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- Benfica-Qarabağ (2-3)
Abdellah Zoubir : « On vient de vivre un truc de fou ! »
Novice en Ligue des champions malgré ses 33 ans, Abdellah Zoubir n’a eu besoin que d’un match pour y vivre des émotions fortes avec la première victoire de l’histoire de Qarabağ à Benfica. L’occasion pour le capitaine français du club azerbaïdjanais de revenir sur son parcours cabossé, jusqu’à ce moment de gloire.

Comment as-tu vécu ce match à Benfica émotionnellement, avec un scénario fou ?
On a bien célébré ça dans le vestiaire. On est passés par toutes les émotions. Quand tu prends un but après cinq minutes sur un coup de pied arrêté, tu prends un coup au moral. Le plan de jeu tombe à l’eau. Le deuxième but nous met vraiment dans le dur, mais on arrive finalement à se mettre dedans. Sur la fin de match c’était 50-50, on attaquait chacun notre tour. Finalement, on arrive à mettre ce but, c’était vraiment un sentiment incroyable.
C’est la première victoire de l’histoire de Qarabağ en Ligue des champions. Qu’est-ce que ça représente pour toi et pour le club ?
À titre personnel, c’est même mon premier match en Ligue des champions. J’arrive à gagner et à être décisif, c’est la soirée parfaite. Au niveau du club, c’était historique. L’accueil en arrivant à l’aéroport… On a été fatigués après sept heures de vol, mais en arrivant on voit tous les supporters qui nous attendent. C’est là qu’on a réalisé. Pour nous c’était important, mais pour eux c’était encore un niveau au-dessus. C’est là que tu te dis « on vient de vivre un truc de fou ». Maintenant, on aimerait bien gagner aussi chez nous, parce que je suis sûr que ça aura une saveur particulière.
Mon barrage le plus marquant ? À Gibraltar. Il faisait 40°C, on avait joué sur un terrain synthétique face à la mer, avec plein de vent. On ne dirait même plus du foot.
Vous avez joué à l’Estádio da Luz et vos prochains déplacements seront à San Mamès, au stade Diego-Maradona et à Anfield. Lequel de ces stades t’excite le plus ?
Déjà, quand je suis arrivé au stade de la Luz, j’étais choqué. Je n’avais jamais vu un stade aussi grand, tout était rouge, magnifique. Mais quand on a vu le tirage, dans ma tête c’était « Anfield, ça va être un truc de fou ». On connaît par cœur, tous les week-ends on regarde Liverpool et leurs grands joueurs à la télé… On est tous excités d’aller là-bas. Donc si je devais en choisir un, ce serait celui-là.
Avant d’avoir le droit de disputer cette phase de ligue à 33 ans, tu as disputé énormément de barrages de Ligue des champions. Est-ce qu’il y en a un qui t’a plus marqué que les autres ?
Celui à Gibraltar (une victoire 0-2 contre le club de Lincoln Red Imps en juillet 2024, NDLR). Il faisait 40°C, on avait joué sur un terrain synthétique face à la mer, avec plein de vent. On ne dirait même plus du foot. C’est ce genre de matchs que t’es obligé de gagner pour disputer des coupes d’Europe, donc même si c’est dur, tu te dis : « Vas-y, c’est parti ! » Au niveau émotionnel, je répondrais le play-off de cette année contre Ferencváros. On arrive à gagner 3-1 chez eux, mais ils marquent d’entrée chez nous au retour. On marque deux buts, mais ils en remettent deux ensuite. On souffre, il faut éviter la prolongation, et à la fin, on arrive à se qualifier, donc c’était vraiment un match incroyable.
Tu es à Qarabağ depuis sept ans. Pourquoi avais-tu fait ce choix de rejoindre l’Azerbaïdjan en 2018 ?
