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Celine Haidar, l'espoir sacrifié du Liban

Par Mathis Blineau-Choëmet
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Gravement blessée par un bombardement israélien en novembre dernier, l'espoir du football libanais Celine Haidar est sortie du coma au début de l'année. Depuis, la joueuse de la Beirut Football Academy avance dans sa rééducation. Avec l'espoir de refouler, un jour, les pelouses libanaises.

Celine Haidar, l'espoir sacrifié du Liban

Le soleil oriental de l’automne se lève sur la banlieue sud de Beyrouth. Un matin de plus où le frémissement des drones israéliens réveille les habitants de Dahieh, bastion du Hezbollah dans la capitale libanaise. Depuis le début du conflit entre la milice chiite et l’État hébreu, une des nombreuses conséquences du 7 octobre, ce bruit assourdissant est rentré dans les esprits. Un autre son, cette fois sorti de la bouche d’un homme, inquiète tout autant la population. Il s’agit des mots d’Avichay Adraee, porte-parole arabophone de l’armée israélienne. Son rôle : prévenir les habitants que leurs quartiers vont être bombardés. Enfin, quand Tsahal et sa politique de la terreur en a la volonté.

Ce 16 novembre 2024, l’armée qui s’autoproclame la plus morale du monde a décidé d’alerter la population. Dans son appartement de Chiyah, à quelques encablures à l’est de la banlieue sud, l’espoir du football libanais Celine Haidar reçoit un ordre d’évacuation émis par Avichay Adraee. Comme chez ses voisins, le pouls s’accélère et le stress s’intensifie. Pendant que certains ne souhaitent pas quitter leurs domiciles, la numéro six de la Beirut Football Academy (BFA) décide de fuir. Quand soudain, le monde éclate.

Deux mois dans le coma

Sur la route de l’exil, Haidar est l’une des victimes du bombardement. Touchée à la tête par des éclats d’obus, la joueuse de 20 ans est transportée à l’hôpital le plus proche. Inanimée. « Ce jour-là, j’entendais les déflagrations depuis chez moi », se souvient Samer Berbary, son entraîneur à la BFA. « Tout un coup, un proche m’a appelé pour me dire que Celine avait été blessée dans un bombardement et qu’elle était maintenant à l’hôpital. J’ai mis plusieurs minutes avant de m’en remettre. » Après avoir appris la nouvelle, l’ancien joueur en équipe jeune d’Al Ansar, un des nombreux clubs de Beyrouth, fonce au chevet de sa protégée. À son entrée dans l’hôpital, il découvre une ambiance chaotique. Celine n’est pas la seule blessée. Les autres victimes du bombardement affluent et les médecins sont débordés. « Même plusieurs mois après, je ne peux toujours pas décrire ce que j’ai vu avec des mots tant la scène était horrifique. Celine était dans le coma. Les chirurgiens ont entamé l’opération pour relancer ses capacités cérébrales. Personne ne savait si elle allait survivre.»

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Le descente aux enfers ne s’arrête pas là. Un nouveau bombardement frappe les quartiers sud de Beyrouth à proximité de l’hôpital où Haidar est opérée. Encore plus dévastateur que le précédent, l’impact de la bombe fait trembler les murs du centre de soins. Alertés par la violence du choc, les docteurs décident de transférer la Libanaise à l’hôpital Saint-Georges situé à Achrafieh, un quartier chrétien épargné par les bombardements israéliens depuis le début de la guerre. C’est entre ces murs que Celine Haidar passera deux mois. Sans un bruit, sans un geste. Le coma après la tempête. Pendant cette attente interminable, la victime d’une guerre qui a fait près de 2600 morts et 13 492 blessés entre septembre et novembre 2024 au Liban enchaîne les opérations. Son crâne est notamment ablaté pour que les hémorragies cérébrales cessent.

Elle veut revenir jouer et je le souhaite aussi. Mais à l’heure où on se parle, je veux juste qu’elle réapprenne à marcher. Le reste viendra avec le temps. Du moins je l’espère.

