Artmedia Bratislaboys
Les clubs d'Europe de l'Est ont souvent du mal à se dépêtrer des clichés occidentaux, construits à tort et à travers à l'aune d'«exotiques» rencontres de Champions League. Stades d'une démesure toute soviétique, effectifs pléthoriques, incapacité chronique à atteindre les derniers tours des coupes d'Europe, budgets artificiellement gonflés par les disciples de Boris Eltsine ou encore coaches aussi aimables et expressifs qu'une porte de goulag...Afin de casser ces odieux présupposés, petit voyage au cœur d'un entraînement matinal de l'Artmedia Bratislava, nouveau club phare de la capitale slovaque.
Le plan de Bratislava n’est pas plus dur à lire que la carte d’une ville de province. Avec 450 000 habitants, la ville actuelle préférée des jeunes Anglais en quête de bourrage de gueule intensif est la plus petite capitale de l’Union européenne. La rive gauche du Danube dévoile le cœur historique de la cité, ses églises couleur pastel et ses hordes de touristes, le nez en l’air et l’appareil photo en bandoulière. Quant à la rive droite…En construisant barre HLM sur barre HLM, les architectes locaux se sont semble-t-il ingéniés à pourrir l’expansion de la toute jeune capitale. Un premier regard dégoûté, puis rassuré à la vue d’un grand parc. À son extrémité Est, un stade. Celui de l’Artmedia Petrzalka, plus connu sous le nom d’Artmedia Bratislava. L’occasion est trop belle. Et, divine surprise, des cris joyeux traversent allègrement les grilles d’une enceinte ouverte aux quatre vents.
Lundi 17 septembre, les boys de l’Artmedia digèrent un succès 3-2 obtenu à l’arrachée sur le terrain de Senec, lanterne rouge de la “Superliga” slovaque, créée en 1993 après la partition de la Tchécoslovaquie. Environnement rustique et champêtre. L’arène n’a rien à envier à un bon vieux stade corse. Capacité d’accueil : 10 000 personnes. Taux moyen de remplissage : 4 000 spectateurs par match, une des plus importantes affluences en Slovaquie (!). Un pays de foot, sans aucun doute…Les ultras monégasques peuvent souffler. Rien à voir avec le très règlementaire Tehelne Pole (30 000 places assises) du Slovan Bratislava, homologué par l’UEFA. Ici, pas d’hôtels, de pubs ou d’hypothétique supermarché. Mais des broussailles, beaucoup de broussailles, et une superbe tribune latérale en bois, terrain de jeu de prédilection des termites. Le fantôme de Furiani migrerait-il vers l’est ? Où sont donc les investisseurs ? Sûr qu’avec un budget annuel d’à peine 2 millions d’euros…
À la recherche de la notoriété
L’Artmedia a longtemps été le parent pauvre des clubs de Bratislava. Avant la Deuxième Guerre Mondiale, les clubs slovaques ne participent pas au championnat de Tchécoslovaquie et s’organisent de bons vieux matchs du dimanche pour entretenir la forme. Pour un peu, l’Artmedia ne devrait son palmarès qu’à un coup de pouce du troisième Reich. En 1939, devant le zèle de l’abbé Josef Tiso (1), autonomiste, antisémite et pro-nazi, futur président de la Slovaquie, Hitler décide d’accorder une indépendance toute relative à la Slovaquie et à son football. Bingo ! L’Artmedia (à l’époque Pozsonyi Torna Egyesület – 2 -) cartonne : trois titres dans la musette. Embellie de courte durée et retour à la normale sous perfusion communiste. Difficile en effet de faire son trou entre l’omnipotent SK Bratislava du ronaldinhesque Laszlo Kubala – sept championnats de Tchécoslovaquie et quatre titres en Superliga – et le FK Inter Bratislava – champion en 2000 et 2001 et bienfaiteur de l’Olympique lyonnais au 3e tour préliminaire de la Ligue des champions 2000/2001 – pour la plus grande joie de JMA. Mais en 2005, l’Inter sombre à l’étage inférieur. Quant au Slovan, l’ancien SK Bratislava – quart de finaliste de la C1 en 1993 (défait par le Milan AC) – il est en proie à de violents courants néo-nazis qui ternissent l’image de la seule équipe slovaque victorieuse d’une coupe d’Europe : la défunte C2, en 1969 (3). L’heure de gloire de l’Artmedia va donc enfin pouvoir sonner.
Le ciel s’éclaircit en 2004, alors que la Slovaquie et onze autres pays célèbrent tout juste leur entrée effective dans l’Union Européenne. Coïncidence ou non, l’Artmedia entame une campagne qui le verra échouer aux portes des huitièmes de finale de la Ligue des Champions. Un univers quasi inaccessible aux formations d’Europe de l’Est.
Vainqueur de la Coupe en 2004 et de la Superliga 2005, l’Artmedia démarre son parcours européen contre le Kairat Almaty. Défaite 2-0 en terre kazakhe. C’est alors que le Tehelne Pole, antre de l’ennemi Slovan, se métamorphose en cour des miracles. Almaty s’y fait broyer, 4-1. Au deuxième tour, les bourrins du Celtic Glasgow ne voient pas la balle. Une incroyable fessée, 5-0. L’orgueil écossais et la furia d’Hampden Park ne suffiront pas. Les Slovaques encaissent quatre buts, pas un de plus, et entrevoient les poules aux œufs d’or.
