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Stéphane Morello : « Ils se sont vengés, puis ils m’ont juste oublié »

Propos recueillis par Raphaël Brosse
Stéphane Morello : « Ils se sont vengés, puis ils m’ont juste oublié »

Dans le livre Séquestré au Qatar (Max Milo Éditions) publié en 2015, Stéphane Morello raconte son calvaire : celui d’un homme venu dans le petit émirat pour entraîner et qui, par la seule volonté de son employeur, y est resté bloqué pendant quasiment cinq ans.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?Je vis désormais à Caracas. J’ai repris le métier pour lequel je m’étais destiné dans ma tendre jeunesse, à savoir celui d’enseignant. Ma carrière d’entraîneur s’est arrêtée au Qatar et n’a pas repris depuis.

Pouvez-vous nous rappeler pourquoi vous n’avez pas pu quitter le territoire qatari pendant près de cinq ans, de janvier 2009 à octobre 2013 ?Au Qatar, il y a une spécificité qui s’appelle la kafala. C’est un système imposant à tout étranger venant travailler dans le pays d’être parrainé par un kafil, autrement dit un parrain, en quelque sorte responsable de vos agissements et de votre conduite. Ce parrain, qui est souvent votre employeur, vous donne ou pas le droit de faire certaines choses, comme louer une voiture, acheter un appartement ou encore quitter le pays. Moi, j’étais parfaitement en règle, j’avais un passeport à jour, je ne faisais l’objet d’aucune procédure judiciaire, je n’étais pas visé par un travel ban (interdiction de quitter le territoire, NDLR). Cependant, je ne pouvais pas partir, tout simplement parce que mon parrain, le Comité olympique qatari, ne daignait pas m’accorder ce droit.

Le siège du Comité national olympique qatari (Crédits photo : Joey Coleman).

Qu’a-t-on voulu vous faire payer ?Mon entêtement, ainsi que ma volonté de ne pas céder face à certaines pratiques. Pour résumer rapidement, ma première année là-bas s’est très bien passée. Le club où j’entraînais (Al-Shahaniya, en D2, NDLR) était très content de moi. Mais il y a eu du changement à l’intersaison, et le nouveau président m’a remercié. OK, pas de problème, à condition de payer ma dernière année de salaire. Je me suis tourné vers le Comité olympique (il était sous contrat avec cet employeur et non pas avec le club, NDLR), qui n’a voulu me verser que deux mois. Alors j’ai décidé de le poursuivre en justice, ça n’a pas plu aux responsables, qui ont répliqué en me bloquant au pays. Ils se sont vengés, puis ils m’ont juste oublié, au milieu de leurs dizaines de dossiers et avec leur administration calamiteuse. Et forcément, quand l’affaire a commencé à faire du bruit, ils étaient un peu embêtés.

Les gens se demandaient pourquoi j’avais fait autant de bruit pour, finalement, ne pas quitter le Qatar. Ils ne comprenaient pas la nuance : je me battais pour avoir le droit de sortir, pas pour sortir à tout prix.

Une fois votre liberté de mouvement retrouvée, vous avouez avoir ressenti beaucoup d’amertume, comme si vous étiez « le perdant de la finale » . Comment l’expliquer ? C’est un événement qui a fait parler dans les médias et a mobilisé pas mal d’acteurs, dont le quai d’Orsay et même la FIFA, qui a agi dans l’ombre. J’étais au centre de toute cette agitation, mais quand j’ai enfin retrouvé ma liberté, je n’avais pas du tout le cœur à la fête. Tout simplement parce que j’ai dû signer un document mensonger (une reconnaissance de dette de 300 000 euros, pour l’occupation de la maison fournie par le Comité olympique, NDLR). Eux, ça leur a permis de sauver la face, en quelque sorte de justifier mes cinq ans de détention. Par principe, je ne voulais pas signer. Je l’ai finalement fait, à contrecœur.

Dans la foulée, vous êtes pourtant encore resté pendant quelque temps au Qatar, ce qui a suscité une certaine incompréhension.Les gens se demandaient pourquoi j’avais fait autant de bruit pour, finalement, ne pas quitter le Qatar. Ils ne comprenaient pas la nuance : je me battais pour avoir le droit de sortir, pas pour sortir à tout prix. Ça faisait huit ans que j’étais là-bas, mes enfants y avaient tous leurs repères. J’envisageais de plier bagages à terme, dans le calme et la sérénité. Je voulais d’ailleurs rester jusqu’à la Coupe du monde, mais à la suite de la parution du livre (Séquestré au Qatar, Max Milo Éditions, 2015) et à la plainte que j’ai déposée, mon visa n’a pas été renouvelé.

Le cheikh Tamim, en compagnie de Nasser al-Khelaïfi.

Justement, à quoi a abouti cette plainte, que vous aviez déposée en avril 2014 contre le Comité olympique et son président de l’époque, le cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, désormais émir du Qatar (et accessoirement propriétaire du PSG) ?Rien, si ce n’est de la perte de temps et d’énergie, un espoir déçu et une certitude avérée : la justice française fonctionne d’une façon totalement incompréhensible pour le commun des mortels, en privilégiant les intérêts économiques ou politiques. Je voulais faire valoir l’extorsion, être indemnisé pour le préjudice subi, identifier des responsables. Il y a eu un non-lieu, j’ai fait appel. Deuxième non-lieu, j’ai lâché l’affaire.