Samer Berbary, le coach de Céline Haidar à la BFA

Après plusieurs semaines d’incertitude au club et chez les proches d’Haidar, l’espoir est réapparu le 6 janvier 2025. Toujours à l’hôpital Saint-Georges d’Achrafieh, Celine cligne enfin des paupières. À cause des sédatifs préconisés par les médecins, elle est semi-consciente. Trois jours plus tard, la joueuse de 20 ans reconnaît son père et sa mère, présents à son chevet depuis trop longtemps. « À son réveil, elle nous serrait avec sa main. C’était une joie indescriptible. Elle s’est battue car elle aime la vie », avait indiqué sa mère à L’Orient Le Jour. Malgré cette renaissance devenue inespérée au fil des jours passés dans le coma, Celine reste dans un état fragile. Elle ne peut pas parler et peine à bouger ses membres.

Depuis ce réveil, celle qui rêve de représenter le Liban en équipe A a entamé une longue rééducation. Elle a quitté l’hôpital, mais les opérations se multiplient. Les dépenses aussi. Dans un pays du Cèdre toujours frappé par une crise économique sans précédent, entre autres causée par la chute de la valeur de la livre libanaise, l’inflation, la guerre avec Israël ou encore l’absence de service publics, les Haidar ne parviennent plus à joindre les deux bouts. Pour financer les soins, sa famille, issue des classes populaires de Beyrouth, a lancé une campagne de donation début juillet avec une des amies de Celine, Assile Toufaily : « Les dons serviront à payer les frais d’hospitalisation, l’équipement médical nécessaire, ainsi que les frais de subsistance de base, car elle est incapable de travailler. »

Si elle est encore lourdement handicapée, Haidar va mieux. Plusieurs mois après le bombardement, elle parvient à communiquer mais souffre toujours à la jambe et à la main gauche. Avec de telles blessures, personne ne sait, pas mêmes les médecins, si elle pourra reprendre le football un jour. Cependant, son rêve reste intact. « Elle veut revenir jouer et je le souhaite aussi. Mais à l’heure où on se parle, je veux juste qu’elle réapprenne à marcher. Le reste viendra avec le temps. Du moins je l’espère », rappelle son entraîneur qui attends avec impatience son possible retour sur les terrains d’entraînements de la BFA à Forn El Chebaak, bourgade de Beyrouth juste au sud d’Achrafieh.

La Sergio Busquets du Liban

Au cœur d’une saison où la Beirut Football Academy jouait le titre dans le championnat libanais, la formation de Berbary a perdu un élément important de son dispositif tactique. « Celine jouait en sentinelle et faisait le lien entre la défense et l’attaque. Techniquement, elle est très douée. C’est une leader », confirme Berbary. Avec un timbre de voix fragile, le coach atteste que « son équipe n’était plus la même après ce drame. » Un constat partagé par la défenseure centrale Haya Najjad : « Quand Celine s’entraînait avec nous avant le bombardement, on passait toujours un bon moment. Elle est drôle et son caractère de guerrière servait de modèle pour l’ensemble de l’équipe. Sans elle, on a dû changer nos plans pour continuer à performer. »

Tous les trophées que j’ai gagnés dans ma carrière, Celine était là.

Cynthia Salha, ex-coéquipière de Celine Haidar

Pourtant, la BFA a continué d’être un prétendant pour le titre en cette saison 2024-2025. À trois matchs du dénouement, les joueuses sont toujours au coude à coude avec O’Berytus, club du quartier de Jnah situé à proximité de Chiyah où a été touchée Celine Haidar. Pour aller chercher son deuxième titre d’affilée, la BFA doit gagner ses trois derniers matchs et espérer un faux pas de leurs concurrentes. Ancienne coéquipière de longue date de Celine, Cynthia Salha a été prêtée par son club de Chypre pour participer aux trois matchs décisifs en hommage à son amie blessée. « Pendant ces dernières rencontres, je voulais vraiment tout donner pour elle », insiste la joueuse de la BFA par intérim.

