- International
- Luxembourg
Polémiques autour de la sélection de Gerson Rodrigues : le Grand tollé du Luxembourg
Sélection émergente du football européen, le Luxembourg connaît une polémique d’ordre national. Meilleur buteur de l’histoire des Roud Léiwen, Gerson Rodrigues a été condamné en appel pour violences sur son ex-compagne, mais continue d’être appelé par Luc Holtz, sélectionneur depuis 2010. Pour ne rien arranger, la fédération refuse la venue d’un journaliste à un point presse, sous prétexte que ses propos seraient une nuisance pour l’équipe. Plongée dans un Grand-Duché en plein crime de lèse-majesté.

27 mars 2021, Dublin. L’Aviva Stadium, encore vide pour raisons sanitaires, accueille un match de qualification à la Coupe du monde entre l’Irlande et le Luxembourg. Loin de l’équipe de Robbie Keane et Shay Given, les Boys in Green se trouvent bien démunis, et concèdent une cuisante défaite à domicile. Pour les Luxembourgeois, la lumière vient du meilleur buteur de son histoire, Gerson Rodrigues, qui sanctionne Gavin Bazunu à 20 mètres dans les derniers instants du match. Un symbole immense pour le Grand-Duché, découvrant que son équipe peut aspirer à mieux que prendre des corrections à chaque match. Depuis, la sélection frappée du Roude Léiw (le lion rouge, en luxembourgeois) a enchaîné les hauts et les bas, passant tout proche d’une qualification à l’Euro 2024.
Le but de l'exploit du Luxembourg en Irlande signé Gerson Rodrigues ⚽💪🔥 😍 Et en plus il est magnifique 🤩 Prochain rendez-vous face au Portugal 🇵🇹 mardi pour @flf_lu 🇱🇺 pic.twitter.com/CzGOWCqvfu
— UEFA EURO 2024 🇫🇷 (@EURO2024FRA) March 29, 2021
Quatre ans plus tard, alors que le Luxembourg accueillait la sélection irlandaise ce mardi pour un match amical achevé sur un 0-0, ce symbole se retrouve foulé aux pieds. En mars 2024, Gerson Rodrigues a été condamné à une peine de 18 mois de prison avec sursis, reconnu coupable de coups et blessures envers l’ex-Miss Luxembourg Émilie Boland, sa petite amie de l’époque. Sanction reconnue en appel fin avril 2025. Une faute grave pour celui déjà considéré comme un enfant terrible au pays, enchaînant les frasques jusqu’ici inoffensives. Des excentricités qui lui joueront des tours dans sa carrière, enchaînant seize clubs en dix ans, dont l’ESTAC, le dernier en date étant le club portugais d’AVS, aux côtés de Memo Ochoa. Cette violence domestique aurait pu être la sortie de piste de trop. La FLF, fédération luxembourgeoise de football, n’est pourtant pas de cet avis. C’est ainsi que dans la liste des joueurs retenus pour des amicaux contre la Slovénie et l’Irlande, on pouvait retrouver le nom de Gerson Rodrigues.
« Pseudo-politiciennes » et atteinte à la liberté de la presse
Interrogé par la presse, Luc Holtz, sélectionneur du Luxembourg, s’est défendu de ce choix polémique. N’ayant jamais été interdit par sa hiérarchie d’appeler Gerson Rodrigues (comme bon nombre de sélectionneurs ou coachs avec des joueurs sous le coup d’accusations dans des affaires de VSS), il s’est trouvé en droit de le faire. Une sortie qui ne convaincra pas une partie de l’opinion publique, ou des médias comme Le Quotidien. Premier média francophone du pays, le journal s’est fendu de multiples articles à ce sujet, aussi bien pour couvrir l’affaire que la chroniquer. C’est dans ses colonnes que Guy Hellers, ancien sélectionneur du Luxembourg, s’est insurgé : « J’exige que Rodrigues ne représente plus jamais le Luxembourg et que le président de la FLF démissionne ! » S’ajoute une chose rarissime pour le journal et dans ce pays dans lequel les scandales publics ne courent pas les rues : un éditorial consacré aux sports. Son auteur, Julien Mollereau, questionne la présence du joueur dans cette liste. « Quand il s’agit de se positionner sur une éthique et de parler du devoir d’exemplarité des joueurs qui portent le maillot du pays, tout le monde regarde chez le voisin. Et c’est très pratique : les journalistes finissent par arrêter de s’en soucier. »
Je trouve cela glaçant qu’un président de fédération remette en question la présence des journalistes, cela m’a estomaqué.
