- Ligue 1
Faut-il supprimer le dimanche soir ?
Le Monaco-Marseille du week-end dernier est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Le dimanche soir est déjà une belle saloperie, pas besoin d'en rajouter avec des matchs moisis. Analyse d'une déprime.
Dimanche dernier, alors que janvier n’en finissait pas, Canal + a offert le deuxième plus mauvais spectacle de son histoire (8,96/20 selon les abonnés). La pire note datait du 12 décembre dernier, avec un Bordeaux-Rennes immonde étiqueté 7,80. Après chacun de ces matchs, le débriefing a été rude, à coup de vannes de Pierre Menès et d’indignation de Christophe Dugarry, alors que la presse ne s’est pas privée de critiquer le piètre spectacle. « Aujourd’hui, à Canal, quand un match est mauvais tout le monde le reconnaît, se réjouit Thomas Thouroude, de l’Equipe du Dimanche. Les abonnés connaissent trop bien le foot, on ne peut pas leur faire » . Surtout, pas question de commettre la même erreur qu’il y a deux saisons, lorsque la chaîne cryptée avait tenté de dissimuler l’ennui mortel provoqué par son joujou à 600 millions derrière un enthousiasme en carton-pâte.
Le blues du dimanche soir
Le risque, c’est de voir sombrer dans la dépression les un ou deux millions d’acharnés qui se posent sur le canapé chaque dimanche soir pour essayer d’oublier les engueulades de leur repas de famille ou la tristesse de Vivement Dimanche. Ah, cette torsion des tripes qui prend lorsque point la dernière soirée du week-end… Dans un article publié à l’automne 2008 dans Sciences Humaines, le fondateur du magazine, Jean-François Dortier, mettait des chiffres sur le phénomène : « Quand arrive le dimanche soir, 50 % des Français ont le blues et passent une mauvaise nuit en songeant à la reprise du lendemain. Voilà ce que révèle une étude du groupe Monster (avril 2008) sur la « phobie du lundi » : 52 % des salariés français souffrent de troubles du sommeil dans la nuit du dimanche au lundi » .
C’est un fait, on s’emmerde et on flippe le dimanche soir, mais est-ce qu’un mauvais match de foot n’empire pas les choses ? Jean-François Dortier, joint par téléphone, à la relance : « Rien ne permet de l’affirmer. D’autant que le blues du dimanche soir ne touche pas particulièrement les spectateurs de football. Pour être honnête, le titre de mon article « Le blues du dimanche soir » était surtout une accroche pour parler de stress au travail » . C’est vrai qu’on aurait du mal à mettre les déprimes de France Telecom ou de la Poste sur le dos d’un simple Monaco-Marseille, mais l’hypothèse ne devrait pas être exclue d’office par les sociologues. « Je ne connais pas d’étude qui porterait spécifiquement sur les liens entre les spectacles et le stress, se désole Dortier. Vraisemblablement, les loisirs atténuent le stress, mais il n’y a pas de matériau » . Et pourtant.
L’humour contre la dépression
Pourtant, cela vaudrait le coup de se pencher sur le sujet. Déjà, lorsque TF1 supprime son film du dimanche soir en 2006, quelques téléspectateurs en panique lancent un site afin de faire virer de bord les dirigeants de la Tour Bouygues. Sans succès. A l’époque, la Ligue 1 voit Lyon enchainer les victoires du dimanche soir sans opposition viable, et personne n’a envie de regarder les autres chaînes. Rien ne s’est arrangé depuis : le moral des Français ne cesse de se péter la gueule et le légendaire Barça-Real de novembre dernier a été décalé… du dimanche au lundi. Canal + a bien pris conscience de la situation. Avec la création du Canal Football Club, l’arrivée de Pierre Menès et, enfin, celle de Thomas Thouroude à L’Equipe du Dimanche, la chaîne à péage a tout misé sur l’humour (sic) pour faire oublier la morosité du spectacle présenté sur le gazon.
L’un des principaux intéressés n’est pas forcément de cet avis. « Il y a 20 ans, l’Equipe du Dimanche était la seule fenêtre pour voir du foot européen, explique Thouroude, chargé de distraire les masses après les calvaires que la L1 sait offrir. Aujourd’hui, si tu regardes les différentes antennes du groupe, t’en as tout le temps, donc le but était plutôt de donner une nouvelle couleur à l’émission » . Pourtant, le présentateur de l’EDD ne nie pas qu’un événement déprimant a provoqué le changement de ton du foot sur Canal : « à Knysna, on a atteint un tel niveau dans l’absurde que tu peux tenir un discours un peu différent, décalé. Il faut désacraliser le foot » . La grève des Bleus n’est donc pas seulement responsable de la crise, du déclin culturel français et de la délinquance en banlieue. Elle a aussi flingué le concept même du dimanche soir.
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