Ils m’avaient déjà contacté l’année d’avant, mais je n’étais pas vraiment chaud parce que je voulais atteindre la Ligue 1 à Lens. La saison ne se passe pas comme prévu, Qarabağ revient, et je me dis que jouer la Coupe d’Europe chaque saison, c’est un truc de fou. Après, je ne vais pas te mentir, je ne pensais pas que je resterais autant d’années. Au début, j’ai vraiment été surpris par la ville, en bord de mer, tout est moderne, les gens parlent anglais. Côté football, j’ai commencé par des barrages européens dans des gros stades. Mais quand on a commencé à jouer des matchs de coupe où tu te déplaces chez des clubs de deuxième division, c’est là où tu trouves des stades atypiques. Ça m’a un peu fait repenser à l’époque où j’étais plus jeune dans les niveaux inférieurs.
Tu as raconté par le passé qu’à tes débuts à Grenoble puis Istres, tu rentrais régulièrement dans le Nord pour voir ta famille. Comment as-tu appris à gérer cet éloignement au fil des années ?
Je suis parti tard de chez moi, j’avais 18 ans. J’étais vraiment attaché à ma famille, mes parents, mes amis. La première fois que je suis parti, ça m’a fait bizarre, mais j’arrivais à rentrer. Après les matchs, le coach me disait : « OK, je te laisse rentrer, reviens demain. » Par la suite, j’ai eu ce déclic avec mon départ en Roumanie parce que c’était loin, il fallait prendre l’avion. Au début, c’était dur pour moi, mes parents venaient. Et puis avec le temps, je me suis habitué, maintenant je suis à cinq heures de Paris, mais malgré ça, mes parents continuent de venir et puis je suis aussi en famille moi-même, donc ça permet de passer un peu à autre chose dans la tête.
Quand j’arrive à Grenoble tactiquement, je suis trop loin ! Il y avait aussi mes contrôles, je ne faisais que des semelles.
Aujourd’hui, tu es régulièrement capitaine avec Qarabağ, comme mardi soir à Lisbonne. Comment ton rôle a évolué au sein du club au fil de ces sept années ?
Je ne suis pas le genre de mec qui va crier sur les jeunes, les reprendre souvent, etc. Je suis un gars chill. On ne m’a pas poussé à être un meneur, ça s’est fait naturellement. Quand des jeunes arrivent de l’étranger, j’essaie de les prendre sous mon aile, d’être un peu un grand frère, parce que j’ai vécu ça, surtout en Écosse (lors d’un prêt à Hibernian en 2013-2014, NDLR) où c’était très dur. Je ne parlais pas anglais, je n’arrivais pas à communiquer avec mes coéquipiers et on m’avait mis un prof à disposition. Qarabağ est un club avec beaucoup d’étrangers, on a des traducteurs pour chaque langue.
Avant de faire carrière dans le foot à onze, tu as grandi avec le futsal et joué avec l’équipe de France U21. Comment as-tu fait la bascule entre les deux ? Quels ajustements cela a-t-il demandés dans ton jeu ?
J’ai toujours joué au foot à onze. Quand j’intègre l’équipe de France de futsal, dans ma tête je sais que je veux réussir à onze. Et c’est l’équipe de France qui voit que je peux faire quelque chose, comme Wissam Ben Yedder. On était ensemble. Ils l’envoient à Toulouse et Lille, moi à Metz et Grenoble pour faire des essais. Quand j’arrive à Grenoble, on me signe, mais tactiquement, je suis trop loin ! Le coach Olivier Saragaglia m’a vraiment pris sous son aile, un peu comme son fils. Il me prenait tout seul pour me dire « tu dois faire ça, ça, ça », avec des tableaux. Il y avait aussi mes contrôles, je ne faisais que des semelles. (Rires.) Il me disait « ça ralentit le jeu, il faut que tu fasses tes prises de balle de l’intérieur ou de l’extérieur ». Je restais toujours 15-20 minutes en plus sur le terrain pour faire des gammes, c’est ce qui a fait que j’ai pu un peu rattraper le temps.
