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Fredrik Gertten : « Zlatan a une image tellement puissante »

Propos recueillis par Guillaume Vénétitay
9 minutes
Fredrik Gertten : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Zlatan a une image tellement puissante<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Le documentaire Becoming Zlatan, édité par Bac Films et réalisé par les frères suédois Fredrik et Magnus Gertten, revient sur les premières années de la star suédoise, à Malmö et à Amsterdam. Fredrik Gertten nous en dit plus sur son travail et analyse l’évolution d’Ibrahimović.

Dans quel cadre avez-vous tourné les images de ce documentaire Becoming Zlatan ? Nous réalisions un film sur le club Malmö FF. De 1999 à 2001, on a tourné ces images. À l’époque, on savait qu’il y avait des conflits entre les jeunes et les vieux joueurs du club. On a demandé à un des jeunes s’il voulait être dans le film. Et c’était Zlatan. Il était décrit comme un très grand talent, mais aussi quelqu’un de trop compliqué à gérer. En réalité, on s’est retrouvé face à jeune homme vraiment charmant. Il était très honnête, sans langue de bois. Alors que la plupart des footballeurs parlent comme des robots. Il avait un mélange de charme et de fierté. Et il y avait toujours un peu de secret autour de lui. C’était un personnage fascinant dès le début.

Pourquoi attendre aussi longtemps pour lui consacrer un documentaire ?L’ancien film était à propos de Malmö FF qui essayait de remonter en première division. On suivait toute l’équipe, dont Zlatan, mais aussi les supporters, les dirigeants.

Il y a des passages où il parle beaucoup de son père, ce qui n’était pas montré dans notre premier film.

Becoming Zlatan est un documentaire sur un jeune qui passe à l’âge adulte. On a utilisé ce qu’on n’avait pas diffusé. Il y a une nouvelle perspective. Parce que dans son autobiographie (Moi Zlatan Ibrahimović, publiée en 2013 ndlr), Zlatan parle beaucoup de sa famille. En un sens, il a déverrouillé ces archives. Il y a 15 ans, il était jeune, on ne voulait pas forcément parler de ça, c’était peut-être trop privé. Il y a des passages où il parle beaucoup de son père, ce qui n’était pas montré dans notre premier film. On peut comprendre le meilleur joueur de l’histoire du football suédois grâce à ces détails. On a décidé de faire le film, en ajoutant de nouvelles interviews autour de lui.

L’image de Zlatan, aujourd’hui, c’est celle d’un mec qui en impose. On voit dans le documentaire des passages où Ibra a pourtant du mal à s’intégrer, comme à l’Ajax. Est-ce qu’il a dû s’endurcir et changer son caractère pour réussir ?En un sens, il n’a peut-être jamais changé son caractère. Zlatan a toujours pensé qu’il y arriverait. Parfois, certains entraîneurs ne croyaient pas en lui. Dans le documentaire, on le suit durant ces années où tout le monde ne croyait pas en lui. Le film se termine à Turin, quand il a réussi et atteint un niveau auquel il a toujours pensé qu’il était. Zlatan avait la certitude qu’il allait être si bon. Lorsqu’il est arrivé à Malmö, il savait qu’il était meilleur que tous les autres, les plus vieux ou les internationaux. Zlatan le voyait à l’entraînement, il faisait des choses avec le ballon qu’ils ne feraient jamais. Mais pendant les matchs, il jouait juste pour lui, il ne faisait pas de passes. Et ça, ce n’est pas du football. Comme tous les jeunes, il a appris à faire partie d’une équipe. Et c’est plus compliqué que d’être individuellement au-dessus.

Comment il a fait pour passer à cet état d’esprit plus collectif ?Zlatan est très à l’écoute des critiques, seulement s’il respecte la personne qui lui fait ces remarques. Sinon, il n’écoute pas du tout. Si quelqu’un lui crie dessus ou essaye d’être le patron, il l’enverra chier. C’est ce qu’il a fait toute sa vie, avec des entraîneurs, des profs, des voisins. Il est devenu meilleur avec le temps parce qu’il est bon pour apprendre des autres. Mais seulement s’il les respecte.

On voit dans votre documentaire des accès de colère, des expulsions… Un jeune assez nerveux sur le terrain. Ce qui ne lui arrive presque plus. Comment l’expliquer ?Il a gagné beaucoup de titres, c’est une star, un adulte. Il n’a plus tellement besoin de prouver. L’expérience au foot est très importante. Les plus vieux sont plus malins, ils savent quand ils peuvent être provoqués, ils ont plus de contrôle. On s’améliore tous avec le temps.

À votre avis, quelles sont les personnes qui ont beaucoup compté dans sa carrière ?Je ne suis pas un expert sur le reste de sa carrière.

Quand Capello lui dit d’arrêter de faire le cirque et de marquer des buts, il l’écoute car il le respecte.

Mais je sais qu’à Malmö, il écoutait beaucoup Hasse Borg (ancien joueur et à l’époque directeur sportif, ndlr), qui a joué longtemps en Allemagne ou pour l’équipe nationale de Suède. À Amsterdam, tout le monde dit que Jari Litmanen a été important pour lui. À la Juve, Capello lui a dit la même chose que les autres : « Arrête le cirque. Marque des buts. Tu n’es pas là juste faire plaisir au public. » Mais quand Capello lui dit ça, il écoute car il le respecte. À l’Ajax, il avait une bonne relation avec Marco van Basten, un des ex-meilleurs attaquants du monde, comme lui aujourd’hui. Van Basten avait un rôle assez libre puisqu’il était là pour passer ses diplômes d’entraîneur.

