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« Le cas de Ronald Araújo pousse les clubs à se remettre en question sur la santé mentale »

Propos recueillis par Mohamed Helti
7 minutes

Quand Ronald Araújo annonce qu’il doit couper pour préserver sa santé mentale, le football est forcé de regarder un angle mort qu’il traîne depuis des années. Un joueur majeur qui stoppe en plein calendrier, c’est encore assez rare pour interroger le fonctionnement d’un milieu qui enchaîne les matchs sans jamais souffler. Comment en arrive-t-on là, et que fait le système pour éviter ces ruptures ? Vincent Gouttebarge, médecin en chef de la FIFPRO, décrypte ce que révèle la décision du défenseur uruguayen.

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La santé mentale dans le foot de haut niveau n’est plus un tabou, mais les chiffres restent ceux d’un vestiaire en apnée : selon la FIFPRO, jusqu’à 38 % des joueurs disent avoir connu des symptômes de dépression ou d’anxiété en cours de saison. D’autres études parlent d’un joueur sur dix à un joueur sur trois touché selon les périodes. Fatigue chronique, stress, insomnies, isolement : le package complet du foot moderne. Dans un effectif de 25, cela signifie que cinq à dix joueurs peuvent aller mal sans que personne ne le voie vraiment. La pause de Ronald Araújo, défenseur uruguayen du FC Barcelone, n’arrive donc pas dans le vide : elle met juste en lumière ce que les chiffres répètent depuis des années.


Est-ce que la démarche de Ronald Araújo vous semble inédite dans le football de haut niveau ? A-t-on déjà vu quelque chose de comparable ?

À ma connaissance, non. Je n’ai pas d’autres cas similaires dans le football professionnel d’élite, en tout cas pas de manière aussi visible et médiatisée. Bien sûr, tous les cas ne sortent pas publiquement, donc cela ne veut pas dire qu’il ne s’est jamais rien passé. Mais un joueur de ce niveau qui exprime aussi clairement qu’il a besoin d’une pause pour des raisons de santé mentale, c’est vraiment l’un des premiers cas dans notre sport. On se souvient tous de ce qui s’est produit dans d’autres disciplines : Simone Biles aux Jeux olympiques de Tokyo, qui a décidé de se retirer en pleine compétition, ou Naomi Osaka qui avait parlé ouvertement de ses difficultés avant Roland-Garros. Ce sont des exemples très forts. Mais dans le football, à ma connaissance, c’est la première fois qu’une démarche aussi transparente vient d’un joueur du très haut niveau.

Il faut définir la charge de travail du joueur de manière holistique. C’est-à-dire ne pas se focaliser uniquement sur la charge physique ou physiologique, mais inclure aussi la charge émotionnelle.

Vincent Gouttebarge

Qu’est-ce que cela révèle selon vous, notamment dans un contexte où les joueurs craignent encore de perdre leur place s’ils parlent de leur état mental ?

Je pense que cela confirme plusieurs choses. La première, c’est que le stigma autour de la santé mentale diminue. Ça, c’est très clair. Les joueurs commencent à se sentir plus en confiance pour partager leurs difficultés psychologiques, de la même manière qu’ils partageraient une gêne musculaire ou une fatigue physique. Pendant longtemps, ils n’osaient pas parce qu’ils avaient peur de perdre leur place, leur statut, leur image. Là, on voit qu’un joueur ose dire : « J’ai besoin de souffler. » C’est un signal important. La deuxième chose, c’est que cela valide vraiment l’approche que la FIFPRO, l’UNFP et d’autres syndicats défendent depuis plusieurs années : définir la charge de travail du joueur de manière holistique. C’est-à-dire ne pas se focaliser uniquement sur la charge physique ou physiologique, mais inclure aussi la charge émotionnelle. Le calendrier est extrêmement dense : les voyages, les heures passées en transit, l’éloignement de la famille, du réseau social, le manque de disponibilité mentale… Tout cela pèse énormément. Certains joueurs sont absents de leur environnement social pendant des jours entiers, parfois des semaines, selon les déplacements. Cette indisponibilité permanente a un impact qui n’était pas suffisamment pris en compte dans le passé. Aujourd’hui, avec ce qu’on voit, il devient difficile d’ignorer tout cela.

Concrètement, comment les clubs s’adaptent-ils à cette réalité ? Et quels signes peuvent leur indiquer qu’un joueur commence à atteindre ses limites ?

