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Algérie-France, l’impossible derby ?

Chérif Ghemmour / Photos : IconSport
6 minutes
Algérie-France, l’impossible derby ?

Le France-Algérie du 6 octobre 2001 a agi jusqu’à aujourd’hui comme le révélateur d’une des fractures françaises, déchaînant les passions identitaires. Et l’espérance de voir se rencontrer à nouveau nos deux pays, dans un climat apaisé, reste pour l’instant un vœu pieu.

Retrouvez la première partie ici et la deuxième partie ici

La désillusion de l’après-France 1998 vient de sonner : les Bleus ne peuvent être le vecteur de solutions express à tous les problèmes récurrents de la société française. Une mission démesurée dénoncée en premier lieu par les Bleus, choqués et déçus, à travers les propos tenus à chaud par Frank Lebœuf : « On a mis nos vies en danger. On s’est servis des Bleus à des fins politiques. Si on avait écouté les joueurs en interne, ce match aurait été reporté à une date ultérieure compte tenu du contexte. » Le débat explosif se focalise vite sur la thématique brûlante immigration-intégration visant notamment les jeunes des seconde et troisième générations.

Intégration républicaine en panne

À six mois des présidentielles d’avril 2002, les incidents du Stade de France provoquent d’abord les réactions politiciennes attendues : « Ils sont la preuve que l’immigration est un danger majeur, car elle véhicule l’islam et l’islamisme » (Bruno Mégret), ou bien « ces évènements lamentables sont le signe de l’échec total de la soi-disant politique d’intégration menée dans nos banlieues » (Philippe de Villiers). Mais c’est bien tout un pays qui est en état de choc. Une semaine après le match, un sondage IPSOS tombe : « 56 % des Français jugent les incidents graves, car ils témoignent des difficultés d’intégration d’une partie de la population française d’origine musulmane. » Pour cause d’angélisme trop prononcé sur l’insécurité et l’immigration, entrées par amalgame en résonance avec la soirée du 6 octobre, des observateurs avanceront l’idée que Lionel Jospin aurait été une des victimes collatérales du désastreux France-Algérie 2001. Fatalement doublé par Jean-Marie Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle du 21 avril 2002, il y aurait perdu l’Élysée… Le journaliste du Monde Philippe Bernard avait, lui, pointé avec justesse le malaise identitaire des jeunes Franco-Algériens : « France-Algérie, c’était le match qui opposait le pays de leurs parents au leur. Un dilemme impossible à arbitrer dont effectivement personne ne peut sortir vainqueur. »

Lilian Thuram, meurtri ( « Et dire que maintenant il va falloir se battre à nouveau pour dénoncer les amalgames et expliquer que tous les noirs et les arabes ne sont pas des semeurs de pagaille » dans L’Équipe du 8 octobre 2001), avait rencontré à Barcelone en janvier 2008 pour So Foot Mamadou Ndiaye, un des jeunes montés sur le terrain. Un dialogue de sourds s’était ensuivi, révélateur de l’appartenance problématique à la nation française ancrée chez beaucoup de jeunes issus de l’immigration : « Je sais que je suis français, mais je ne suis pas un Français normal, avait témoigné Mamadou. Un Français normal, c’est un blanc. Quand on me demande, je dis toujours que je suis français d’origine sénégalaise. Je ne dirais jamais que je suis simplement français. » Entre-temps, les émeutes des banlieues à l’automne 2005 avaient accentué cette fracture ethnoculturelle révélée en 2001. Puis il y avait eu aussi le France-Maroc du 17 novembre 2007 dans un Stade de France à majorité marocaine où La Marseillaise fut conspuée à nouveau, tout comme elle l’avait été lors du France-Tunisie du 14 octobre 2008. Au constat inquiet émis par Razzy Hammadi (ex-député PS) sur France-Maroc 2007 et France-Tunisie 2008 ( « C’est annonciateur d’une société qui va mal et à terme une société où on ne vit pas ensemble, mais les uns à côté des autres » ), le sociologue Stéphane Beaud, coauteur en 2011 de l’ouvrage Traîtres à la nation ?, avait considéré avec plus d’optimisme l’évolution sociale positive des franco-immigrés : « La plupart d’entre eux veulent vivre tranquillement en France. Ça fait maintenant depuis 50 ans qu’ils sont là, et l’intégration continue, oui ! C’est un processus inéluctable. Seulement, il prend des formes contradictoires. »

