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À Grenoble, la nouvelle gauche écologiste fait équipe en crampons
Au moment où le PSG brisait la malédiction de la Ligue des champions, la gauche brisait peut-être la sienne, à Grenoble. Celle des passes ratées au moment de faire campagne et des occasions vendangées dans les urnes, celle des tacles à la gorge par médias interposés. Bref, la malédiction de sa légendaire dispersion, de son incurable désunion. Symboliquement, c’est autour d’un petit match de foot qu’elle a décidé d’afficher sa volonté de rassemblement. En convoquant plusieurs représentants politiques nationaux de tous bords, à gauche et chez les écologistes, le maire EELV de Grenoble, Eric Piolle, candidat à sa réélection, envoyait un message clair : le groupe vit bien.
Ce mercredi en fin d’après-midi, c’est donc sur un bout de pelouse derrière l’hôtel de ville – mais sans crampons, interdits par le règlement municipal ! – que se sont ainsi retrouvés François Ruffin et Clémentine Autain (députés du groupe La France insoumise), Julien Bayou (secrétaire national d’EELV), Audrey Pulvar (soutien d’Anne Hidalgo) ou encore Guillaume Balas (coordinateur national du parti Génération.s). Tout ce que la gauche compte de forces (presque) vives, et disparates. Il y avait même Matthieu Orphelin, un écologiste proche de Nicolas Hulot et actuel député, élu sous l’étiquette de la majorité, qu’il a depuis quittée.
Sapin de Noël et forfait d’Yvan Le Bolloc’h
Étaient aussi annoncés Claire Nouvian (ex-cofondatrice de Place publique), qui a finalement raté son train, et Yvan Le Bolloc’h, l’artiste-militant-gilet-jaune, qui a préféré laisser reposer son genou en délicatesse. Heureusement que Mike, le chanteur de Sinsemilia, avait prévu un short, lui, pour les remplacer au pied levé ! Pour épauler tout ce petit monde, plusieurs joueuses de foot du GF38 avaient été conviées à faire un peu plus que le nombre : sans elles, pas dit que la partie aurait pu réellement être qualifiée de foot… Ophélie David, la championne de ski-cross, a également répondu à l’invitation, « car elle aime bien Éric Piolle et sa philosophie : protéger l’environnement devrait être le premier acte citoyen » . Pour ce 7 contre 7, la composition des équipes annonce une tactique en sapin de Noël que n’aurait pas reniée Carlo Ancelotti.
Matthieu Orphelin regrette d’ailleurs d’être titularisé au poste de stoppeur : « Ils m’ont mis au centre, je crois que ça veut dire quelque chose. » Il a sorti les protège-tibias, car il se sait attendu, lui le social-traître passé à la macronie. « Avec Ruffin en face, on ne sait jamais » , prophétise-t-il. Après une entrée sur le terrain faussement protocolaire, sans poignée de main (#coronavirus), mais avec l’hymne de la Ligue des champions, le début du match lui donnera vite raison : c’est bien à lui que François Ruffin, combatif comme à son habitude, réserve son premier taquet du match, histoire de bien lui rappeler qu’ils ne sont pas de la même équipe, ni sur le terrain du jour ni à l’Assemblée nationale.
Tony Chapron : « J’ai évidemment pris mes cartons »
L’arbitre laissera pourtant jouer, sans que personne n’ose vraiment broncher. Et pour cause : une fois n’est pas coutume, la vraie star du match est au sifflet. « J’ai évidemment pris mes cartons, car même pour un match entre potes, on n’est jamais à l’abri d’un mauvais coup » , avait prévenu Tony Chapron, juste avant le début du match. L’ancien arbitre professionnel, toujours aussi chauve, habite à Grenoble depuis 20 ans et a accepté cette lourde responsabilité d’encadrer les débats footballistiques du jour, une façon d’apporter son soutien à la candidature d’Éric Piolle, dont il loue « l’engagement sincère » . L’homme en noir n’a jamais fait mystère de ses idées à gauche, lui qui se dit « pas très loin d’un Vikash Dhorasoo sur le spectre politique » . Réputé pour avoir la biscotte facile, Tony Chapron ne sortira finalement pas le moindre carton, si ce n’est pour l’état du terrain, détrempé et cabossé, à la limite du praticable : « C’est autre chose que la pelouse du PSG, c’est sûr… mais à 18 000 euros/mois le salaire du jardinier, tout le monde ne peut pas s’offrir ça ! Ici, les élus ont au contraire réduit leurs indemnités, je préfère ça. »
Les risques de blessure, Pierre, lui, ne veut pas en entendre parler : « Tant qu’il y a gazon, y a match ! » Il est venu en supporter sur le bord du terrain, avec sa femme Marie et leur fils Maël. Comme eux, ils sont entre 300 et 400 à s’être déplacés, amusés par le spectacle. Celui-ci viendra bien plus des abords du terrain, avec un speaker en grande forme, notamment lorsqu’un chien s’incruste pendant de (trop) longues minutes : « C’est le parti animaliste qui s’invite pour la partie ! » Fidèles à leur brassard de capitaine, François Ruffin et Éric Piolle sont les deux principaux animateurs du jeu dans chaque équipe. Les deux hommes se connaissent bien, et aiment taper le ballon ensemble : en août 2019, à Toulouse, ils avaient organisé un premier match ensemble à l’occasion des journées d’été de leurs partis respectifs (LFI et EELV), organisées simultanément dans la ville rose. Puis Éric Piolle s’était rendu à Amiens, en novembre, pour entretenir cette amitié footballistico-politique, à l’occasion d’un match précédant l’annonce de la liste d’union « rouge-vert » pour les municipales, dans la capitale picarde.
