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Madness : « J’ai été viré du groupe à cause d’un match de Chelsea »

Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov
6 minutes
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Madness ne meurt toujours pas. Le groupe emblématique du revival ska dans l'Angleterre de Thatcher, qui enchaîna en son temps les hits dont les incontournables One step beyond et Our House, revient même avec un nouvel album intitulé Can't touch us now. Toutefois, le courant musical amateur dont ces vilains garnements furent, de manière assez réductrice, les figures de proue, n'entretient pas la plus évidente des connexions avec le foot. Contrairement au punk ou à la oi! contemporaine. Or leur chanteur, Suggs, appartient sans conteste à la petite caste des artistes inconditionnels de Chelsea, aux cotés de Lloyd Cole ou Jimmy Page. Et il raconte comment, à cause de son amour des Blues, il a failli rater son entrée dans la légende de la pop.

Madness a connu son plus grand succès durant ce qui constitue sûrement les pires années du foot anglais en matière de hooliganisme. Toutefois, vous semblez moins concernés que la Oi! par exemple, alors que vos publics – rude boys, skinheads, herberts, etc – pouvaient sembler relativement proches parfois, comment vous l’expliquez ?
Je me souviens très bien de cette époque. Ce n’est un secret pour personne qu’en Angleterre, dans les années soixante-dix, nous étions confrontés à de gros problème de hooliganisme. À la suite de quoi, la loi est devenue vraiment extrêmement restrictive et répressive à ce propos, pour ce qui concernait l’intérieur des stades, dans les tribunes. Alors les gars se sont de plus en plus battus en dehors. Et parfois ils choisissaient leur groupe musicaux. Par exemple, West Ham suivaient Secret Affair tout comme les mods d’alors. Et donc, oui, il arrivait que ces différentes catégories de personnes se bagarrent lors des concerts, tout comme c’était alors une réalité dans tout le pays. Après, cela a commencé à changer de nature, notamment avec l’arrivée du National Front et la vague de skinheads d’extrême droite. Nous, les Specials et les autres, nous parlions surtout de musique et nous avions des musiciens noirs. Disons que le comportement des gens qui venaient à nos concerts a évolué et que les autres ne venaient plus.

Vous êtes connus pour être un pur fan des Blues de Chelsea. Qu’en est-il pour les autres membres du groupe ?
Nous venions tous du nord de Londres, donc il semblait un peu logique d’être pour Chelsea. Les autres étaient néanmoins plus en retrait sur le sujet. Nous nous engueulions constamment, de manière amicale, sur le foot. C’était marrant parce qu’à l’époque, franchement, Chelsea traversait une sale période et nous étions très loin des sommets du championnat.

Et avec les autres groupes anglais, le foot pouvait envenimer les relations ?Oui, plutôt d’une manière marrante, en général. Après, il faut vraiment se remettre dans le contexte, les années 70-80. Je me souviens qu’on avait croisé les Cockney Rejects à une « party » et les gens étaient excités à l’idée que nous soyons au même endroit, ils attendaient presque qu’ils se passent quelque chose. À ce moment, cela pouvait vite dégénérer autour du foot. Cela dit, il n’y avait pas grand-chose d’autre pour s’occuper à ce moment précis en Angleterre, c’était une période assez triste. Il n’y avait que le punk et hooliganisme pour tuer l’ennui.

Écouter les supporters reprendre une de nos chansons, c’est grandiose. Ce qui est encore plus cool, c’est qu’ils ne jouent notre morceau qu’à l’occasion des gros matchs, contre Manchester City ou autres. Pas chaque semaine, quoi…

Est-il vrai que vous avez presque failli être viré du groupe parce que vous suiviez plus Chelsea que les répétitions ?Quand Madness a pris une tournure nettement plus sérieuse, on s’est aussi mis à répéter le samedi. Et le samedi, moi, j’étais toujours au foot. Chaque semaine, je sortais une excuse bidon comme quoi je me sentais pas bien ou n’importe quel prétexte en bois. Sauf qu’une fois, ils m’ont chopé à la télévision lors d’un match de football, où j’étais debout dans les gradins. J’ai reçu un message comme quoi j’étais viré. Heureusement, le chanteur remplaçant qu’ils avaient trouvé est parti de son propre chef, donc comme j’étais le seul à connaître les paroles des chansons, je suis revenu. Pour quelques minutes d’une rencontre de foot, ma vie aurait pu être très différente…