Dans le vestiaire du PSG, il y avait un respect total pour Zlatan. Personne n’osait élever la voix. Le seul qui a tenté, c’est Rabiot. Est-ce que c’était le cas à Malmö ?Non, c’était différent. À Malmö, c’était un jeune. Il est venu avec une attitude nouvelle. En Suède, on est très collectifs : c’est l’équipe avant l’individu. Zlatan représente une nouvelle génération de joueurs, plus individualiste. Mais c’est le cas dans toute l’Europe et dans tous les domaines. Les gens sont moins investis dans les associations, les syndicats. On s’engage différemment. C’est plus « moi » que « nous » aujourd’hui. À Malmö, les plus vieux se sont sentis provoqués par un jeune qui disait qu’il était meilleur qu’eux. Mais il avait raison, c’était le problème. (rires)

On voit aussi qu’il n’a pas été ménagé non plus à l’Ajax…Oui, et c’était plus compliqué car en Suède il avait beaucoup d’amis, de gens pour le protéger.

Les médias étaient au taquet pour décrire Zlatan comme un bad boy. Ils adoraient cet angle.

À Amsterdam, il y avait beaucoup d’attente de la part du public. Les médias étaient au taquet pour décrire Zlatan comme un bad boy. Ils adoraient cet angle. Et il y avait aussi les jeunes de l’Ajax. Van der Vaart, Sneijder et les autres ont fait toutes leurs gammes à l’Ajax et ils lui ont fait comprendre qu’il n’était pas du moule. Qu’il était « moins Ajax » qu’eux.

On a le sentiment que ce fameux but contre Nac Breda en mai 2004 est une sorte de déclic. Un but ultra-important qui lui permet d’être respecté par tous, de prendre une autre dimension.On peut dire que c’est le moment iconique de sa carrière. Mais il a probablement marqué des buts plus importants. Pour son premier match en C1, il inscrit un doublé contre Lyon, il a montré à Koeman qu’il était un joueur essentiel. À Malmö, on se rappelle tous ici quand il marque un doublé pour que le club remonte en première division, alors qu’il était déjà vendu à l’Ajax. Mais on se rappelle surtout de la magie. On est tombé amoureux d’un magicien qui pouvait faire des choses folles avec le ballon, qu’on n’avait jamais vues de notre vie. Ce n’était pas toujours efficace, mais on adorait. C’était plus des moments individuels, des dribbles. On savait qu’on ne reverrait pas si vite ça.

À partir de quand a-t-il fait l’unanimité en Suède ?À Malmö tout le monde l’adorait. Dans le reste de la Suède, les vieux journalistes ou les experts du football le critiquaient parce qu’il n’était pas assez collectif. Ou peut-être parce qu’il n’était pas suffisamment suédois. Ça n’a jamais été dit directement, mais ça a toujours été sous-jacent. Les supporters des autres clubs le ciblaient pour le faire péter un plomb. Toute la Suède l’a aimé quand il a commencé à réussir avec l’équipe nationale. Mais je dirais que le grand public l’aimait bien avant les experts et les journalistes. Ils pensaient qu’il n’était pas suffisamment bon. Alors que les fans attendaient cette magie depuis longtemps. Quand l’équipe de Suède jouait et qu’il était sur le banc, le public scandait son nom.

Dans le film, on le voit beaucoup sourire, rigoler. Aujourd’hui, en public, il montre l’image d’un type assez dur, sans émotion. Où se situe le vrai Zlatan ?Je ne le connais pas aujourd’hui.

Mais je suis quasi-certain que le jeune Zlatan vit dans le vieux Zlatan. Ce qui est renvoyé dans les médias, c’est une image contrôlée.

Mais je suis quasi-certain que le jeune Zlatan vit dans le vieux Zlatan. Ce qui est renvoyé dans les médias, c’est une image contrôlée. Notre film termine à la Juve avec cette nouvelle attitude. Il laisse les médias de côté et contrôle sa vie personnelle. Mais c’est le cas de toutes les stars. Zlatan travaille avec des gens très intelligents et talentueux. L’idée c’est de perpétuer la marque Zlatan après sa carrière. C’est un gros projet. Le personnage Zlatan a une image bien plus puissante que celle de Messi ou Ronaldo. Même s’ils sont plus reconnus en tant que footballeurs. Donc ce qu’on voit, ce n’est pas le Zlatan dans la vie privée. Et maintenant, il est très bon pour contrôler son image. Peu d’histoires de sa vie personnelle sortent d’ailleurs.

Justement, vous avez eu une liberté totale pour votre documentaire ?On a eu un bon contact avec son agent. Mais on n’a jamais eu de soutien officiel. Notre stratégie, c’était d’être indépendant. On a eu en quelque sorte un accord de non-interférence : on ne demande pas de faveurs et eux non plus. On avait l’avantage d’être respectés en Suède pour notre travail. Son agent et son entourage étaient très contents du film. On pensait qu’on ferait un meilleur documentaire de cette manière. Sinon, ça aurait été plus compliqué. Regardez le film sur Cristiano Ronaldo. C’est chiant car tout est contrôlé.

Aucun regret de ne pas l’avoir suivi à la Juve et après ?

Aujourd’hui, au PSG, on aurait eu beaucoup plus de portes fermées.

Tous les films doivent se terminer à un moment. Le documentaire à l’époque était sur Malmö et son retour en première division. Bien sûr ça aurait été super de le suivre ensuite. Mais on a eu un tel accès à Malmö ! Des fois j’étais assis sur le banc, à côté de Zlatan. Aujourd’hui, au PSG, on aurait eu beaucoup plus de portes fermées. Donc je n’ai pas de regrets.

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Propos recueillis par Guillaume Vénétitay

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