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Cristian Rodríguez : « J’étais trop jeune pour jouer au PSG »
Milieu offensif du CA Peñarol acheté par le PSG en compagnie de l’attaquant Carlos Bueno à l’été 2005, Cristian Rodríguez vient de quitter une deuxième fois son club formateur à 35 ans. Après deux heures et demie de trajet entre Colonia et Montevideo, l’heure était venue de discuter avec La Cebolla (L’Oignon, en VF) sur son rendez-vous manqué parisien. Entretien avec la larme à l’œil.
Bonjour Cristian ! Au total, tu as passé neuf années en tant que professionnel au sein du CA Peñarol. Comment vas-tu depuis ces adieux avec ton club de cœur ? Depuis tout petit, je suis un garçon de Peñarol. J’ai eu l’opportunité de débuter en équipe première à mes dix-huit ans, et l’opportunité de partir en France est arrivée très tôt. Cependant, je n’ai jamais oublié mes racines et la barrière de la langue, la différence des traditions, l’éloignement de ma famille m’ont rendu les choses très difficiles. Douze ans après cela, j’ai pu revenir au pays. C’était un réel accomplissement personnel parce que j’avais encore un très bon niveau. J’ai joué pendant deux saisons, et nous avons remporté le championnat deux fois consécutivement, j’ai terminé meilleur joueur du championnat à la fin de la première saison. Je n’ai jamais été un très grand buteur, mais j’ai quand même pu inscrire plus de quarante buts (41 sous le maillot des Carboneros, NDLR). Tout cela me remplit de joie. Dernièrement, la pandémie et le championnat perdu rendent la situation plus compliquée. Mon contrat s’est terminé et, sans public, ce n’était évidemment pas les adieux que j’imaginais. Mais bon, il faut savoir l’accepter. J’aimerais beaucoup revenir au stade quand le public sera de retour, mais je ne sais pas encore si cela sera possible. Aujourd’hui, quand je vois ce que j’ai accompli dans ce club, j’en suis très heureux.
En France, on s’est même mis à saluer ta fin de carrière. Tu la confirmes ? Absolument pas ! C’est une fausse information qui a pris de l’ampleur. Je compte encore jouer une ou deux saisons dans une autre équipe professionnelle, de manière un peu plus tranquille. Quand tu joues pour Peñarol et que tu es désigné capitaine, cela te délègue un maximum de responsabilités. Dès que tu perds ou que tu es blessé pour une raison ou une autre, tu es directement pris pour cible. Maintenant, j’ai deux filles et je souhaite en profiter pleinement sans avoir de pression. L’objectif, c’est de rester dans le football, mais en ne gardant que le plaisir. J’ai eu des offres intéressantes de l’étranger, mais l’idée est de rester en Uruguay.
Le deuxième club où tu as joué après ta formation à Peñarol, c’était le Paris Saint-Germain entre juillet 2005 et août 2007. Cela ne s’est pas fait dans la facilité, puisque tu avais été suspendu à titre provisoire par l’équipe nationale d’Uruguay. Comment avais-tu vécu la chose à seulement dix-neuf ans ?C’était dur. J’avais reçu l’étiquette de rebelle depuis mon pays d’origine et j’étais devenu insélectionnable. Heureusement, cela n’a pas été vu de la même façon en Europe. Je suis parti avec mon représentant, mais je sentais que cela ne plaisait pas à mon institution. L’affaire a duré de longs mois (la FIFA a gelé les transferts de Rodríguez et Bueno jusqu’en novembre en raison de contestations du CA Peñarol, NDLR), c’était assez déstabilisant, car je ne faisais que m’entraîner, et dans le même temps, je voyais que mon nouveau club ne faisait pas trop confiance aux jeunes. Après une période plus calme, les choses sont rentrées dans l’ordre : j’étais de nouveau considéré comme un footballeur uruguayen apte à jouer pour mon équipe nationale et j’ai pu passer seize années à évoluer dans la sélection. Là encore, je suis heureux d’avoir pu participer à quatre phases de qualification à la Coupe du monde, deux Mondiaux et quatre Copa América. C’est une fierté.