Au troisième tour, usé jusqu’à la corde, le Partizan Belgrade s’incline aux tirs au but au terme de deux confrontations vierges. Les experts sourient poliment, mais pouffent lorsque les Slovaques tombent dans la poule H, aux côtés de l’Inter Milan, de Porto, et des Rangers. Six défaites, comme le FC Kosice en 1997-98, c’est tout le bien qu’on leur souhaite. Trois défaites, deux nuls et une retentissante victoire au stade du Dragon (3-2 après avoir été menés 0-2) rabattent le caquet des aficionados du G14. La Slovaquie et son football ont gagné leurs galons sur la scène occidentale. Intégration réussie : la C1 n’est-elle pas le plus beau monstre enfanté par le Marché commun ?
Blacks, stars et gardien ressuscité
En ce début de championnat 2007-2008, exit les bonus financiers, la notoriété et les larmes qui coulent pendant l’hymne de la Ligue des champions. Restent tout de même un beau soleil de septembre et une atmosphère bon enfant, presque rigolarde. Pour ceux qui en doutaient encore, le rire existe en Europe de l’Est. Les joueurs n’exécutent pas mécaniquement des exercices de stakhanoviste sous la férule d’un entraîneur impassible et menaçant, tout droit sorti du Bal des vampires. Malgré tous les efforts du principal intéressé, le mythe “coach Vahid” est ici bel et bien révolu. Loin de la politique de recrutement d’un Shakhtar Donetsk, l’Artmedia a misé sur les produits locaux : 19 Slovaques, 3 Tchèques égarés et 2 Blacks, Karim Guede, Togolais de 21 ans, passé par la réserve de Hambourg, et Adewunmi Yusuf – Muri, Germano-nigérian, un ancien du Fortuna Düsseldorf. C’est vrai qu’un club de l’est sans Black, c’est pas crédible. Le footing sent la savate qui traîne, puis les pompes et les abdos s’enchaînent sans conviction. Les joueurs sont relax, s’échauffent à la cool. Normal, l’Artmedia est en tête du championnat grâce à son attaque de feu : 22 buts en 9 matchs. On a quand même du mal à le croire. C’est l’heure du travail face au but. Les artistes se mettent à mitrailler les tribunes et les panneaux publicitaires. Les deux Blacks, deux défenseurs, enchaînent les plats du pied nonchalants à la Thierry Henry…enfin presque.
L’entraîneur slovaque Vladimir Weiss, ancien milieu du club, la quarantaine bedonnante, distille ses conseils avec un calme tout relatif, irrité par la maladresse de ses poulains. « Remuez-vous bande de nazes » , croit-on comprendre depuis les tribunes. Le regard désabusé, le gardien Juraj Cobej semble se demander s’il a bien fait de revenir à la compétition après avoir été opéré d’une tumeur au cerveau en décembre 2005. Les choses sérieuses commencent enfin. Contrôle orienté dos au but, galipette, prise d’élan à plat ventre puis frappe enchaînée : l’entraînement prend des allures de Full Metal Jacket. Les buts sont si rares que chaque réalisation est saluée par une ovation, comme dans la cour de récré. Deux joueurs sortent quand même du lot et envoient des pralines dignes de ce nom : les attaquants Tomas Oravec, la star du club ex-Boavista Porto, meilleur striker de l’Artmedia la saison passée, et Juraj Halenar, 24 ans, étoile montante, déjà cinq pions dans l’escarcelle. Plus ludique que réellement instructif, l’ultime exercice de la séance tourne au grand n’importe quoi : une opposition à 8 contre 8 sur un terrain de 20 mètres de long…mais avec de vraies cages. Chacun y va de sa minasse, bien souvent contrée à cause de la densité de joueurs. Réduits aux rôles de figurants, les gardiens regardent passer les reprises à bout portant. Midi approche. Les estomacs se creusent. Pas le temps de s’arrêter discuter avec un journaliste étranger. De toute façon, question maîtrise de l’anglais, c’est pas encore tout à fait ça. Comme en France d’ailleurs…
Pierre Arnaud
1 – Député au Parlement tchécoslovaque entre 1925 et 1939 et ministre à plusieurs reprises, Monseigneur Tiso devient Président de la République slovaque le 14 mars 1939, suite au démembrement de la Tchécoslovaquie. Auteur d’un parallèle édifiant, mêlant croyance et conviction politique : « Le catholicisme et le nazisme ont beaucoup de points communs et ils œuvrent la main dans la main pour réformer le monde » . Accusé de haute trahison au sortir de la guerre, il sera pendu en 1947.
2 – Fondé en 1898, le Pozsonyi Torna Egyesület a changé de nom une douzaine de fois pour redevenir l’Artmedia Petrzalka en 2007.
3 – Le SK Bratislava avait accompli un authentique exploit en battant le FC Barcelone 3-2. Le Barca détient d’ailleurs le record de victoires en Coupe des coupes avec quatre titres.
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