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Christophe Jallet : « Je peux être un sale con quand je n’ai rien à faire »
Pendant des années, il a assisté les buteurs depuis son couloir. Retraité en 2020, Christophe Jallet assiste désormais aux plus grandes affiches depuis un poste de commentateur. Une fonction de consultant sur Canal+ que l’ancien international français a endossé naturellement, notamment par peur du vide.
Comment te sens-tu dans ce rôle de consultant ?
Très bien. Comme j’avais eu pas mal de propositions bien avant que ma carrière ne s’arrête, l’idée a eu le temps de germer dans ma tête. Ce que j’aime, c’est d’avoir un pied dans le terrain et un autre en dehors, de continuer sur un rythme de vie proche de celui que j’avais auparavant. J’y ai pris goût assez rapidement et je suis heureux à chaque fois que je commente un match.
Qu’as-tu appris en passant de l’autre côté de la barrière ?
Quand on est joueur, le seul truc qu’on voit, ce sont les questions qu’on nous pose. Un soir de défaite, ça peut faire chier de répondre à certaines, il y a la tentation de vouloir se protéger. Mais quand tu passes de l’autre côté, tu vois tout ce qui est mis en œuvre pour que le maximum d’informations puisse être donné, toutes les personnes qui travaillent sur un événement… tant de choses qui n’entrent pas en ligne de compte quand tu es acteur du match. Je trouve que ça fait du bien aussi de voir tout ça, et j’ai eu raison d’être bienveillant avec tout ce monde-là parce qu’ils font juste leur taf. Il y a toujours une barrière entre les joueurs et les journalistes, alors qu’on est dans le même bateau.
En gros, j’étais un bon client. Radios ou télés me disaient : “Si tu ne sais pas quoi faire dans dix ans, tu pourras nous appeler.”
Qu’est-ce qui a poussé ces médias à te faire ces propositions ?
Pendant ma carrière, ça ne m’a jamais dérangé de parler aux journalistes, même à ceux qui ne m’appréciaient pas. Ils peuvent te critiquer, il n’y a pas de mal en soi parce qu’on est des personnages publics et ça fait donc partie du job, on a un devoir de représentation. Et moi, j’étais un bon client, en gros. Radios ou télés me disaient : « Si tu ne sais pas quoi faire dans dix ans, tu pourras nous appeler. » C’était une sorte de rengaine, et finalement, c’est ce qui s’est produit.
Que penses-tu apporter à un match ?
J’essaye de retranscrire ce que je vois, de faire passer mes émotions, d’être juste dans mes analyses. Comme tout le monde, je peux me tromper : la vérité d’une minute peut très vite être remise en question, donc il faut être cool par rapport à ça. On a beau savoir s’exprimer avec aisance, parler de soi et parler des autres, ce n’est pas pareil. C’est ça que j’ai appris au tout début. Donner une analyse de ses propres performances ou de celles de son équipe, c’est une chose ; être dans une position de juge en est une autre. Ça peut vite être malsain, mais à partir du moment où c’est bien fait et bien dit, sans animosité, on peut tout entendre.
Tu as suivi une formation ?
Non. Quand j’ai commencé, on m’a dit tu vas commenter Dijon-Angers, deuxième match de la première journée de Ligue 1 (le 22 août 2020, 0-1 pour SCO, NDLR), et c’est parti. J’étais avec Julien Brun et Nicolas Douchez, et dans le train, je n’arrêtais pas de leur poser des questions parce que je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Ce n’est pas pareil que d’être invité dans une émission où on va te poser des questions sur ce que tu connais le mieux. Là, il y a une rythmique, des habitudes, du matériel, plein de choses à prendre en compte.
Comment ça se prépare, un match ?
C’est justement Julien Brun qui m’a transmis sa méthodologie, donc j’ai repris sa trame en ajustant à ma manière. J’aime bien avoir certaines informations comme ce qu’il s’est passé avant, l’environnement des clubs, leurs dernières prestations, les habitudes de certains joueurs… Il y en a certaines que je n’aurais pas l’occasion de sortir, mais au moins je les ai, et quelque part ça permet d’arriver en confiance. Et puis si tu arrives les mains dans les poches, tu vas t’en sortir une fois, mais sur la longueur tu ne tiendras pas.
Lizarazu, Beye, Boulleau, toi : les latéraux sont prédisposés à devenir consultants ?
(Rires.) Bah oui, comme on est dans un coin, on a tout le terrain face à nous, on sait se projeter.