Cela fait un moment que nous travaillons sur ces questions, et oui, il y a des progrès. Ce sont des petits pas, mais des pas dans la bonne direction. Les clubs deviennent un peu plus réceptifs, et ça, c’est en grande partie grâce au travail de la FIFPRO et de l’UNFP, notamment en France. On voit maintenant qu’il y a des professionnels de la santé mentale dans plusieurs clubs français, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années. C’est une évolution très positive. Le directeur médical de la Fédération française de football, le docteur Emmanuel Orhant, organise aussi régulièrement une conférence médicale ; la prochaine aura lieu en avril à Clairefontaine et il y aura, pour la première fois, un symposium entier consacré à la santé mentale. Rien que ça, c’est révélateur du changement. Après, tous les clubs ne sont pas équipés de la même manière. Certains ont des ressources financières et humaines plus importantes, comme le Paris Saint-Germain par exemple, qui travaille sur la santé mentale depuis plusieurs années déjà avec Clément Duclos. D’autres clubs ont moins de moyens et avancent plus lentement. Mais globalement, les choses bougent. Et le témoignage d’un joueur comme Ronald Araújo a forcément un impact direct sur les clubs : cela les pousse à se remettre en question, à regarder ce qui, dans leur fonctionnement, peut être amélioré pour éviter d’en arriver à une situation de rupture.

Avant d’en arriver au point où la tête lâche, existe-t-il des moyens de dépister plus tôt le besoin d’une pause mentale ?

Oui, il existe déjà des outils. Avec le Comité international olympique, on a développé un outil d’évaluation de la santé mentale qui peut être utilisé très simplement en début de saison, un peu comme les tests cardiologiques ou musculo-squelettiques que tout le monde connaît. Pour moi, il n’y a aucune raison d’évaluer le cœur ou les articulations d’un joueur, mais pas sa santé mentale. C’est exactement le même principe : on vérifie l’état du joueur avant de le lancer dans une saison qui sera longue et exigeante.

Un témoignage comme celui d’Araújo ouvre des portes, change les mentalités, et accélère des processus qui, sinon, prendraient encore plusieurs années.

Pourquoi ne pas en faire une norme ?

Ce qui est encourageant, c’est que certains pays ont décidé d’aller jusqu’au bout en rendant ce screening obligatoire. L’exemple le plus parlant, c’est l’Australie, ils ont imposé cette évaluation mentale en début de saison, de la même manière que pour les examens médicaux traditionnels. C’est un très bon développement, parce que cela permet de détecter dès le départ des signes que l’on verrait autrement trop tard, quand le joueur est déjà en difficulté. Mais cela reste rare. L’outil existe, il fonctionne, il est disponible pour toutes les ligues et toutes les fédérations. Après, c’est une question de volonté et de priorités : chaque pays doit décider de l’adopter et de l’implémenter. Pour l’instant, très peu l’ont fait. J’espère que d’autres suivront dans les prochaines années, parce que c’est vraiment une manière concrète d’éviter d’arriver au point de rupture.

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Le fait qu’un joueur très médiatisé prenne la parole, est-ce une avancée majeure ?

Oui, absolument. On a toujours besoin d’un joueur avec une forte notoriété pour faire avancer les choses. Dans le football, dès qu’un joueur reconnu parle de santé mentale ou d’un autre problème médical, cela met immédiatement le sujet à l’agenda des ligues et des fédérations. C’est très important, parce que cela permet de normaliser ces discussions. Cela montre aussi aux autres joueurs qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils peuvent eux aussi parler. Un témoignage comme celui d’Araújo ouvre des portes, change les mentalités, et accélère des processus qui, sinon, prendraient encore plusieurs années.

D’un point de vue médical, y a-t-il un bénéfice concret à faire une pause en plein milieu de la saison ?

Oui, bien sûr. C’est d’ailleurs pour cela que la FIFPRO défend l’idée d’une trêve hivernale suffisante et significative. Une pause mentale, c’est essentiel. On n’a pas encore de protocole scientifique aussi strict que pour une blessure musculaire ou ligamentaire, mais on a des principes généraux. Il faut quelques jours de détente, de recul, de pause cognitive et émotionnelle. Entre deux saisons, il faudrait idéalement quelques semaines, mais en plein hiver, quelques jours ou une semaine, une semaine et demie au maximum, peuvent déjà faire une énorme différence. C’est important pour la récupération physiologique, mais surtout mentale. Prendre un peu de distance par rapport au football, passer du temps en famille, se régénérer autrement… Tout cela permet d’éviter que la tête ne lâche complètement. Et plus le calendrier s’intensifie, plus ce besoin devient incontournable.

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