Argentine – Un rêve à trois
On aurait pu imaginer ça dans une ambiance feu de cheminée, peau de bête au pied du sapin et lumière tamisée. Que dalle. Buenos Aires en décembre c'est plutôt chaleur suffocante, bondis (1) surchargés transpirant la sueur dès 8h du matin. Des parcs où se côtoient lecteurs solitaires, nudistes occasionnels, joueurs de foot et buveurs de maté. Asados tous les week-ends, bières à toute heure de la journée et fernet (2) coca chaque soir. Ce sont les grandes vacances, la famille prépare le départ à Mar del Plata, les mecs se font gonfler au gimnasio du coin, les filles travaillent leur bronzage sur leurs terrasses, Noël approche. C'est dans ce contexte que se déroulait le dernier épisode d'une Apertura 2008 qui s'est joué sur un air de liaisons dangereuses. Ou de primaires socialistes.
Beaucoup de bruit pour rien
Quatre candidats pour un poste très prisé
Au début de la campagne, personne ne semblait pouvoir arrêter San Lorenzo qui, avec son jeu tranchant et ses étoiles Solari, Bergessio et Barrientos, avançait sereinement vers le titre, comptant plus de 10 points d’avance dans les sondages sur son plus dangereux rival, Boca Juniors.
Un peu fatigué, tournant aux 35 heures et affaibli par les blessures de Palermo et Palacio, Boca traînait en effet un peu la patte, perdant des points ici et là, s’imposant sans brio. Jusqu’au Superclasico du 19 octobre, la victoire 1-0 au Monumental et l’émergence des “pibes” du centre de formation, propulsés par coach Ischia et encadrés par Riquelme, chef d’orchestre génial. Les Noir, Viatri, Chavez, Gaitan, Roncaglia et cie enchaînent les exploits, délivrent tour à tour des matchs de grande classe, enterrent River à la dernière place du classement, assassinent San Lorenzo à la dernière minute et reviennent dans la course au titre.
Coincé entre les deux éléphants, Tigre, jeune équipe enthousiaste et révolutionnaire de la banlieue Nord de Buenos Aires, entendait bien semer la pagaille et agiter un peu le championnat. Promue depuis à peine un an et demi, l’équipe de Victoria titille déjà les testicules de tous les “grands”, s’imposant à la Bombonera et sur la pelouse de San Lorenzo cette année, terminant deuxième pour son retour en Primera en 2007. Sans star, sous médiatisés, sortis de nulle part mais avec un fond de jeu solide et ambitieux, les joueurs de Diego Cagna enthousiasment et rafraichissent l’Argentine.
Lanus, le quatrième larron, est, lui, parti un peu en retard. Champions en 2007, les Grenats sont élégants, parfois brillantissimes, classieux et respectés de tous mais un tantinet effacés. En course jusqu’au bout, l’équipe du marais, non pas celui de la place des Vosges mais celui – un peu plus boueux – des villas de l’Ouest bonaerense, échoue de justesse et se retire dans la dernière ligne droite. Dommage.
Bref, tout ça pour pas grand chose. 19 journées de lutte intense pour en arriver au statut quo. Boca, San Lorenzo et Tigre à égalité avec 39 points. Et, en Argentine, on ne badine pas avec un titre. Pas moyen de jouer cela à pile ou face, pierre feuille ciseau ou à la différence de buts.
Ressurgit alors un vieux fantasme dont on ne parlait encore qu’à demi-mots, le regard éhonté et la luxure au coin des lèvres. Une partie à trois, une “triangulaire” que quelques vieux fous affirmaient avoir déjà connue, un sombre soir de 1968. Fantasme et affabulation du grand-père répondaient les plus jeunes.
Un fantasme devenu réalité
Cette fois, rien de plus réel. Les trois compères s’étaient donné rendez-vous au Congrès d’Avellaneda, dans le magnifique stade de Racing, pour une semaine s’annonçant épique.
L’abandon du système de retraite par capitalisation, le Megaplan keynésien de Cristina Kirchner, le père Noël, la buche et les marrons ? Abandonnés, écrasés du bout du pied dans le caniveau, entre un vieux mégot et une pièce de cinco centavos. Le football a tué Noël, tandis qu’au Calendrier de l’Avent s’est substitué celui de la “triangulaire”.
Mercredi 17 décembre, 18h30, première rencontre : San Lorenzo-Tigre. 2-1 pour le Ciclon qui ne laisse aucune chance aux jeunes un peu timorés de Tigre.
Samedi 20 décembre, le choc. San Lorenzo – Boca. Les Xeneizes explosent l’équipe de Russo 3-1 après une guerre de tranchées épique au cours de laquelle le pauvre Forlin manqua d’y laisser sa peau (3). 2 rouges, 13 jaunes et Riquelme suspendu pour le match décisif face à Tigre.
Mardi 23 décembre, 21h30, l’Apothéose. Boca est champion s’il ne perd pas par plus d’un but d’écart. Impuissant, Tigre se fait dévorer par l’équipe d’un Battaglia une nouvelle fois grandiose. Mais à la 68ème minute, Javier Garcia, le tout jeune gardien de Boca, à moitié blessé, se vautre et se laisse devancer par Lazzaro qui pousse le ballon au fond des filets.
Ce foutu championnat refuse décidément longtemps de se donner à quiconque, préservant sa vertu jusqu’à la dernière minute, la fébrile défense de Boca peinant à se dégager.
Au salvateur coup de sifflet final, tout le peuple xeneize exulte, avant de se déverser par milliers dans la capitale, pour faire le tour de l’Obelisco, prologue d’une longue nuit d’allégresse, de Fernet et de Quilmes. Au milieu de l’ivresse, les hinchas n’oublièrent cependant pas de chanter un joyeux noël à l’ennemi juré River, qui finit dernier d’un championnat historique : « Ya se acerca noche buena, ya se acerca navidad, para todas las gallinas, el regalo de Papa » (4).
1 – En Argot porteno, le nom des bus qui sillonent la capitale à toute allure.
2 – Alcool d’origine italienne, consommé sans modération en Argentine. Excessivement bon.
3 – La vidéo du choc de Forlin :
4 – « Arrive le réveillon, arrive Noël, pour toutes les poules, voici le cadeau de Papa » .
Par Pierre Boisson
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