Celine Haidar sous le maillot du BFA (Photo : Beirut Football Academy)
Celine Haidar sous le maillot du BFA (Photo : Beirut Football Academy)

Avant de partir découvrir le championnat chypriote à Lakatamia, la native du Mont-Liban a évolué dans les même équipes jeunes que Celine. « J’ai commencé le football avec elle à Agha Ahli Aley. Ensuite, on a gagné la coupe d’Asie de l’Ouest avec le club de Safa. C’était historique pour le Liban parce qu’on était le premier club du pays à remporter cette coupe. Tous les trophées que j’ai gagnés dans ma carrière, Celine était là. » En 2022, les deux amies ont rejoint la BFA pour parachever leur formation. Grâce à ses performances à l’échelle locale, Cynthia avait attiré les convoitises d’un pensionnaire du championnat chypriote, une ligue plus développée que celle du Liban. Selon toute vraisemblance, un destin similaire attendait Haidar dans les saisons à venir. Du moins si elle n’avait pas été gravement blessée. « Avant l’accident, Celine avait vraiment le potentiel pour viser plus haut. À l’avenir, elle aurait été sélectionnée en équipe nationale pour devenir la sentinelle du Liban. Quand je la voyais jouer, je pensais à Sergio Busquets. Une joueuse pas très rapide mais diablement efficace dans l’axe du terrain », étaye Salha.

Championne habibi

Pour les trois derniers matchs du championnat, la Sergio Busquets du Liban n’éblouira malheureusement pas la pelouse de Forn El Chabbak. Après avoir difficilement battu Jdeideh sur le score d’1-0, la BFA accueille les leaders du championnat, O’Berytus. Sur le banc auprès de ses coéquipières, Haidar s’assoit sur son fauteuil roulant. « Pendant le match, je la regardais dans les tribunes et ça me poussait à me battre sur chaque ballon. Elle aurait fait comme moi si elle avait été sur le terrain », note Haya Najjad. Avec cette rage de vaincre, la BFA colle une manita aux adversaires du soir, notamment grâce à un but de Cynthia Salha, décisive pour son retour dans l’équipe. « Si elle n’avait pas été présente, je n’aurai sans doute pas marqué et on n’aurait jamais remporté ce match crucial 3-0. On voulait vraiment gagner sous ses yeux ».

La semaine suivante, la BFA se déplace à Jounieh, une station balnéaire du littoral méditerranéen à 30 minutes de Beyrouth, pour le dernier match de la saison. Une fois de plus, la formation de Barbery s’amuse. Salha score encore et l’arbitre siffle la fin de la récrée sur une victoire 3-1. Comme un symbole, la Beirut Football Academy remporte le championnat libanais six mois après le bombardement qui a ruiné la vie de leur amie. « Lors de la remise du trophée, on portait un t-shirt avec écrit « Play for Celine ». On était tellement heureuse de gagner pour elle », affirme Najjad.

Pour ce match du titre, Haidar était absente. Une nouvelle fois éloignée des terrains en raison de ses blessures, la guerre lui a volé cet instant de joie intense. Alors qu’elle rêve toujours de revenir taper le ballon, sa rééducation avance lentement mais sûrement. Dans sa chanson Eh Fi Amal, la diva libanaise Fairouz, endeuillée par le décès de son fils et compositeur Ziad Rahbani la semaine dernière, entonne ceci : « Il y a de l’espoir. Même quand tout semble perdu, les champs reverdiront et l’eau irriguera nos rêves.»  Si l’avenir footballistique de Celine Haidar reste incertain, une chose est sûre : cette ode à la résilience inspira son voyage vers la rédemption.

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Par Mathis Blineau-Choëmet

Tous propos recueillis par MBC, sauf mentions.

Photos : Beirut Football Academy

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