Et Djamel Belmadi tendit la main aux Bleus…

Le foot français a engendré depuis 2001 un chassé-croisé identitaire paradoxal, limite schizophrénique, chez les jeunes générations successives issues de l’immigration, parfois écartelées entre leur attachement pour les Bleus et pour les sélections des pays de leurs parents… Les Franco-Algériens ont fêté dans la ferveur la victoire des Fennecs à la CAN 2019, tout comme la plupart d’entre eux s’étaient déjà joint un an avant à l’immense liesse black-blanc-beur qui avait suivi la victoire des Bleus à la Coupe du monde en Russie ! Et depuis la regrettable affaire des quotas de 2011, les binationaux de tous horizons nés en France se partagent entre les Bleus (Benzema, Pogba, Rami, Kanté) et le pays de leurs ascendants (Belhanda, Aubameyang, Mahrez, Haller) dans un climat plus apaisé. Même si les tensions politico-sociales se font récurrentes au moment des « caïds de Knysna 2010 » , des « bad boys » de l’Euro 2012 ou lors de la fracture encore vivace chez les supporters « maghrébins » des Bleus prenant fait et cause pour Karim Benzema (longtemps écarté de l’équipe de France) contre Olivier Giroud, « le bon Français bien blanc »… Depuis 2001, l’équipe de France est ainsi devenue malgré elle, pour le meilleur et pour le pire, un des baromètres édifiants des diverses turbulences sociétales du pays. Et c’est en partie pour exorciser à nouveau les démons d’hier et d’aujourd’hui dans une France déchirée qu’a ressurgi, en 2019, l’idée d’un match Algérie-France.

Début 2009, déjà, un projet de rencontre amicale avait été lancé à la date du 11 novembre à Alger. Mais, empêchée par un barrage de Mondial 2010 crucial contre l’Irlande, l’équipe de France avait dû annuler les retrouvailles. La Coupe des confédérations 2021 aurait pu ensuite, si elle n’avait pas disparue entre-temps, opposer les Bleus champions du monde aux Fennecs champions d’Afrique. C’est d’ailleurs dans la foulée de cette CAN 2019 que Djamel Belmadi, coach de l’Algérie (et buteur au Stade de France en 2001), avait émis le souhait d’affronter la France : « Ce serait un match de prestige, contre une équipe doublement championne du monde, un match dont l’aspect sportif m’importe beaucoup. » Une initiative accueillie favorablement aussitôt par Noël Le Graët, président de la FFF qui, de concert avec son homologue algérien Kheireddine Zetchi en octobre 2019 à Paris, avait envisagé la tenue d’un tel match entre fin 2020 et début 2021. La crise de la Covid ayant gelé le projet, Noël Le Graët avait ensuite émis de sérieux doutes en septembre 2020 sur sa faisabilité : « On n’a jamais réussi à trouver un accord. Le président de la Fédération algérienne le souhaitait, mais je ne suis pas certain que l’État algérien le souhaitait vraiment. » Le boss de la FFF avait réitéré sur SoFoot.com en juin 2021 son souhait de voir ce match s’organiser :« C’est le seul pays du monde qu’on ne peut pas rencontrer.(…)J’ai envie d’aller jouer en Algérie parce que ce serait un signe fort et je ferai tout ce que je peux. » Mais l’affaire est restée au point mort, faute d’écho favorable d’Alger. Aujourd’hui, depuis fin septembre 2021, la « crise des visas » entre la France et l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, qui vise à endurcir leur octroi pour les ressortissants maghrébins, vient de marquer un sérieux coup d’arrêt à un match qu’on espérait voir se dérouler au nouveau stade olympique d’Oran. Et si ce derby de la Méditerranée entre deux pays plus proches qu’on ne le croit se tenait bientôt sur terrain neutre ? En 2022, au Qatar, par exemple.

Retrouvez la première partie ici et la deuxième partie ici

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