Je n’ai jamais travaillé mes dribbles. J’arrive devant l’adversaire et hop, c’est instinctif.
En parallèle de cette progression tactique, tu es resté un joueur attiré par le dribble. C’est quelque chose que tu travailles à l’entraînement ?
Pour te dire la vérité, je n’ai jamais travaillé mes dribbles. C’est quelque chose que j’ai en moi, auquel je n’ai jamais réfléchi. Je ne sais pas comment t’expliquer, j’arrive devant l’adversaire et hop, je fais quelque chose et je passe – ou pas –, mais c’est instinctif. On ne m’a jamais demandé de le travailler. Dans les clubs, il y a des séances en un contre un ou deux contre deux, peut-être que ça permet de le perfectionner, mais je n’ai jamais pris un ballon en me disant « allez, je vais dribbler ». Ça fait partie des choses grâce auxquelles je prends beaucoup de plaisir sur un terrain. Si tu me dis « ne fais que des passes, joue en une touche » je vais le faire, mais je ne te mens pas, je vais rentrer chez moi dégoûté.
Tu n’es pas passé par un centre de formation. Est-ce qu’enfant, tu rêvais quand même déjà de devenir professionnel ?
Depuis que je suis tout petit, tout ce qui m’intéresse, c’est le foot. Avec mon père et mes frères, c’était Canal+ et foot en permanence. Je n’ai pas eu l’opportunité d’aller en centre de formation, je pense que je n’avais pas les qualités requises. À partir de mes 10 ou 11 ans, je suis allé tous les ans faire des essais. À 16 ou 17 ans, je vais à Lens et je fais un super match contre leurs U19. Le coach était Éric Sikora, et finalement, ils ne m’ont pas gardé. À 24 ans, je finis par signer au club. Sikora vient me voir et me dit : « À l’époque, tu serais entré par la petite porte, et là, tu arrives directement chez les pros. Dans la vie, il y a des choses que les éducateurs ne voient pas, et la réalité, c’est que tu es là. » Mon parcours un peu atypique, je le referais sans hésiter. Tu passes par beaucoup de choses, des voyages…
C’était une très grande fierté de regarder le Maroc faire ce parcours incroyable en 2022. J’étais au Qatar pour la demi-finale contre la France, un truc de fou.
Tu mentionnais ton père et tes frères, quelle place avait le foot dans ta famille pendant ton enfance ?
Mon père était un grand passionné. On a toujours grandi avec le foot, on allait au stade. Quand Lens a joué la Ligue des champions en 1998, on était à Bollaert. Pour nous, c’était un truc de fou. Le fait que je signe professionnel, c’était une fierté pour mon père. C’est ça la plus belle chose pour moi, qu’il me voit faire ce que lui a voulu faire aussi.
Tu as déjà évoqué par le passé ton envie de porter un jour les couleurs de la sélection marocaine. Est-ce que c’est quelque chose que tu as toujours en tête ?
C’est un rêve d’enfant, même si je sais qu’il y a beaucoup de joueurs performants. De mon côté, j’essaie de me donner à fond, et le sélectionneur fait ses choix. Par rapport à mon père, ce serait une grande fierté pour lui, l’aboutissement de ma carrière. Mais dans tous les cas, jouer la Ligue des champions à 33 ans, c’est déjà un grand accomplissement.
Comment as-tu vécu le parcours du Maroc au Qatar en 2022 ?
Au début, c’est la Coupe du monde, on se dit qu’on est la petite nation. Petit à petit, ça développe du beau jeu, ça marque des buts, ça se qualifie… Tu te mets à y croire, jusqu’à cette demi-finale incroyable, contre la France en plus, avec de nombreux binationaux dans l’équipe. J’étais allé au Qatar pour voir ce match, c’était un truc de fou, j’ai vraiment kiffé. C’était une très grande fierté de les regarder faire ce parcours incroyable.
Qarabağ crée l’exploit à BenficaPropos recueillis par Tom Binet