Comment occupais-tu ton temps libre à Paris, pendant cette période de flottement administratif ? À la fin de la première semaine, j’avais envie de rentrer au pays. Ça me manquait tellement ! Je ne parlais pas la langue, il faisait plutôt froid, et les réseaux sociaux de l’époque étaient très limités. Instagram, Facebook ou les discussions vidéo par téléphone portable, cela n’existait pas. Mais après quelques semaines, tu commences à te faire à ce nouvel environnement. J’habitais à Chambourcy, tout proche du centre d’entraînement. La famille ou les proches venaient me voir régulièrement. Je leur demandais ce qu’ils voulaient faire et tous me répondaient : visiter la tour Eiffel ! Honnêtement, j’ai dû la faire une vingtaine de fois. À la fin, j’en avais marre ! (Rires.) C’était comme ma deuxième maison. En vérité, c’est dommage parce que je n’ai pas pu profiter du reste. J’étais jeune et je ne mesurais pas encore l’importance culturelle de cette ville. Par exemple, j’adorerais découvrir le musée du Louvre aujourd’hui. Je suis passé mille fois devant et je n’y prêtais pas attention. Quand je vois des films qui se passent à Paris, je me dis que j’aurais dû plus en profiter. Quand cette pandémie sera terminée, il faut que j’y retourne !
Sur le plateau de l’émission Le Vestiaire sur RMC, le capitaine de l’équipe réserve, Saad Ichalalène, avait révélé que tu arrivais souvent en retard à l’entraînement parce que tu passais beaucoup de temps sur des sites de rencontres uruguayens. C’est vrai ? Non, ce sont des mensonges. J’étais jeune et je ne recherchais par encore l’amour. Le seul endroit que je connaissais, c’était Saint-Germain-en-Laye. Je me rappelle qu’on commandait toujours le même plat parce qu’on ne parlait pas bien français : un morceau de viande « bien cuit » (prononcé en français, NDLR), du riz et de la salade. C’est vrai que je n’aimais pas aller en équipe réserve parce que je me sentais comme un joueur professionnel qui avait déjà joué pour l’équipe nationale d’Uruguay et j’aspirais à jouer en première division, mais je n’arrivais pas en retard aux entraînements. D’ailleurs, je me souviens bien que Yepes et Pauleta demandaient toujours à Guy Lacombe la raison pour laquelle je ne jouais pas plus souvent dans l’équipe. Ils souhaitaient que l’entraîneur ait plus confiance en mes capacités. Je serai toujours reconnaissant envers eux pour ce soutien qu’ils m’ont apporté pendant mes années à Paris.
Tu avais été transféré en compagnie de l’attaquant Carlos Bueno. Vous étiez restés solidaires pendant ces premiers mois difficiles à Paris ? Totalement, on s’est aidés mutuellement. Sincèrement, on trouvait que les Français étaient très froids et ils ne faisaient pas d’efforts pour essayer de nous comprendre. La prononciation des mots était différente, et nous ne nous sentions pas vraiment accompagnés par le club durant cette période d’adaptation. Du coup, on compensait ce manque avec de bons matés, cela nous faisait du bien. J’ai aussi le souvenir que dans cette période compliquée, le public du Parc des Princes me faisait chaud au cœur. Cela venait des tribunes. (Il chante.) « Rodriiiiguez, Rodriiiiguez, Rodriiiiguez ! » C’était impressionnant. L’entraîneur ne comptait pas sur moi, mais le public scandait mon nom pour me voir entrer sur la pelouse ! Et finalement, il avait fini par céder en me laissant une chance.
À quoi cela était-il dû d’après toi ?Le seul soutien que j’avais, c’était celui du public. Les gens sentaient que j’étais un joueur différent avec une envie débordante. Mais comme je l’ai dit, l’entraîneur ne faisait pas confiance aux jeunes. C’était sa manière de procéder, mais le public n’y était pas favorable. Aujourd’hui, je reste en contact avec Carlos Bueno et nous nous en rappelons encore.
Le 3 décembre 2005, l’entraîneur Laurent Fournier t’offre ta première apparition avec Paris contre l’OL. Qu’est-ce que tu ressens à ce moment-là ? Il y a beaucoup d’émotion. J’ai ressenti une sorte de soulagement, car j’étais venu au PSG pour jouer au football et j’avais dû patienter pour y arriver. Cette situation frustrante constituait un stress à un niveau personnel. Tout ce que nous avons dû faire avec des avocats pour aller défendre mon cas à la FIFA… Vivre cela à 19 ans, ce n’est pas agréable. Mais grâce à Dieu, le football est revenu par la suite. Paris est une grande équipe européenne avec l’ambition de gagner un maximum de titres. Fouler la pelouse du Parc des Princes était un sentiment merveilleux, car c’est l’un des plus beaux stades du monde. Les Boulogne Boys, Auteuil… J’ai encore ces images qui me viennent en tête, c’était très beau et j’ai apprécié cette ambiance.
