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Tristan Dingomé : « Je devais être une galère à coacher »
Depuis qu’il est l’adjoint de Stéphane Dumont à l’ESTAC, Tristan Dingomé est souvent au centre d’entraînement après 18 heures. « Je rentre plus tard à la maison que quand j’étais joueur. » Ce qui n’empêche pas l’ancien milieu de Monaco, Reims et Troyes de revenir sur sa carrière, mais aussi d’expliquer son choix d’intégrer un staff technique à seulement 34 ans et sans aucun diplôme.
Tu es revenu à Troyes en 2023, après ta courte expérience à Al-Fateh, en Arabie saoudite. À ce moment-là, l’idée c’est juste de s’entretenir physiquement ou tu avais déjà un projet de reconversion en tête ?
À la base, c’était juste pour rester fit et retrouver du rythme avec la réserve. Je voulais retrouver un nouveau défi, j’avais même quelques pistes un peu exotiques. Et puis, petit à petit, les choses se sont faites naturellement. Antoine Sibierski (directeur sportif de l’ESTAC) m’a proposé qu’on discute du club, du projet. On a eu plusieurs réunions et à un moment, il m’a demandé si je voulais intégrer le staff pro. Stéphane Dumont, que j’ai connu à Monaco et à Reims, était partant aussi. C’était impossible à refuser. D’abord parce que c’est mon club de cœur, et surtout parce que c’était une vraie marque de confiance. Franchement, je ne pensais pas que ça arriverait si tôt. J’étais encore joueur dans ma tête, je me disais : « J’ai encore quelques saisons à donner. » Mais finalement, je crois que c’est tombé au bon moment.
Je réalise que le métier de coach, c’est un autre monde. Quand t’es joueur, tu te dis que tu bosses dur, mais tu es surtout un consommateur.
Comment s’est passée cette transition de joueur à coach ?
Assez naturellement. J’ai eu la chance d’être très bien entouré et d’ailleurs je les remercie encore pour la chance qu’ils me donnent. Stéphane Dumont et Philippe Bizeul m’ont tout de suite intégré, je me suis senti utile dès le départ. Et je réalise que le métier de coach, c’est un autre monde. Quand t’es joueur, tu te dis que tu bosses dur, mais tu es surtout un consommateur. Tu viens, tu fais ta séance, et à 14 heures, tu es chez toi, si on ne compte pas le travail invisible. Là, tu démarres tôt, tu termines tard, et même le soir tu y penses encore. C’est prenant mais c’est passionnant. Et comme je débute, j’apprends tout depuis la base. Je passe un diplôme d’éducateur sportif avant de passer mes diplômes de coach. Je veux comprendre ce métier à fond et, pour ça, j’en ai pour plusieurs années.
En début de saison, tu t’attendais à être leader de Ligue 2 avec l’ESTAC ?
Franchement, non. Il faut se souvenir qu’il y a un an, on devait redescendre en National, le club revient de très loin. Mais il y a eu un vrai travail de fond et une cohérence retrouvée. L’ambiance est bonne, le groupe vit bien, tout le monde tire dans le même sens. L’objectif au début était le maintien, mais on ne s’interdit rien.
Ta manière de regarder le foot a changé ?
Ah oui, complètement. Quand tu es joueur, tu crois comprendre, mais en fait non. Je voyais le foot à travers mon poste. Depuis que je suis de l’autre côté, je vois plus de choses. Je consommais déjà énormément de foot avant, mais maintenant je regarde tous les championnats, j’apprends, je pioche des idées partout. Quand Troyes joue, j’aime bien regarder la première mi-temps depuis les tribunes et avoir le plan large pour voir le jeu d’ensemble. C’est une autre façon de le vivre. Je t’avoue que quand je regarde un match à la télé, c’est devenu une torture ! On ne voit rien, juste la balle et trois joueurs autour. En analyse vidéo, on voit tout le terrain, les déplacements, les compensations. C’est passionnant. Je me dis souvent que si je rejouais maintenant, avec ce que je sais aujourd’hui, je me placerais beaucoup mieux.
Quelles sont les tâches qui te sont assignées dans ce staff ?
Je suis plutôt sur la partie offensive avec les milieux et les attaquants. Philippe Bizeul est plus sur le travail défensif. Mais j’aime aussi m’occuper du lien humain. Je connais beaucoup de joueurs du groupe, pour avoir joué avec certains. Au début, je me demandais comment ils allaient me voir. Finalement, ça s’est fait naturellement. Je sais ce que c’est d’être joueur, de galérer pour gagner sa place et de douter. J’étais moi-même un joueur d’affect, donc je sais à quel point c’est important de se sentir considéré.

Tu t’inspires de certains coachs que tu as eus par le passé ?
Oui forcément. J’ai eu des coachs qui m’ont marqué positivement, d’autres qui m’ont bloqué. J’ai eu des mecs très durs, très exigeants, parfois trop, ça me paralysait. Aujourd’hui, j’essaie de faire l’inverse. Je préfère expliquer, montrer, dialoguer. Je pense qu’aujourd’hui, tu obtiens plus d’un joueur quand il se sent compris.