Cette dynamique de rassemblement à gauche, voilà justement ce qui a convaincu Joan de participer à la fête : « Il est temps que la gauche muscle son jeu ! Et c’est beau de la voir réunie dans la surface de réparation, parce qu’il y en a, des choses à réparer… » Avec sa pote Domi, elles ont ressorti les chaussettes dépareillées, jaune et bleue, souvenirs de quelques belles aventures estudiantines. Remplaçantes au coup d’envoi, elles ont vite quitté le banc de touche pour suppléer des têtes d’affiche parfois un peu perdues sur le terrain. Domi s’est même fendue d’un deuxième but, grâce à un bon pressing sur le gardien… à la régulière, bien sûr : « J’ai toujours été plus 4-4-2 que 49.3 » , théorise-t-elle.
Un sombrero et une lucarne pour Éric Piolle
Le frisson viendra finalement d’Éric Piolle, auteur d’un joli sombrero en première mi-temps, avant de décocher en deuxième une frappe en pleine lucarne, qui fera trembler les filets des mini-buts gonflables. Bilan ? « Il y avait plus de filles que de mecs sur le terrain et une très bonne ambiance, tout cela recoupe pas mal d’idées que nous défendons pendant cette campagne : la mixité, la bienveillance, etc. résume Hugo, l’un des organisateurs. On a montré ce que c’était qu’un foot de gauche ! » Jusqu’au résultat, nul : 2-2, score final. Mais après tout, les grandes victoires ne se construisent-elles pas dans l’intimité d’un vestiaire et dans l’effervescence des douches partagées d’après-match ?
Car l’enjeu, mercredi soir, était bel et bien ailleurs, ou plutôt après, dans une troisième mi-temps qui a pris la forme d’un grand meeting sous un chapiteau, rempli, du centre-ville. Une façon de consolider l’unité ? C’était compter sans François Ruffin, qui n’avait pas tout à fait encore rangé ses crampons, continuant à mots couverts le duel qui l’opposait à Matthieu Orphelin en dénonçant le « macronavirus qui nécessite un cordon sanitaire » . Tous ont en tout cas confirmé qu’ils étaient plus à l’aise à la tribune qu’avec un ballon, enchaînant bien plus vite les punchlinesque les frappes cadrées. « L’universalité du système de retraites, c’est surtout l’universalité de la colère » , rappelait de son côté Clémentine Autain.
À quatre jours du premier tour des élections municipales, l’objectif semblait largement excéder le seul scrutin local : c’est bel et bien à une première pierre sur le chemin plus si lointain des présidentielles 2022 que ressemblait ce moment partagé. « Il y a un enjeu national, celui d’ouvrir un chemin d’espérance, a ainsi clamé François Ruffin. Je suis pour un rassemblement et un candidat unique de la gauche et des écologistes en 2022. » Si le match pour 2022 paraît donc bien lancé, l’avenir nous dira vite si l’équipe le termine bien à onze. L’histoire, de son côté, retiendra peut-être que la refonte de la « nouvelle gauche écologiste » a en partie commencé autour d’un ballon. En attendant, elle retiendra surtout que c’était probablement le dernier match de la saison en présence de public en France. Parce que les écologistes sont aujourd’hui les derniers à pouvoir rassembler ?
Par Barnabé Binctin, à Grenoble