D’autant plus qu’aujourd’hui, tu peux entendre les fans de Chelsea entonner One Step Beyond à Stamford Bridge, qu’est-ce que tu ressens quand cela arrive ?
Pour moi, c’est juste énorme, une immense fierté. Quand j’étais gamin, la vie se résumait au football et à la musique, les deux seules choses qui me passionnaient, et Chelsea avait une place centrale là-dedans. Alors, évidemment, écouter les supporters reprendre une de nos chansons, c’est grandiose. Ce qui est encore plus cool, c’est qu’ils ne jouent ce morceau qu’à l’occasion des gros matchs, contre Manchester City ou autres. Pas chaque semaine, quoi…

Pour continuer sur ce versant, l’hymne de Chelsea demeure un classique du early reggae, Liquidator par Harry All Stars, et tout le monde sait l’importance de la musique jamaïcaine dans les influences de Madness (dont le nom est un hommage à un titre de Prince Buster, RIP). Le stade t’y a un peu initié ?
Oui, bien sûr que cela m’a marqué. C’est notre titre depuis plus de quarante ans maintenant. Quand j’étais gamin, j’étais impressionné de voir et d’entendre le Shed le reprendre d’une seule voix, tous se tenant debout. C’était aussi plus largement la musique que nous écoutions quand nous étions gosses, elle était très populaire alors en Angleterre. Quand nous avons commencé à vouloir faire de la musique, nous étions encore marqués par le punk, nous en sortions à peine. Sauf que le punk ne véhiculait pas trop de groove et nous avons donc essayé de trouver un truc plus groovy. Et avec les Specials, les Selecters, tout ce beau monde, nous nous sommes souvenu subitement de ces titres qui nous avaient bercés…

Nous devons le respect à John Terry.

Vous avez vraiment demandé à la reine ses tickets pour la finale de la Cup quand vous l’avez rencontrée ?Oui. Cela m’est venu parce qu’un comédien nommé Tommy Cooper en avait fait de même dans les années cinquante. Il lui avait demandé si elle s’intéressait au foot, elle avait répondu non, il avait enchaîné : « Ok, je peux avoir vos ticket pour la finale de la Cup ? » La blague était restée dans ma mémoire et je lui ai sorti quasi exactement à l’identique. Elle n’avait pas du tout oublié ! En fait, je ne savais pas trop quoi dire à la reine. Qu’est-ce que je pouvais bien lui raconter ? Donc autant tenter..

C’est un peu une question routinière, mais quel joueur de Chelsea garderais-tu dans ton hall of fame ?
Il y en a tellement eu. Quand j’étais jeune dans les années 70, je pouvais vous citer sans problème l’équipe entière. Je me rappelle en particulier d’un gars nommé Allan Hudson, qui ne joua malheureusement pas souvent en sélection nationale pour des tas de raisons bizarres. Ensuite, je conserve un très bon souvenir de Gianfranco Zola, dans les années 90. Je suis aussi un grand fan de John Terry. Il n’est certes pas une personne parfaite, il fut cependant un incroyable footballeur, un gars de Chelsea, il est de Londres et il est resté fidèle à ses couleurs, à son club, quand, aujourd’hui, les joueurs en changent chaque saison. Nous devons le respect à John Terry.

Comme beaucoup, tu penses donc que le football anglais a perdu son identité ?Toute la nature du football tourne aujourd’hui autour de l’argent. Quand j’étais gamin, tu jouais pour l’équipe de ton quartier, de ton coin de Londres ou d’ailleurs, cela forgeait le destin d’une carrière. Désormais… Cela se ressent dans notre équipe nationale, qui s’avère vraiment pourrie, car nous avons perdu cet état d’esprit si particulier, qui s’est complètement évaporé…

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Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov

Madness, Can't touch us now (MCA/Universal) sorti le 28 octobre.

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