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Charles Reep, le père du Long ball

Par Nicolas Jucha
Charles Reep, le père du Long ball

Le kick and rush fait partie de l'ADN du football anglais. Même si aujourd'hui, cette stratégie semble révolue au plus haut niveau, pendant de nombreuses décennies, elle a été une marque de fabrique sous une forme élaborée appelée long ball. Sa crédibilité, elle la doit avant tout à Charles Reep, un ancien pilote de la Royal Air Force.

Mars 1950, le 18 pour être plus précis, dans les tribunes d’un banal Swindon Town-Bristol Rovers. Un spectateur se démarque de tous les autres : il n’est pas venu se divertir, il est en passe d’écrire l’histoire. Cet homme, c’est Thorold Charles Reep, commandant d’escadron dans la Royal Air Force et vétéran de la guerre. Armé d’un crayon et d’un bloc notes, il commence alors – à partir de la seconde mi-temps du match – à compiler des données. 2500 matchs plus tard, le bonhomme a tiré quelques conclusions : 80 % des buts sont marqués sur des actions de trois passes ou moins, 60 % des buts sont marqués sur des mouvements démarrant dans les trente derniers mètres adverses… Des chiffres a priori anodins, mais qui vont marquer un demi-siècle de football anglais.

Kick and rush, long ball et Herbert Chapman

« Le principe général de Charles Reep, c’est que le ballon doit être envoyé dans le dernier tiers du terrain aussi vite que possible et maintenu dans cette zone le plus longtemps possible » , résume Richard Pollard, auteur d’une biographie de Charles Reep pour le Journal of Sports Sciences. La théorie peut se découper en quatre axes : plus on passe de temps à proximité de la surface de réparation adverse, plus on augmente ses chances de marquer, plus on frappe au but, plus on a de chances de marquer (un but pour une moyenne de huit tirs selon Charles Reep), il ne faut pas garder la balle derrière, mais l’envoyer rapidement devant à chaque récupération, dans les POMO (Positions of maximum opportunities), et enfin, plus on fait de passes, plus on augmente la probabilité de perdre la balle. Or une perte de balle est une attaque en moins. Lecteur espagnol, s’abstenir. Tout ça, c’est la théorisation du kick and rush, même si les futurs adeptes prendront bien garde de refuser ce terme, au profit du moins péjoratif « long ball » .

À la base, Charles Reep est un fan de la méthode Herbert Chapman avec Arsenal, le fameux WM et son jeu ultra direct. Le militaire a été séduit en 1933 par une conférence du capitaine londonien Charles Jones, ses explications sur les schémas chapmanien et l’utilisation des statistiques dans la préparation. Sauf que comme l’écrira plus tard Bernard Joy dans son livre Soccer Tactics, Imitation of Arsenal’s Tactics Brings in Kick-And-Rush Football. Et c’est exactement ce que va produire Charles Reep : une théorisation de la tactique la plus rustre de l’histoire du football. Mais pour imposer une philosophie, encore faut-il un public et des faits d’armes.

Brentford, Wolverhampton, les laboratoires de Charles Reep

Un modeste club de division 2, Brentford, lui offre son opportunité en février 1951 : alors qu’il reste 14 matchs à jouer et que le club est sur la corde raide, il décroche 20 points sur 28 possibles tout en augmentant son efficacité offensive grâce aux conseils de Reep. Pur hasard ou vrai génie ? Charles Reep gagne en légitimité et repart pour une nouvelle croisade statistique entre 1953 et 1967, cette fois-ci accompagné de Bernard Benjamin, patron de la Royal Statistical Society. L’Angleterre a beau se faire dérouiller à Wembley par la Hongrie de Puskás le 25 novembre 1953 (6-3), Charles Reep décide de persévérer. Aux côtés de Stan Cullis, coach de Wolverhampton, il approfondit ses méthodes visant à développer le jeu direct ultime. L’entraîneur des Wolves explique la philosophie du duo : « Nous insistons pour que chaque joueur en possession du ballon lance une attaque le plus vite possible, nos attaquants ne sont donc pas« encouragés »à exhiber leurs aptitudes de manière ostentatoire, ce qui ravirait une petite partie du public au prix de notre efficacité. Le nombre d’occasions de but est en lien direct avec le temps passé par le ballon devant les cages adverses. » Et encore une fois, les faits semblent donner raison à Reep.