La FLF, elle, n’avait pas fini de s’en soucier. Au milieu de la nuit du 3 juin dernier, Julien Mollereau reçoit un appel. Un représentant de la fédération est au bout du fil. Sans trop revenir sur les raisons, il explique au journaliste qu’il ne pourra se rendre au point presse de la sélection le lendemain. Une décision appuyée par Luc Holtz, qui a de quoi sonner le principal intéressé : « À 46 ans, connaissant un peu ceux avec qui je travaille depuis plusieurs décennies, je me dis que ce n’est pas grave. Mais cela reste d’une violence inouïe. J’ai pu m’apercevoir que le sélectionneur étalait ses certitudes quand il avait des griefs. » Celui qui suit la sélection depuis 20 ans manquera le premier point presse de l’histoire du Luxembourg, permettant d’interviewer ses joueurs. Une situation s’apparentant à « un boycott » qu’il rend public dans un nouvel article. Paul Philipp, président de la FLF, a dû faire le tour des médias pour faire entendre la décision : « Luc Holtz a fait comprendre qu’il serait mieux que le journal Le Quotidien soit représenté par un autre journaliste que Monsieur Mollereau, lors du point presse. Évidemment, tout le monde est le bienvenu pour les conférences de presse. » Forcément, puisque refuser un journaliste en conférence de presse constitue une grosse entrave au règlement de l’UEFA. Et l’idée d’être bienvenu à cette conférence reste à revoir. « Paul Philipp a un lapsus : au départ il dit que “les journalistes seront les bienvenus”, puis s’est repris en disant “non, admis”, ajoute le rédacteur. Je trouve cela glaçant qu’un président de fédération remette en question la présence des journalistes, cela m’a estomaqué. »
De quoi remettre une pièce dans une machine : la polémique Gerson Rodrigues est devenue une affaire au rayonnement national. Ancienne tenniswoman et députée du Parti démocratique, Mandy Minella n’a pas manqué de s’exprimer pour RTL : « Un sportif a fonction d’exemplarité et une responsabilité vis-à-vis des jeunes. La Fédération luxembourgeoise de football doit adresser un signe fort, montrant que la violence n’est tolérée sous aucune forme. » Du tac au tac dans le Wort, le quotidien germanophone, Paul Philipp les traite, elle et d’autres députées, de « pseudo-politiciennes ». Des propos à côté de la plaque, mais montrant surtout l’archaïsme de la classe dirigeante. « Après tout ce qu’il y a eu avec #MeToo, c’est surréaliste que la FLF ne se rende pas compte de ce genre de choses. La fédé progresse à son rythme, tandis que la sélection a progressé à pas de géant. On est un peu dans l’amateurisme que dénonçait Maxime Chanot par le passé », considère Julien Mollereau.
Des incidents antérieurs entre presse et sélectionneur
Maxime Chanot ne serait-il pas au départ des relations houleuses entre Le Quotidien et la fédération luxembourgeoise ? Cadre des Lions rouges, le défenseur du Los Angeles FC a décidé de se mettre en retrait de la sélection à l’automne dernier. L’ancien de l’AC Ajaccio expliquait son choix par une relation difficile avec Luc Holtz, ce qu’il explique dans un communiqué transmis au Quotidien et à Julien Mollereau. « Chanot nous envoie ce communiqué sans nous dire s’il l’a envoyé à plusieurs médias. C’est un francophone, donc il est naturellement plus proche des journalistes francophones. » Holtz, qui dans sa version expliquait avoir renvoyé son joueur de lui-même, voit dans cette sortie une attaque personnelle de la part du joueur mais aussi du média.

