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Aboubakar Kamara : « Ranieri a dit à la presse qu’il voulait me tuer »
À 30 ans et après avoir déjà connu sept pays, le fantasque Aboubakar Kamara, alias AK-47, évolue depuis cet été à Kanchanaburi, en Thaïlande. Avec pas mal d’autodérision, l’attaquant raconte 10 ans d’une carrière insolite, à l’image du bonhomme.
Qu’est-ce qui t’a amené en Thaïlande cet été ?
Je suis un petit globe-trotter. (Rires.) Honnêtement, je suis presque arrivé ici un peu par hasard. J’ai toujours adoré voyager. Ça date de quand j’étais ado et que je faisais encore de l’athlétisme, jusqu’à mes 15-16 ans. Mes premiers voyages étaient les départs en compétition aux quatre coins de la France, à Lyon, à Clermont-Ferrand, etc. C’est ça qui m’a fait sortir de ma cité de Cergy pour la première fois et donné le goût des voyages.
Qu’est ce qui te plaisait là-dedans ?
C’était cool, une forme de liberté. On partait, on dormait dans des gîtes, il y avait des gars, des filles. Qu’est-ce qu’on rigolait ! Rien à voir avec le foot. En athlétisme, tu fais les choses pour toi, comme tu veux les faire, tu n’as de comptes à rendre à personne. J’aimais ça. Je n’étais pas si mauvais en plus. (Rires.) J’étais dans les 1000 meilleurs minimes de France sur le triathlon et décathlon.
Pourquoi as-tu donc choisi de privilégier le foot ?
En fait, jusqu’à mes 16 ans, je ne jouais même pas au foot en club. J’avais juste fait quelques mois quand j’avais 8-9 ans, à Cergy. Mais ça ne me plaisait pas plus que ça. Je n’avais pas d’affaires, je jouais en jeans. (Rires.) J’ai vite arrêté. Et j’ai donc repris à 16 ans, à l’Entente Sannois Saint-Gratien. Un pote qui jouait en U17 là-bas, Aboubakar Kanté, m’a dit de venir. J’ai fait quelques entraînements, le coach a bien aimé. C’était parti.
Je n’ai jamais été un grand passionné de foot. J’ai toujours adoré jouer mais pas plus. C’est mon côté compétiteur qui m’a fait accrocher.
Jusqu’à arrêter l’athlétisme ?
Oui. Encore aujourd’hui, je ne sais pas trop pourquoi, mais on peut quand même dire que quelque part, le foot m’a sauvé, donc pas de regrets. Et pourtant, je n’ai jamais été un grand passionné de foot. J’ai toujours adoré jouer mais pas plus. C’est mon côté compétiteur qui m’a fait accrocher.
Jusqu’à t’amener en Thaïlande, 14 ans plus tard…
Les pays exotiques comme la Thaïlande m’ont toujours attiré, fasciné. Je me suis toujours dit que j’aimerais bien vivre dans un pays comme celui-là. Cet été, l’opportunité s’est présentée via un ami qui m’a dit que le club cherchait un joueur de mon profil. J’ai tout de suite dit ok. On était venu ici en vacances avec ma femme en 2021 et on avait beaucoup aimé. Puis, je sors d’une année un peu particulière en Iran (au Sepahan SC, NDLR). J’avais envie de voir autre chose.
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Particulière ?
Là-bas, le contexte est un peu tendu, c’était la galère. Il y avait la guerre avec Israël, etc. Puis, ce n’est pas vraiment le pays des libertés. Les entrées et sorties dans le pays sont très contrôlées. Je devais changer de puce de téléphone toutes les deux semaines ou elle coupait. WhatsApp était bloqué. C’est assez particulier. Et pourtant, on avait une équipe sympa et une petite bande de francophones avec Steven Nzonzi, Bryan Dabo et Wissam Ben Yedder.
Quel projet t’a-t-on vendu à Kanchanaburi ?
Celui d’un club promu qui, à terme, souhaite se faire une place parmi les meilleurs clubs thaïlandais. Nous avons d’ailleurs déjà une belle équipe avec notamment Andros Townsend et Gerson Rodrigues qui sont eux aussi arrivés cet été.
Et alors, que vaut le foot thaïlandais ?
Ce n’est pas si facile qu’on pourrait croire. Tout championnat est difficile. Les meilleures équipes du championnat ont de vrais bons joueurs qui pourraient jouer en Ligue 1 ou en Ligue 2. Que tu aies joué en Premier League, en Ligue 1 ou n’importe où ailleurs, l’adaptation prend du temps. Toujours est-il que j’ai retrouvé ici un cadre apaisant. Je me sens bien, je n’ai à penser qu’au foot, les gens sont respectueux, c’est le top.
