où il faut faire attention à ça, à ci, à pas trop faire ça… Laissez-les jouer ! L’un de mes coachs à l’académie, Isa Issa, qui est serbe, m’a dit un jour : « Les petits enfants, c’est comme l’eau qui descend de la montagne quand il pleut. Presque tout le temps, l’eau finira par trouver son chemin jusqu’à la rivière. » Si tu laisses un cadre de liberté et de plaisir, l’enfant finira toujours par trouver son chemin.

Durant ta carrière, lorsque tu savais que tu allais affronter un gars habile techniquement, tu te préparais comment ? Un dribbleur a beau avoir un style, une spéciale comme le passement de jambes ou la roulette, cela reste des joueurs qui fonctionnent à l’instinct. Ils ont tellement joué dans ces espaces réduits des heures et des heures petits que d’une minute à l’autre, eux-mêmes ne savent pas encore ce qu’ils vont faire. C’est pour cela que quand tu fais face à ces joueurs-là, tu utilises ta vitesse, ton corps, des techniques que tu as apprises, des prises à deux, de l’agressivité. Mais c’est très dur de défendre contre l’instinct ou la créativité. Quand tu vois Yamal, Dembélé, Ronnie, Messi, Cristiano quand il était ailier, c’est très difficile. C’est même beau parfois en tant que spectateur… ou même en tant qu’adversaire d’affronter des joueurs de ce calibre. Les entraîneurs peuvent te donner un cheminement mais à la fin dans les 30 derniers mètres, Nasri le dit dans son documentaire : « On peut te dire de faire A ou B, mais si tu penses que c’est C, alors tu vas faire C. » C’est l’instinct qu’il a cultivé dans la rue. Et c’est ça qui est beau.

Michel Platini, pourquoi a-t-il eu une telle qualité de contrôle et de passe ? Parce qu’il jouait chez lui contre un mur pendant des heures. Le foot est simple, alors il faut revenir à plus de simplicité.

Didier Domi

S’apprête-t-on à repartir sur un cycle où l’on retrouvera davantage de joueurs créatifs dans les prochaines années selon toi ?

Bonne question, mais je crois qu’on est au cœur de ça. Il y a des gens qui ont envie de retrouver cette créativité, cette liberté et moins de formatage. Un exemple : les Anglais, à partir de la saison 2026-2027, vont faire évoluer leurs U7 sur des matchs à 3 contre 3 au lieu de l’actuel format 5 contre 5. Pareil pour leurs U9, ils vont passer de 7vs7 à 5vs5 et ainsi de suite jusqu’aux U14 et le passage au foot 11. La raison est simple : on veut beaucoup plus de touches de balle, de dribbles, d’espaces serrés pour améliorer la vitesse d’enchaînement. Aux Pays-Bas, le Feyenoord alloue un terrain à ses petits avant l’entraînement. Pendant une heure, ils leur disent : « Vous faites ce que vous voulez. » Ils sont en totale liberté. Autre exemple : Pep Lijnders, ex-adjoint de Klopp et aujourd’hui de Guardiola à City, avant de partir de Liverpool, il a créé une « Melwood Arena » dans le nouveau centre d’entraînement des Reds. Un terrain de 40 par 20, inspiré par le football de rue au Portugal. Pour que ça dribble dans les petits espaces, que ça récupère ou protège le ballon sous pression. Il faudra, comme ça, continuer à trouver des solutions pour récupérer ces heures de foot de rue perdues, tout en n’oubliant pas de dire à ces gamins de répéter leurs gammes. Michel Platini, pourquoi a-t-il eu une telle qualité de contrôle et de passe ? Parce qu’il jouait chez lui contre un mur pendant des heures. Le foot est simple, alors il faut revenir à plus de simplicité.

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