Tu remportes la Coupe de France en 2006, même si tu n’es plus dans l’équipe à partir des quarts de finale. Qu’est-ce que tu gardes de cette époque ? C’est une satisfaction au goût amer. J’avais démarré la compétition en tant que titulaire et progressivement, je ne rentrais plus dans les plans de l’équipe. L’entraîneur (Guy Lacombe, NDLR) avait décidé de faire tourner son équipe en semaine pour laisser ses titulaires habituels jouer le week-end. J’étais très heureux de voir mon équipe remporter le trophée, mais je n’étais même pas convoqué pour la finale. Franchement, je m’étais donné dans cette compétition et j’aurais pu au moins être sur le banc en guise de récompense… Cela m’a beaucoup affecté. L’année suivante, Paul Le Guen souhaitait me conserver, mais personnellement, j’avais besoin de temps de jeu. C’est pour cela que je suis parti au Benfica.
Guy Lacombe parlait de toi comme d’un « joueur de rue ». Est-ce que tu te rendais compte que le football européen était bien différent que celui que tu connaissais en Amérique du Sud au niveau de l’exigence et de la discipline ? Guy Lacombe ne me voulait pas au club. Il faisait plus confiance à mon compatriote Bueno qui était plus âgé. Comme je manquais d’expérience, je n’avais pas sa confiance. Je bossais quotidiennement et je souhaitais faire mes preuves à l’entraînement, mais je devais aussi respecter le choix de l’entraîneur. Cela dit, il est clair que le football européen est différent de celui que je connaissais. L’intensité, la manière de pratiquer le football et la qualité des effectifs ne sont pas les mêmes, les terrains sont de meilleure qualité, mais la passion se vit aussi différemment, je la ressens plus forte en Amérique du Sud.
Physiquement, tu n’étais pas non plus hyper mince… J’étais petit et corpulent, c’est vrai. Mais j’avais beaucoup de puissance dans mes jambes et mes appuis me permettaient de marquer une différence. Dans toutes les équipes où j’ai pu jouer, c’était ma marque de fabrique.
C’est vrai que ça t’arrivait de manger dans le vestiaire avant les entraînements ? Non, ce sont encore des mensonges. À mon avis, ces fausses informations proviennent de personnes qui ne m’aimaient pas beaucoup. C’est possible que cela soit sorti parce que je jouais plus qu’eux dans l’équipe première !
Qu’est-ce qui t’a manqué pour réussir au PSG ? J’étais trop jeune. Je crois que c’est la principale explication parce que j’avais envie de jouer plus souvent dans l’équipe, mais cela ne pouvait pas se matérialiser concrètement. Honnêtement, je pense que j’avais les capacités pour m’imposer, mais il fallait simplement me donner plus de temps de jeu. C’est pour cela que j’ai décidé de choisir Benfica qui me laissait l’opportunité de jouer en Ligue des champions et faire mes preuves en Europe.
Quand tu vois un entraîneur comme Mauricio Pochettino sur le banc, Leandro Paredes, Ángel Di María ou Neymar sur le terrain : cela fait beaucoup de Sud-Américains ! Penses-tu qu’une ambiance aussi latine aurait facilité ton intégration ? C’est fort possible. Quand tu vois les clubs où je suis passé en Europe ensuite, il y avait toujours une ambiance sud-américaine et c’était important, même si cela ne m’empêchait pas de bien m’entendre avec les Européens aussi. J’ai passé douze ans sur ce continent, c’est une longue période. À Paris, c’était un autre contexte. Cela dit, l’équipe actuelle du Paris Saint-Germain est plus forte que celle que j’ai connue et j’ai l’impression que leur groupe s’entend bien dans l’ensemble. C’est essentiel pour réaliser de bonnes performances.
Qu’est-ce qui sépare le PSG actuel de celui que tu as connu ?Oh, beaucoup de choses. Les salles d’entraînement, les contrats et le prix des transferts déjà ! Mais aussi le public : la manière dont les deux virages se répondaient et la ferveur que cela suscitait, c’était très stimulant. Cela fait un moment que je n’y suis pas retourné, mais j’imagine que ces changements ne se résument pas à cela uniquement.
Avec l’effectif actuel du Paris Saint-Germain, tu as l’impression que cette équipe peut aller chercher la Ligue des champions en fin de saison ? Paris a toutes les cartes en main pour remporter la Ligue des champions. Ils ont la capacité, la qualité et l’expérience pour aller au bout cette année. Ils possèdent des joueurs internationaux à tous les postes, mais il faut aussi savoir que dans un match, il peut tout se passer. C’est pour cela qu’il faut toujours rester vigilant. Parmi les quatre équipes restantes dans la compétition, j’aimerais logiquement que Paris puisse soulever le trophée.
Est-ce que tu es prêt à voir la double confrontation contre Manchester City avec un maillot du PSG sur les épaules ? Tu peux être sûr que je vais regarder cette demi-finale et que je vais souhaiter que Paris passe, mais je porterai le maillot de Peñarol ! (Rires.)
Propos recueillis par Antoine Donnarieix