Les gens te reconnaissent dans la rue ?
Oui, car ils aiment le football. Mais tout est toujours fait avec beaucoup de respect. Les gens sont tranquilles, ils ne viennent pas t’embêter, c’est agréable. C’est toujours cool d’être considéré comme un être humain comme tout le monde. Quand j’étais à Fulham et que je voulais aller jouer au basket avec des potes, des fois, les gars voulaient leur photo pendant qu’on jouait. Ça, je n’aime pas. Viens, on joue et après, quand on a bien rigolé, oui, avec plaisir on fait une photo. Mais prends-moi pour quelqu’un de normal. Et pourtant, je suis un tout petit dans le foot, hein ! Pas un gars comme Mbappé…

Tu n’as que 30 ans. Tu estimes avoir fait le tour du foot de très haut niveau ou tu te vois encore éventuellement y revenir un jour ?
Je ne sais pas. Je ne ferme la porte à rien. Je me vois bien faire plusieurs années ici (en Thaïlande). C’est l’été toute l’année, la vie est cool. Puis, mentalement, le haut niveau demande tellement… Parfois, c’est dur. Comme beaucoup, je suis déjà passé par la phase « j’en ai marre du foot ». Ça m’est même arrivé alors que je n’étais pas encore pro, à Monaco. À ce moment-là, j’ai 19 ans et je pense déjà à arrêter. C’était trop cadré, trop structuré pour moi. Et puis, avec le recul, le foot m’a tellement apporté. Tant que j’aurai toujours envie de me bagarrer, je continuerai.
À l’époque, la petite remarque de Ricardo Carvalho est-elle un déclic ?
Un déclic, je ne sais pas. Mais c’est vrai que ça m’avait marqué. Sur un de mes premiers entraînements avec les pros, je lui étais bien rentré dedans sur un duel. Et au lieu d’incendier le petit jeune comme le font certains, il m’avait dit : « C’est bien gamin, continue d’avoir les crocs, c’est la bonne attitude ! » Quand un gars comme lui te dit ça à 19 ans, ça booste.
À l’entraînement, c’était la guerre. Avec Alexsander Mitrović, on est quand même deux beaux bébés, c’est parti en judo. On s’attrapait, on se mettait au sol et tout.
Ce côté peur de rien t’a joué des tours aussi parfois ? Comme quand Fulham te suspend après une altercation avec un salarié…
Oui, ce n’était pas une bonne phase pour moi. Je n’étais pas bien. Je ne jouais plus et voulais être prêté. Le président me bloquait, car il voulait me garder, mais le coach, lui, ne comptait pas sur moi. Ce jour-là, j’ai dérapé. Finalement, c’est cette erreur-là qui m’a permis de partir.
Dans lequel de tous tes clubs t’es-tu senti le plus épanoui ?
Footballistiquement, c’était quand même magnifique à Fulham. J’ai kiffé le côté « top niveau ». La diversité des stades anglais, les fans. J’ai trop kiffé mon Craven Cottage. C’est un de mes stades préférés. Pourtant, le public est plutôt riche et ne fait pas tellement de bruit. Je me suis juste embrouillé avec eux un jour pour une histoire de penalty. C’était en Championship lors de ma première saison (2017-2018). J’obtiens un penalty peu de temps après être entré en jeu. Je prends le ballon pour le tirer et là, Alexsander Mitrović, qui venait d’arriver au club, me dit : « C’est moi l’avant-centre, c’est moi qui tire. » Il ne fallait pas me dire ça. Je n’ai rien voulu savoir, et Claudio Ranieri est devenu fou. Il m’a demandé de le lui laisser, puis mes coéquipiers pareil. Même le public s’est mis à me siffler. Sur le moment, je l’ai mal vécu. Je me disais : « Vous êtes sérieux tous, bande de batârds à ne plus me faire confiance ? Ok ! » J’ai gardé le ballon, je l’ai posé. À ce moment-là, je savais déjà que j’allais rater. (Il sourit.) Et c’est ce qui s’est passé. Le pire, ça m’a fait rire sur le moment. Tout le stade était fou. Ranieri, qui est quelqu’un de très rancunier, ne m’a jamais pardonné. Ce jour-là, il avait même dit à la presse qu’il voulait me tuer. (Rires.)
Et Mitrović ?