Une théorie de la cabale médiatique que ne partage pas la plume du Quotidien : « Je l’ai dit et redit, et je l’écrirai encore à son départ : Luc Holtz est un grand sélectionneur du Luxembourg, qui a pu être placé sur la carte de l’Europe. Il a dû avoir la sensation qu’on voulait le dézinguer, qu’on voulait sa peau. » Les critiques du quotidien, même centrées sur le sportif, ont dû rajouter à cette cassure : « Ce que Luc Holtz n’a pas compris, c’est qu’il nous a poussés à être critiques. D’une sélection qui prenait 4 ou 5-0 tous les matchs, il en a fait une sélection professionnelle. Notre rôle n’est plus de seulement commenter les matchs, mais aussi de dire qu’elle pouvait faire mieux contre la Géorgie (en barrages pour l’Euro 2024, NDLR), qu’il aurait fallu un meilleur dispositif tactique, etc. »
Après la pluie, le temps des excuses
Contre la Slovénie le 6 juin dernier, l’heure n’était pas trop à la tactique mais plutôt à la crainte. Dans un contexte aussi tendu, ne devrait-on pas s’attendre à des débordements ? Cela n’a pas manqué. Ce sont une trentaine de militantes qui sont rentrées dans le pimpant Stade de Luxembourg, accompagnées de banderoles défendant les femmes face aux violences. « Une banderole était mal déployée et prêtait à confusion, pouvant porter un message trop politique. La société en charge de la protection du stade a fait du zèle, c’est-à-dire qu’ils ont arraché les banderoles au point que certaines militantes ont failli passer par-dessus la rambarde. Une en a même eu un doigt cassé », rapporte Julien Mollereau, présent au stade.
⚽ La polémique autour de la présence de Gerson Rodrigues s’est poursuivie en tribunes, vendredi soir au Stade de Luxembourg.https://t.co/7kHR7Oodvh
— L'essentiel (@lessentiel) June 6, 2025
Contre toute attente, la FLF a été capable de faire son mea culpa, publiant un communiqué priant de l’excuser pour ces derniers comportements : « Nous reconnaissons que des erreurs d’appréciation ont été commises tant dans la gestion que dans la communication autour de cette affaire. Nous présentons nos excuses les plus sincères à toutes les personnes qui se sentent offensées par cette affaire, à la victime de l’intervention des organes de sécurité du stade et au journaliste exclu par notre point presse. » En guise de bonne foi, la FLF a annoncé la création d’une commission d’éthique indépendante, ayant notamment pour objectif de réévaluer le dossier Gerson Rodrigues et d’en tirer « les bonnes conclusions ». Ce dernier s’est montré plus opaque dans sa communication. Sifflé par une partie du stade lors de l’amical contre la Slovénie, le meilleur buteur de l’histoire de la sélection a publié un post Instagram revenant en détail sur cette histoire.
Post Instagram Voir sur instagram.com
Entre des hommages à sa mère et à Luc Holtz, Gerson apporte des précisions sur sa relation difficile : « Ceux qui me jugent ignorent les nuits où je l’ai retenue de faire le pire, où j’ai essuyé ses larmes, où j’ai encaissé – en silence. Oui, j’ai pris des coups. » S’il respecte la décision de justice, le chemin semble long pour arriver à une situation qui contente tout le monde. Les membres féminins du LSAP (parti ouvrier socialiste luxembourgeois) ont par exemple maintenu leur credo, celui de vouloir la tête de Paul Philipp au sein de la fédération. Ce mardi, les manifestantes étaient une cinquantaine et les sifflets contre Gerson Rodrigues ont continué de fleurir, notamment du côté de la tribune irlandaise. Cette affaire montre au Luxembourg que pour développer l’engouement autour de la sélection nationale, les résultats ne sont pas les seuls juges de paix ; l’éthique et la communication ont aussi leur mot à dire.
La Belgique écrase le Luxembourg, mais perd Thomas MeunierPar Mathieu Plasse
Propos de Julien Mollereau recueillis par MP.