Le 13 décembre 1954, Wolverhampton, meilleure équipe anglaise du moment, accueille le Honved Budapest, qui compte six internationaux ayant marché sur l’Angleterre un an avant, dont Puskás et Kocsis. Devant les 55 000 spectateurs entassés à Molineux, les Wolves l’emportent 3-2 et font dire à la presse que les Anglais et leur « long ball » sont les champions du monde, car ils ont terrassé ce qui est censé être l’équipe de référence du continent… Or, ce qui est présenté comme la victoire d’un système n’est probablement que celle du pragmatisme sur les principes rigides, comme l’écrit Jonathan Wilson dans son livre référence sur les tactiques du football Inverting the pyramid : le matin du match, Cullis a repensé à la manière dont la Hongrie avait souffert dans la boue lors de la finale du Mondial contre l’Allemagne de l’Ouest. Il a donc envoyé trois stagiaires, dont Ron Atkinson, pour arroser la pelouse. « On pensait qu’il avait perdu la tête, car c’était décembre et il n’avait pas cessé de pleuvoir pendant quatre jours » (source : la biographie de Cullis écrite par Jim Holden). Résultat, les conditions de jeu se dégradant au fil du match, les joueurs du Honved ne pouvaient plus développer leur jeu au sol, alors que le jeu aérien des Anglais n’était pas affecté…

Cullis, Graham Taylor et le Crazy Gang, les apôtres

Il était sûrement écrit que l’Angleterre devrait vivre un certain temps avec le kick and rush, ou long ball pour ses partisans, que ce soit par conviction ou par nécessité. Car si les idées de Charles Reep sont assez généralement critiquées en Angleterre – When Saturday Comes l’a surnommé « le sombre secret du foot anglais » -, elles n’en continuent pas moins de survivre : avec le Wolverhampton de Stan Cullis dans les années 50, puis dans les années 80 avec le zèle de Charles Hughes – futur DTN anglais qui imposera cette tactique dans toutes les sélections -, mais aussi les succès du Watford de Graham Taylor et du Crazy Gang de Wimbledon. Richard Pollard se souvient qu’il a également contribué à l’exportation des idées de Charles Reep lorsqu’il présenta ce dernier à Egil « Drillo » Olsen, alors sélectionneur de l’équipe de Norvège et partisan du jeu direct. C’était en 1993, année charnière dans l’histoire du football anglais avec l’élimination de l’Angleterre de Graham Taylor de la course au Mondial 94, et la naissance de la Premier League, qui allait ouvrir la perfide Albion à une réelle influence tactique européenne.

Il aura fallu beaucoup de temps au football anglais pour laisser de côté des principes de jeu d’une autre époque, et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir été prévenu. En 1960, après une victoire 4-0 de son Barça sur Wolverhampton en quart de finale aller de Coupe d’Europe, Helenio Herrera se moquait en ces termes du foot anglais : « Vous, en Angleterre, jouez un football que nous, les continentaux, utilisions il y a de nombreuses années, avec avant tout de la force physique, mais aucune méthode, aucune technique. Quand on parle de football moderne, les Britanniques ont loupé l’évolution. Les Anglais sont vraiment des créatures routinières : tous les jours, thé à cinq heures ! » Et pourtant, certains héros du foot anglais comme Bob Paisley, mythique manager de Liverpool, avait déjà compris dans les années 70 : « On abordait chaque match comme une guerre. La force du jeu britannique résidait dans les duels, mais les continentaux nous ont pris de vitesse en apprenant à intercepter. » Ironie de l’histoire ou preuve de la capacité de contagion des idées de Charles Reep, trois mois avant sa mort en 2002, le premier sélectionneur étranger de l’équipe nationale anglaise, Sven Göran Eriksson, faisait écho aux théories du statisticien : « Si vous regardez les statistiques dans les matchs de clubs et de sélections, plus de 80% des buts sont inscrits avec moins de 5 passes. » Chassez le naturel…

Par Nicolas Jucha

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