Sur ce match-là, il avait marqué sur l’action d’après le penalty… C’est un gars avec qui on s’est bien tiré la bourre. Je vais pas dire qu’on était de bons camarades, mais je pense que si je lui envoie un message aujourd’hui, il va me répondre et inversement. À l’entraînement, c’était la guerre. Un jour, petit jeu en 4 contre 4 avec buts rapprochés. Lui se retrouve à défendre sur moi et moi sur lui. Et tous les deux, on ne voulait pas que l’autre marque. Mais vraiment pas ! Et parce qu’on est quand même deux beaux bébés, c’est parti en judo. On s’attrapait, on se mettait au sol et tout. Ça amusait le coach Slaviša Jokanović qui laissait jouer. Et au retour dans le vestiaire, on se regarde et on se dit : « Bien joué, c’était une bonne bataille. » Ça, je kiffe.

En dehors de l’Angleterre, où est-ce que tu as préféré jouer ?
En Grèce, les ambiances étaient vraiment énervées. Avec l’Aris Salonique, le derby face au PAOK était dingue ! Globalement, j’ai adoré tous les endroits où j’ai pu faire des saisons pleines. À l’inverse, même si j’ai aimé l’endroit, je n’ai pas pu vraiment profiter de la Turquie, car j’ai été trop blessé.
Un jour, avec mes deux meilleurs potes qui ont les mêmes initiales que moi, on parlait numéro et on s’est dit en rigolant que ça claquerait de porter le numéro 47. Et comme je suis un peu fou, quand j’ai pu, je l’ai pris.
Tu portes toujours le fameux numéro 47 avec lequel tes initiales font AK-47, les gens ont-ils la ref’ ici ?
Non, pas vraiment. (Rires.)
C’est parti d’où ce délire ?
D’un jour où avec mes deux meilleurs potes qui ont les mêmes initiales que moi, on parlait numéro et on s’est dit en rigolant que ça claquerait de porter ce numéro. Et comme je suis un peu fou, quand j’ai pu, je l’ai pris. Mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit repris médiatiquement. Finalement, je faisais même la célébration qui allait avec quand je marquais.
Quand tu regardes dans le rétro, as-tu des regrets ?
Non. J’ai le switch très facile, je ne regarde jamais en arrière.
Tu vas toujours en sélection mauritanienne ?
Non. Lors de ma dernière convocation en juin, j’ai joué trois minutes. J’ai trouvé ça dommage. Depuis, je n’ai pas été rappelé.
La CAN 2023 durant laquelle la Mauritanie accède pour la première fois de son histoire en huitièmes de finale, c’est l’un des meilleurs souvenirs de ta carrière ?
Oui, c’était incroyable, magnifique pour le pays. Sortir de la poule en éliminant l’Algérie sur le dernier match, c’était fort. Déjà, la qualification était exceptionnelle contre le Gabon. À ce moment-là, je n’avais pas joué depuis deux ou trois mois. J’étais sans club. Amir Abdou m’appelle et me dit : « Abou, j’ai besoin de toi, il faut qu’on se qualifie ». Dernier match, on a notre destin entre nos mains, il faut gagner. Je marque, on gagne, c’était magnifique.
Quand on est arrivés en Ligue 2 avec Amiens, on nous vannait en disant qu’on allait redescendre aussi sec. Le sponsor du championnat était Dominos et on nous appelait même “l’équipe pizza chèvre”.
La double montée du National à la Ligue 1 avec Amiens, ça devait aussi être sympa à vivre…
Bien sûr ! C’est tout en haut aussi ! Le match face à Reims avec le but de Bourgaud qui nous envoie en Ligue 1, c’était dingue ! Surtout qu’à Amiens, c’était avec ma bande de potes, mes frères : Gessouma Fofana, Richard Soumah, Tanguy Ndombele, Harrison Manzala, Oualid El Hajjam… Quand on est arrivés en Ligue 2, on nous vannait en disant qu’on allait redescendre aussi sec. Le sponsor du championnat était Dominos et on nous appelait même « l’équipe pizza chèvre ». (Rires.) Mais nous, on avait peur de rien. Et puis, on avait des joueurs. Avec Gessouma (Fofana) et Tanguy (Ndombele) au milieu, tu peux voyager.

Tu mets Tanguy Ndombele dans les joueurs les plus forts avec lesquels tu as joué ?
Techniquement, il était impressionnant et très spectaculaire, c’est clair. Après, dans le genre magicien, j’ai connu Marcelo à Olympiakos. Pour l’anecdote, on a passé pas mal de temps ensemble parce qu’on a été quelques fois hors groupe tous les deux. (Rires.) En plus d’être un joueur incroyable, c’était un top mec. On jouait beaucoup au Teqball. Il était injouable. Techniquement, un monstre. Pied droit, pied gauche. Il faisait des passes, j’avais l’impression d’être dans Olive et Tom. Je lui disais : « Comment tu peux faire tourner la balle comme ça ? » On a bien rigolé. Surtout qu’à ce moment-là, j’avais une touffe de cheveux sur la tête, on était un peu jumeaux. (Rires.)
