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Dans le foot anglais, la misogynie pas encore signalée hors jeu

Par Raphaël Brosse

Les dérapages récurrents de Joey Barton sur les réseaux sociaux en sont un reflet éloquent : l’Angleterre du football est encore en proie à une misogynie latente. Et ce, malgré la progression fulgurante de sa sélection féminine, championne d’Europe et vice-championne du monde en titre.

Chelsea manager Emma Hayes at the final whistle following the UEFA Women's Champions League semi-final first leg match at Stamford Bridge, London. Picture date: Saturday April 22, 2023. - Photo by Icon sport
Chelsea manager Emma Hayes at the final whistle following the UEFA Women's Champions League semi-final first leg match at Stamford Bridge, London. Picture date: Saturday April 22, 2023. - Photo by Icon sport

Il n’y a encore pas si longtemps, c’est sur le terrain qu’il distribuait des tacles appuyés. Désormais retraité et officiellement en retrait du monde du football, Joey Barton s’est trouvé un autre champ de bataille, à savoir X. L’ancien milieu de terrain passe beaucoup de temps sur le réseau social qu’on appelait autrefois Twitter. Et pour cause, il y mène une intense croisade. Contre les « woke », contre les antiracistes, contre ceux qui ont eu le malheur de suggérer la vaccination en guise de rempart face au Covid… Bref, contre beaucoup de monde. Mais sa cible principale est toujours la même : les femmes qui officient en tant que commentatrices ou consultantes sur des matchs de foot masculin. « Les femmes ne devraient pas pouvoir parler avec une quelconque légitimité des matchs masculins », dégaine-t-il début décembre. Un mois plus tard, il compare Lucy Ward et Eni Aluko, deux anciennes joueuses travaillant pour le diffuseur ITV, à Fred et Rose West, un célèbre couple de tueurs en série anglais. Un autre jour, l’ex de Manchester City et QPR indique qu’Aluko « est clairement dans la catégorie de Joseph Staline et Pol Pot. Elle a tué des centaines de milliers, voire des millions d’oreilles de fans de football, au cours des dernières années. » Et ce n’est qu’un échantillon.

On pourrait penser que Barton s’excite tout seul dans son coin. Qu’il n’est qu’un cas isolé, dans un pays où le football féminin et sa sélection ont connu une ascension fulgurante au cours des dernières années. Un Euro 2022 remporté à domicile, dans un Wembley en ébullition, une finale au Mondial 2023, un championnat national devenu très compétitif (et bien mieux vendu que la D1 Arkema), des stars renommées au niveau planétaire… A priori, tout cela devrait aider à faire évoluer les mentalités ou a minima faire comprendre que les femmes ont totalement leur place dans le foot anglais, que ce soit pour y jouer, y travailler ou, tout simplement, en parler. Sauf que Barton compte 2,8 millions d’abonnés et que ses publications aux relents sexistes sont abondamment relayées.

Barton, un troll qui nourrit le système

À tel point qu’ITV est montée au créneau pour défendre ses consultantes, étant rapidement soutenue par Gary Neville : « Mes filles regardent Salford City avec moi depuis 10 ans et aiment commenter le football, ma mère a été exclue de l’équipe de football et a arrêté de jouer à cause de la misogynie, ma sœur a lutté pendant des années pour obtenir des fonds pour son sport et mon frère a été moqué lorsqu’il a pris la tête de l’équipe féminine d’Angleterre. […] Tout cela ne fait que décourager et ce n’est pas la voie à suivre. » En juillet 2023, l’association Women in Football a même révélé que 82 % de ses membres – qui travaillent dans le foot – avaient été victimes de discrimination liée à leur genre. Pas de quoi surprendre Emma Hayes. « La réalité, c’est que le privilège masculin a toujours été au centre du football dans ce pays. J’ai le sentiment que le sport est le dernier endroit dans la société où ce privilège masculin existe », a commenté la future sélectionneuse des États-Unis, qui n’hésite pas à dénoncer l’existence d’une « misogynie systémique ».

Le football est le dernier endroit où les hommes peuvent être de “vrais” hommes, malgré les progrès réalisés en matière d’égalité des sexes dans d’autres espaces.

Stacey Pope, professeure à l’université de Durham

Cette notion est justement mise en évidence par les travaux de Stacey Pope. « Dans de nombreux endroits du monde, le football est considéré comme étant le dernier bastion de la domination masculine, explique celle qui est professeure au département des sciences du sport et de l’exercice à l’université de Durham. C’est le dernier endroit où les hommes peuvent être de “vrais” hommes, malgré les progrès réalisés en matière d’égalité des sexes dans d’autres espaces. » L’universitaire, qui a écrit plusieurs ouvrages académiques sur le sujet, a publié en 2022 une étude menée auprès de fans de football masculins britanniques, afin de comprendre leur rapport au sport féminin à un moment où celui-ci bénéficiait d’une exposition médiatique accrue. « Les hommes ayant une attitude progressiste ont montré un fort soutien à l’égalité dans la couverture médiatique du sport féminin, nombre d’entre eux affirmant que la Coupe du monde 2015 avait été un tournant positif, expose la professeure Pope. Une plus grande visibilité du sport féminin était considérée comme un moyen de changer les attitudes pour le mieux, d’inspirer les filles au niveau local et de remettre en question les idées reçues sur la prétendue infériorité des femmes dans le sport. » Néanmoins, les hommes ayant une « attitude progressiste » n’ont représenté qu’un quart (24%) du panel, contre 68 % ayant une « attitude ouvertement misogyne ». Les 8 % restants « exprimaient des attitudes progressistes en public, mais révélaient dans des moments plus privés des visions misogynes du sport féminin ».

Sara Däbritz (Allemagne) au duel avec Rachel Daly (Angleterre) en finale de l’Euro 2022.
Sara Däbritz (Allemagne) au duel avec Rachel Daly (Angleterre) en finale de l’Euro 2022.

« Les résultats reflètent une société patriarcale dans laquelle la misogynie reste monnaie courante », constate donc Stacey Pope, qui a recueilli des témoignages très variés au sein des individus les plus opposés au sport féminin. « Certains suggéraient que les femmes ne devraient pas participer à des sports du tout, ou si elles le faisaient, ce devrait être des sports “féminins”, comme l’athlétisme, relate-t-elle. Il y avait également une extrême hostilité à l’égard de la couverture médiatique croissante du sport féminin, considérée comme une “discrimination positive” ou une “absurdité”. » La chercheuse remarque malgré tout que la plus grande médiatisation du football féminin a eu un impact positif et plaide, par conséquent, en faveur d’une « couverture plus équitable entre les sexes ». Tout doucement, les mentalités évoluent, mais le combat s’annonce encore long. Et tant pis si cela suscite l’ire de Joey Barton.

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Par Raphaël Brosse

Propos de Stacey Pope recueillis par RB.

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