Le rapport avec le journaliste, c’est comme travailler ses automatismes avec son ailier dans le couloir ?
Comme dans le foot : c’est la force de l’habitude. Plus tu fais de matchs, plus tu es connecté avec ton partenaire. C’est ce qui fait le charme et la beauté de commenter à deux. Une fois que tu as fait dix ou quinze matchs avec quelqu’un avec qui tu t’entends bien, tu connais son ton, tu sais quand il va s’arrêter, quand il va reprendre, quand il va te lancer. En fait, pendant 90 minutes, je n’ai pas besoin de regarder François (Marchal, son binôme sur Canal+), on se trouve les yeux fermés.
Tu pourrais terminer ses phrases lorsqu’il s’enflamme sur un but…
Ah non, ça, je le lui laisse, je n’ai pas son vocabulaire ! (Rires.) En général, après un but, je laisse le temps de la digestion, et je reprends au moment des ralentis pour avoir le commentaire le plus juste.
J’ai joué cinq ans à Paris, j’ai une affection particulière pour ce club, mais lors d’un PSG-Marseille, je ne peux pas prendre parti. Je ne suis pas là pour moi.
Est-il possible de ne pas mettre d’affect dans ton commentaire ?
J’ai joué cinq ans à Paris, j’ai une affection particulière pour ce club, mais lors d’un PSG-Marseille, je ne peux pas prendre parti. Je ne suis pas là pour moi. Je suis là pour les gens. Si c’est pour en énerver la moitié et qu’ils n’aient plus envie de m’écouter, c’est contre-productif. Il y a un temps pour tout, et je dois commenter le match de façon équitable. En revanche, quand on est en Coupe d’Europe, c’est le seul cas où il peut y avoir un parti pris et être pour le club français, sans non plus être dans la démesure. Quand j’ai commenté Marseille contre Newcastle, j’étais hyper heureux de les voir gagner.
Y a-t-il des choses qui te manquent de la période où tu étais joueur ?
Quand tu as connu des moments de tension ou de joie, ça manque toujours un peu. Le couloir, le terrain, l’engouement populaire… Mais soit tu as tourné la page, soit pas du tout. J’ai la chance d’être resté dans le même univers, mais je sais que c’était fini pour moi. J’ai pris de moi-même la décision d’arrêter, donc il n’y a pas de regrets. J’avoue, quand tu es en bord de terrain avant une finale de Ligue des champions, ça peut te titiller, mais ça ne va pas plus loin.

Les matchs s’enchaînent aussi au micro, avec les voyages que ça implique : tu n’avais pas envie de te poser un peu, après 20 ans à courir dans tous les sens ?
Je me suis toujours dit que le jour où j’arrêterais le foot, il fallait que j’enchaîne vite sur quelque chose parce que je déteste le vide. Ne rien faire, ça aurait été trop dur pour moi. Je peux être un sale con quand je n’ai rien à faire. J’ai toujours besoin d’être en action. C’est ma famille qui pourrait te le dire. Quand je suis arrivé en fin de contrat à Nice (en 2019), je suis resté sans club pendant un mois, et là, c’était cool pour personne : ni pour moi, ni pour mon entourage. Ça m’a servi de leçon. C’est pour ça que j’ai décidé d’être consultant avant de dire à mon club que j’arrêtais, histoire d’être sûr de ne pas avoir de trou.
Tu avais peur de la tourner, cette page ?
Aujourd’hui, on parle de dépression pendant la carrière, mais il y a aussi celle qui peut arriver après. Quand tu as toujours été dans l’adrénaline et dans la compétition, le moment où tu te retrouves sans rien est difficile à gérer. Il y a un vide qui se crée et qui est dur à combler. Certains vont se dire qu’ils n’ont pas pu profiter pendant toutes ces années, à être toujours entre deux avions, à enchaîner les entraînements et les matchs, et qui veulent couper pendant un ou deux ans avant de repartir sur autre chose. C’est un truc commun à plusieurs footballeurs : si tu commences à réfléchir, il y a le risque de ressasser ce que tu as vécu et auquel tu n’auras plus accès. Quoi que tu fasses, ça ne sera plus jamais pareil. Le mieux, c’est de ne pas y penser et d’anticiper ton après-carrière.
Depuis septembre, tu es aussi devenu adjoint de Gérald Baticle chez les espoirs. C’est une manière de garder contact avec le terrain, avec du concret ?
J’avais déjà été sollicité par Patrick Vieira quand il était à Nice. Il voulait absolument que je sois dans son staff pour gérer les jeunes élite, ceux qui ne sont pas encore entrés dans le groupe pro. J’avais refusé parce que je voulais encore jouer, mais c’est lui qui m’a mis ça en tête. Et là, l’occasion fait le larron : j’ai été contacté, je connaissais Gérald depuis Lyon, et je me suis lancé dans l’aventure. Ça m’a fait trop du bien de retrouver un vestiaire et la compétition. Là, j’ai encore franchi une autre barrière, mais avec plus de maîtrise sur les événements. On a une vraie relation de staff, chacun sa place, du moins assez pour apporter sa contribution.

Comment ça se passe avec la nouvelle génération ?
On a la chance d’avoir un groupe très mature et talentueux. J’avais ressenti un décalage avec la jeunesse à la fin de ma carrière. Depuis que j’ai arrêté, j’y étais moins confronté, même si ma grande fille a bientôt 18 ans, mais ce n’est pas pareil. Là, je vois qu’il y a eu beaucoup de progression en matière de professionnalisme, de rigueur, d’intelligence, de tactique, avec des gens investis dans les projets. Bon, l’équipe de France espoirs, c’est l’élite, et je côtoie des joueurs qui ont des ambitions. Ils se rendent compte qu’à 19-20 ans, on n’est plus jeune, et il faut déjà penser à se comporter en adulte. Ça, ce n’était pas le cas quand j’ai arrêté il y a cinq ans.
Toi, tu es arrivé en Ligue 1 à 24 ans, c’est un autre type de parcours.
C’est vrai qu’eux sont déjà dans le circuit à cet âge-là. Je leur dis qu’ils ont de l’avance par rapport à beaucoup de personnes, qu’il ne faut pas gâcher et continuer à travailler.
Est-ce que depuis la fin de carrière, tu fais des choses que tu ne te permettais pas avant ?
Non, je suis resté le même, avec les mêmes qualités et les mêmes défauts, malheureusement. (Rires.) Il y a eu le padel pour garder goût à la compétition, mais aujourd’hui, je n’ai pas le temps de grand-chose à part travailler. Ma famille ne me voit qu’en coup de vent entre l’équipe de France, les diplômes d’entraîneur et Canal. C’est un planning bien chargé, mais je ne peux pas renier ce que j’aime.
Zack Nani diffusera seul les BleuetsPropos recueillis par Mathieu Rollinger


