Dans le genre pas fâché avec le ballon, tu as aussi connu Dimitar Berbatov à tes débuts à Monaco…
(Il sourit.) Pareil, c’était magique ! Un jour, dans le couloir, quand j’étais à Fulham, il était là en légende du club et il est venu me saluer. Ça m’a fait énormément plaisir qu’un gars comme lui se souvienne de moi. Pour l’anecdote, il aurait peut-être pu changer ma carrière. Je me revois à Gerland, à Lyon, pour mon premier match en pro. J’entre en jeu sur le « Ahou » avec mon gros maillot XL floqué 30 quelque chose, je ne sais plus. 2-1 pour Lyon. Au début, je ne touche pas une canette. Puis sur un de mes premiers ballons, je mets un super centre au cordeau dans la surface. Franchement, un vrai bon ballon. Berbatov peut vraiment l’avoir. Mais il n’y va pas à 100%. Je le sais, je le vois. (Rires.) C’est Berbatov, il est comme ça, tranquille. S’il marque, peut-être que je signe pro à Monaco et que ma carrière n’est pas la même, on ne saura jamais… (Il n’a joué que deux matchs avec l’ASM, NDLR.)
Quel défenseur t’a posé le plus de problèmes ?
Luke Shaw. À l’époque, il était vraiment fort, rapide, très costaud. Mais en Premier League, ce sont les milieux de terrain qui m’ont le plus impressionné. Je me retrouvais souvent à défendre sur les 6. Et par exemple, un mec comme Nemanja Matíc était trop fort. Travailleur de l’ombre, top techniquement, toujours en mouvement. Je cours vite et j’ai quand même un peu de coffre, mais lui me faisait tourner en bourrique comme un enfant. Il y a aussi Pogba qui, avec Manchester, nous avait aussi mis une frappe de l’espace. Je me revois dire « wesh » à Alphonse Areola qui n’avait rien pu faire. Un pétard de fou.
Si Berbatov marque, peut-être que je signe pro à Monaco et que ma carrière n’est pas la même, on ne saura jamais…
L’adversaire le plus fort ?
De Bruyne, c’était dingue. Son duo avec Sterling… Sterling ne regardait même pas le ballon, il courait tout droit. Il tournait la tête une fois au moment de commencer son sprint et le ballon arrivait toujours dans sa course comme par magie. Il n’avait plus qu’à tirer. Et pour De Bruyne, peu importe la distance ou l’angle, ça paraissait facile.
Un coach t’a marqué ?
Chez les jeunes à Monaco, Frédéric Barilaro m’a beaucoup apporté. Et je ne m’en suis rendu compte qu’après. Sinon, j’ai bien aimé bosser avec Christophe Pélissier. Il était dans l’humain. Parfois, je n’écoutais pas trop, parfois j’arrivais en retard. Mais le coach me faisait confiance et il savait comment me parler. Et pareil pour son adjoint, Romain Poyet. De toute façon, tout roulait dans cette équipe. On était une équipe de petits revanchards du football.
Ça se caractérisait comment, ce côté revanchard ?
Un jour en Ligue 2, je ne sais plus contre qui, on fait une très mauvaise première mi-temps. Devant, on était un peu tranquilles, au petit trot. À la mi-temps, Richard Soumah pète les plombs. Il m’attrape et me dit : « Abou, tu joues à quoi, putain ? Ne joue pas avec mon pain, je vais te niquer ta race. » Dans la foulée, il demande au coach de sortir du vestiaire et commence à incendier tous ceux qui étaient un peu dilettantes, un par un. Derrière, on gagne et on a fait le reste de la saison avec le couteau entre les dents.
Tu te vois faire quoi après ta carrière ?
Franchement, je ne sais pas. Je vis un peu au jour le jour. J’aime bien les enfants, j’aimerais par exemple aider les jeunes footballeurs, les aiguiller, être une sorte de tuteur pour qu’ils évitent de tomber dans les pièges dans lesquels je suis tombé. Ou pourquoi pas même coach d’une équipe de jeunes. Mais bon, avant ça, j’aimerais bien me poser ici 2-3 ans parce que quand même, ça va bien un moment de toujours bouger.
Des nouvelles du possible retour de Paul PogbaPar Adrien Cornu, à Kanchanaburi





























