Quelle est l’idée derrière le documentaire Red Army ?
Je voulais faire un film autonome en dehors du coffret des documentaires sur le sport d’ESPN et surtout ne pas faire un film sur le hockey. L’idée consistait à capter l’âme de ces mecs, ce qu’ils représentent, leur amitié, ce qu’ils sont vraiment, leurs trahisons, car ça parle aussi de l’Union soviétique d’alors, les bons et mauvais côtés. J’aime le hockey et ce qu’il propose de commun avec les autres sports, le football notamment : la créativité, la tactique, avancer ses pions et surtout rester fluide dans le jeu. J’aime la créativité, Zidane, Messi, Maradona, ça me parle parce que leur créativité est couplée à de l’agilité.
Quelle option tactique est véritablement stratégique au hockey, comparée au foot ?
Sur la glace, Wayne Gretzky a porté l’idée de la contre-attaque très, très haut par exemple. La contre-attaque, c’est le mouvement que je préfère, tu passes du désavantage complet à l’avantage certain. C’est très présent dans le foot, mais c’est une tactique qui devrait être peut-être plus populaire dans la tête des amateurs de foot, et non vu comme un accident. Au hockey, la clé, c’est la souplesse des poignets qui me paraît la plus importante dans ce genre d’action. Au football, c’est celle des chevilles, le rythme, les feintes de regard et de corps et surtout la mémoire : les grands meneurs en foot savent parfaitement qui est où, devant, derrière, même sans les voir. C’est fascinant, ce qui reste de cette mémoire en mouvement, c’est sous-estimé, c’est de l’ordre des neuro-sciences… On retrouve un côté très fluide dans le jeu de l’Union soviétique d’alors, comme le Brésil 70… Les gens ne comprennent rien au hockey, donc mon idée était de décrire d’une manière très simple l’évolution qu’ils ont apportée dans le jeu, une philosophie et l’arrière-plan politique. À l’écriture, j’avais une idée, je voulais faire un grand thriller, mais ça a été plus dur que prévu, la manière de raconter l’histoire après les premiers entretiens, comment commencer. Le film devait être sensoriel. L’entraînement permettait au final de faire une vraie proposition de créativité. Je trouve souvent sous-estimée aussi la dimension artistique du jeu, personne n’en parle. La danse et les exercices du Bolchoï, le mythique entraîneur Anatoli Tarasov utilisait la danse, ça les aidait, vraiment… La tactique parfaite en hockey, c’est un grand nombre de principes de jeux et de système, et une grande autonomie pour que le corps ne gêne pas l’idée…
Avez-vous travaillé sur l’équipe de football du Dynamo de Kiev de Lobanovski pour préparer le film ?
Oui, je sais que le Dynamo de Kiev a permis de comprendre le jeu des Soviétiques pour beaucoup de gens qui ne connaissent pas le hockey. Les échanges entre Tarasov – puis un entraîneur très dur, Tikhonov – et Lobanovski devaient être fascinants, mais je ne sais pas s’ils se livraient vraiment comme ils auraient dû le faire l’un à l’autre. Au Canada, le jeu était très vertical quand les Soviétiques ont apporté une vraie nouveauté : le retour en arrière. Je crois beaucoup au fait de revenir en arrière pour créer une occasion. Le football total, c’est une option, mais j’ai l’impression que le jeu peut aussi se penser par vagues, accepter les temps morts.
Le Real Madrid de Zidane et Ronaldo jouait comme cela…
Oui, je crois me souvenir que ça jouait très, très fort une partie de la première mi-temps, qu’ils marquaient alors beaucoup de buts et géraient ensuite. Les grandes équipes jouent par vagues, je crois. Je dirais que le jeu des Soviétiques en hockey d’alors se rapproche plus des Espagnols que des Brésiliens. Avoir la possession de la balle ou du palet pour créer des opportunités demande de comprendre les quelques chiffres clés du jeu pour le transformer en système collectif. Est-ce la passe ou l’espace qui crée l’occasion ? Au football ou au hockey, c’est pareil : se créer des opportunités. La sélection allemande de football l’a compris comme personne.
Hormis le capitaine Fetisov qui nous gratifie dans le film d’un bras d’honneur, il y a Krutov, le joueur-soldat, celui qui fait tenir l’équipe, mais qui n’arrive pas à extérioriser…
Je savais, que ça serait un personnage intéressant, difficile, un type qui veut échapper à son passé, très émouvant, triste. Je savais que quelque chose n’allait pas. Je crois qu’il était alcoolique, je n’en suis pas sûr, mais il est mort de nombreuses complications. Lui n’a pas réussi à faire sortir ce qu’il avait en lui. Les autres sont extravertis, mais ce n’est pas donné à tout le monde : être introverti dans le sport professionnel, c’est très dur…
À voir à l’Institut Lumière ce week-end : Red Army, samedi 10 janvier à 17h00, puis en salles partout en France le 25 février.
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