J’estime m’être fait rouler autant par les Qataris que par les Français, mais j’en veux beaucoup plus aux Français.

On comprend que les très bonnes relations diplomatiques entre la France et le Qatar ne vous ont pas franchement aidé… Je pense même qu’au contraire, l’ambassade de France et le ministère des Affaires étrangères ont été complices de cette gigantesque escroquerie, qui a consisté à me faire signer ce papier pour me faire sortir du territoire. J’en ai eu la preuve pendant l’instruction, en entendant les différents protagonistes proches du dossier tenir des propos mensongers. C’était honteux. J’estime m’être fait rouler autant par les Qataris que par les Français, mais j’en veux beaucoup plus aux Français. Qu’un type ayant passé sa vie à construire des châteaux dans le désert et considérant ceux qui travaillent pour lui comme des esclaves me traite de la sorte, je peux le comprendre. Mais que des personnes issues de la même école républicaine que moi arrivent à faire passer sous silence de tels agissements, ça, je ne l’accepte pas.

Il faudrait demander à Marcel Desailly, Frank Lebœuf ou Christophe Dugarry ce qu’ils en pensent. Eux aussi se sont fait marronner !

À la lecture de votre livre, on comprend que vous n’étiez pas le seul étranger travaillant dans le football à avoir été bloqué au Qatar.Il faudrait demander à Marcel Desailly, Frank Lebœuf ou Christophe Dugarry ce qu’ils en pensent. Eux aussi se sont fait marronner ! Ils ont joué au Qatar, se sont retrouvés face à un employeur refusant de les payer et qui les a retenus contre leur gré, jusqu’à ce qu’ils acceptent de signer un document dans lequel ils renonçaient à leurs salaires. Il doit y avoir un paquet d’autres exemples, même si je ne sais pas ce qu’il en est maintenant.

C’est a priori contestable dans les faits, mais, officiellement, la kafala a été abolie fin 2016. Votre problème aurait-il été réglé si ce changement de législation avait eu lieu plus tôt ? S’il n’y a effectivement plus besoin de l’accord du parrain pour quitter le territoire, ça change tout. Ça aurait réglé mon problème et ça règle celui de tous les expatriés en provenance des pays riches. Mais certainement pas celui des pauvres mecs qui viennent du Népal, du Sri Lanka ou du Pakistan, à qui on prend le passeport dès leur arrivée sur le territoire. C’est une pratique illégale, certes, qui n’a toutefois rien à voir avec la kafala.

Vous étiez déjà à Doha quand la Coupe du monde a été attribuée au Qatar, puis lorsque l’attention médiatique a commencé à se porter sur la situation des ouvriers construisant les stades. Ce coup de projecteur vous a-t-il été profitable dans votre combat ?Absolument pas. En matière de communication, les Qataris étaient encore des débutants. Mon cas personnel et celui des autres étrangers en difficulté, ils s’en foutaient complètement. La famille royale pensait que la francophilie qu’elle affichait, notamment en investissant beaucoup en France, serait suffisante pour se faire bien voir, que le reste ne ferait pas de vague. Ils étaient vraiment à des années-lumière de penser que le sort des travailleurs étrangers aurait une quelconque importance aux yeux des sociétés occidentales.

Le Qatar a fixé un seuil, certes très bas. Mais qu’est-ce qui empêche les dirigeants de ces grands groupes occidentaux d’offrir des salaires plus élevés, plus de place pour vivre ?

Que vous inspire la vague d’indignation suscitée par les reportages sur les conditions dans lesquelles les travailleurs étrangers sont traités au Qatar ? Ça me fait doucement rigoler. Tous ces pauvres gens, ouvriers sur les chantiers, agents de sécurité, chauffeurs, jardiniers, électriciens, ce ne sont pas des fonctionnaires de l’État qatari. Ils travaillent pour des entreprises privées, souvent étrangères, comme par exemple Total, Vinci ou Bouygues. C’est à ces employeurs, qui paient les sous-traitants, de s’assurer que les conditions de travail sont décentes. Le Qatar a fixé un seuil, certes très bas. Mais qu’est-ce qui empêche les dirigeants de ces grands groupes occidentaux d’offrir des salaires plus élevés, plus de place pour vivre ? Les coupables, ce sont davantage les entreprises qui font bosser ces gens-là que les Qataris.

Suivrez-vous cette Coupe du monde ?Bien évidemment ! J’aime le foot, et tous les quatre ans, la Coupe du monde est un événement sacré. Je vais la suivre comme un supporter de l’équipe de France, je m’en réjouis d’avance, même si ça me fait chier qu’elle ait lieu en novembre. Mais une fois que je serai devant ma télé, j’oublierai le temps qu’il fait dehors.

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Propos recueillis par Raphaël Brosse

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