- Foot et santé
Mais qui es-tu, la kinésiologie ?
Pourquoi Lionel Messi est-il si fort ? Tout simplement parce que Giuliano Poser, son médecin personnel, utiliserait des principes de kinésiologie, une thérapie dite « douce ». Sauf que cette dernière ne repose sur aucune preuve scientifique tangible.
De l’eau, de l’huile d’olive, des céréales, des fruits frais, des légumes biologiques, de l’homéopathie et des séances de médecine alternative. Voici donc la recette miracle de Lionel Messi pour rester au top de sa forme. À l’origine de ce menu, un homme. Son nom ? Giuliano Poser, médecin italien méconnu de beaucoup, qui travaille également avec Diego Maradona, Alessandro Del Piero, Sergio Agüero, Ángel Di María, Gonzalo Higuaín ou encore Marco Materazzi et qui a bossé pour Palerme ou Udinese. Rien que ça. Sur les murs de son bureau de Sacile (nord-est de l’Italie), quelques mots : « L’esprit humain est comme un parachute. Il ne fonctionne que quand il s’ouvre. » « C’est une phrase assez significative de ce que je fais ici : de la kinésiologie appliquée » , s’expliquait-il récemment dans So Foot. En France, la kinésiologie commence aussi à être connue. Mais a encore du mal à s’imposer dans le monde du football, et du sport de haut niveau en général. Et pour cause : pour l’univers scientifique, elle n’est tout simplement pas fiable.
Une pratique pseudo-scientifique
Pratique destinée à favoriser un état d’équilibre et de bien-être physique, la kinésiologie représente, selon l’Institut français de kinésiologie appliquée, « un ensemble de techniques venant des domaines psycho-émotionnel, structurel, nutritionnel, énergétique et neurologique, guidé et validé par l’application des tests musculaires. Les origines de cette approche développée par le Dr George Goodheart remontent aux années 1960. » Le principe est simple : puisque « le corps ne ment pas » , l’analyse des mouvements de l’organisme est censée donner des indications sur ce qui va et sur ce qui ne va pas. « Mon travail consiste à calculer la force des muscles de mes patients pour leur donner le meilleur traitement possible, détaille le Dr Poser. Je ne prescris jamais de médicaments pour soulager la douleur. Moi, ce que je cherche, c’est la cause de la douleur, l’origine du mal. C’est pourquoi il est important que mes patients aient une énergie positive. » Concrètement, une blessure ou une douleur serait expliquée par la « mémoire du corps » , c’est-à-dire un trouble du passé (décès, trouble émotionnel…), et le kinésiologue utilise le test musculaire (bio feed-back) afin d’identifier les déséquilibres, qu’ils soient physiques ou mentaux. En observant la tenue des muscles par le simple toucher, il serait ainsi capable de détecter les zones qui sont en « mauvaise santé » .
Suffit d’ailleurs de taper « test musculaire kinésiologie » dans Google pour tomber sur de nombreuses vidéos et se faire une idée de cette technique. Qui sort de l’ordinaire, c’est peu de le dire. Un constat s’impose : aucune publication sérieuse prouvant les résultats scientifiques de ce concept n’a été recensée. La profession, qui n’est pas reconnue par le conseil national de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, est même considérée par beaucoup comme dérive sectaire. « Cette méthode se situe à peu près au niveau -100 de l’approche scientifique, balance Gaël Piette, masseur-kinésithérapeute, ostéopathe, cadre de santé, membre de la société française de physiothérapie et qui possède une liste de diplômes longue comme le bras. Elle peut être dangereuse si elle est poussée à l’extrême. Je me souviens que dans les années 2000, un nourrisson est décédé parce que selon le kinésiologue, son corps lui disait de ne pas se soigner. Le bébé est mort de dénutrition. »
Biais humains
Ok. Mais alors, comment expliquer le fait que cela marche ? Ou plutôt, pourquoi Messi et le rugbyman Christophe Dominici sont persuadés que leur gourou les rend invincibles ? « Si Messi dit qu’il a réussi sa saison grâce à ça, de nombreuses hypothèses sont possibles, répond Gaël Piette.Ça peut très bien être une libération psychologique. Tu as tellement confiance en ton gourou que ça te rassure. Mais l’effet intrinsèque de la seule kinésiologie n’existe pas. En fait, les sportifs – et les autres d’ailleurs – sont victimes de biais cognitifs. » C’est-à-dire ? « Si Messi sort : « J’ai fait une super saison grâce à mon gourou », c’est comme si je disais : « Je n’ai pas de girafe dans mon appartement grâce à mon répulsif anti-girafe. J’en mets tous les matins et aucune girafe ne vient me rendre visite. » Super, hein ? Bah non : il y a d’autres raisons qui expliquent qu’aucune girafe ne soit venue dans mon appart’. Pour Messi, c’est pareil : ce n’est pas la kinésiologie qui l’a rendu fort, mais sûrement le fait qu’il ait eu un bon sommeil, qu’il se soit bien entraîné… »
Et le spécialiste de démonter la notion du post hoc ergo propter hoc : « C’est un sophisme latin qui dit : « Si une chose suit cela, cette chose s’est produite grâce à cela. » En gros, j’ai mal, je vais voir un kinésiologue, je n’ai plus mal, le kinésiologue m’a donc guéri. C’est faux : il y a confusion entre cause et corrélation. La visite chez le kinésiologue et la guérison sont associées dans le temps, oui, mais il n’y pas forcément de causalité entre les deux. Plein d’autres raisons peuvent expliquer la base de l’arrêt de la douleur ou de la pathologie. » Giuliano Poser, lui, ne se démonte pas. « Je sais que certains doutent de ma méthode, mais le monde du football n’a qu’à observer Messi pour se rendre compte que ça marche. Je n’ai rien à expliquer, les résultats parlent d’eux-mêmes. » Pas convaincant pour Gaël Piette : « Argument d’autorité qui n’a pas de sens. C’est comme la publicité de Novak Djokovic, qui faisait la part belle au sans gluten. Parce que Djoko gagne tout et ne mange pas de gluten, ce serait l’absence de gluten qui le ferait gagner ? » Sûrement la prochaine étape pour le régime de Léo.
Par Florian Cadu