Et toi, tu aimerais t’avoir comme joueur ?
Franchement, je pense que je devais pas être simple à gérer. J’étais discipliné défensivement, mais offensivement… Je dirais que j’étais un 10 à l’ancienne et j’aimais trop ma liberté. J’adorais décrocher, toucher le ballon, aller chercher les espaces. Donc en vrai, je devais être une galère à coacher. Mais en même temps, j’étais exigeant avec moi-même. Je n’étais pas un tricheur et aujourd’hui, je préfère un bosseur moyen qu’un talent fainéant. Un génie qui s’économise, c’est perdu d’avance. Si tu es bon et que tu bosses, ça ne peut en général que bien se passer.
Tu as côtoyé des joueurs comme ça, pour qui ça ne s’est pas passé comme prévu ?
Au centre de formation de l’AS Monaco, il en a un qui sortait du lot, c’était Terence Makengo. Il avait signé son premier contrat pro à 16 ans, c’était un joueur incroyable. Il n’a pas réussi à passer les étapes, malheureusement pour lui (dernier club en date : l’AS Estérel, en Régional 2, NDLR). Pour le coup, je ne pense pas que c’était un manque de travail parce que c’était un bosseur. Je pense aussi à Yohan Mollo, qui était la star du centre de formation quand j’y étais. Avec son talent, je le voyais aller très, très haut. Malheureusement, il n’a pas eu la carrière qu’il devait avoir, même si elle reste très honorable. Des fois, ce sont les choix qui font beaucoup. Si je prends mon exemple, j’ai un regret : après ma deuxième saison pro à Monaco, où on monte en Ligue 1 avec Claudio Ranieri, je décide de partir en prêt. Je fais la demande au club parce qu’après avoir fait deux bonnes saisons en Ligue 2, je veux encore m’aguerrir dans ce championnat pour revenir encore plus costaud en Ligue 1 l’année d’après. Ranieri ne voulait pas que je parte, il voulait que je reste en me promettant d’être dans la rotation. Finalement, je fais une saison pleine au Havre (33 matchs), mais je n’ai plus eu ma chance à Monaco, parce qu’entre-temps, il y avait un nouveau coach (Leonardo Jardim) et les stars sont arrivées en masse… Donc oui, j’aurais aimé savoir comment ça se serait passé si j’avais écouté Ranieri.
Dans tes choix de carrière, il y a eu Reims, avec qui t’as fait trois saisons en Ligue 1 et que vous avez affronté vendredi dernier.
Retourner à Delaune, c’était forcément particulier. Reims, j’y ai passé de très belles années, j’ai encore certains contacts là-bas, notamment dans l’administratif. C’est toujours un plaisir de les voir. Dans le staff, c’était une première. Avec la rivalité, on se devait d’assumer notre place en haut de tableau.
La Saudi Pro League, quand j’y étais, ça faisait parfois un peu amateur.
Un autre choix fort de ta carrière, c’est ton départ en Arabie saoudite en 2023. Comment ça s’est fait ?
Franchement, j’y suis allé pour vivre une expérience. Je sais que c’est une opportunité folle sur le plan financier, il ne faut pas se mentir, là-bas c’est un autre monde, mais aussi une expérience de vie. J’avais plusieurs pistes à l’étranger et c’est celle-là qui s’est concrétisée, à la toute fin du mercato à l’hiver. Tout est allé très vite, tellement vite que je n’ai même pas eu le temps de me renseigner sur la ville.
Sportivement, c’était comment ?
J’ai vu un championnat plutôt tranquille, avec un rythme plus lent. En réalité, j’ai été surpris par le niveau individuel des joueurs locaux. Techniquement, c’est très fort. Vraiment, je ne m’attendais pas à ce niveau-là, ils sont très à l’aise balle au pied. Mais tactiquement… c’est autre chose. Le championnat était très hétérogène quand j’y étais, pendant la saison 2022-2023. Il y a quelques équipes solides, bien structurées, mais le reste, c’est très déséquilibré. On voyait souvent des équipes coupées en deux, avec quatre ou cinq joueurs qui attaquent et le reste qui défend. Il n’y avait pas de notion de bloc, de coulissement, de couverture… Honnêtement, ça faisait parfois un peu amateur. Le staff était majoritairement européen, mais c’est compliqué de transposer là-bas ce qu’on connaît ici. Tu ne peux pas arriver et changer les habitudes du jour au lendemain. Les centres de formation existent, mais c’est loin d’être aussi structuré qu’en Europe. Et malgré l’argent, ça restait limité.
🔵 OFFICIEL ! Le milieu de terrain Tristan Dingome (31 ans) quitte Troyes et s’engage avec Al Fateh, en Saudi Pro League. 🦁🇨🇲 pic.twitter.com/M8xIBUvUOq
— AllezLesLions (@AllezLesLions) February 6, 2023
Et toi, physiquement, comment t’es-tu adapté ?
Je n’avais pas joué régulièrement depuis presque un an, et malgré ça, j’étais premier dans tous les tests athlétiques. L’aspect athlétique est clairement en dessous. Quand tu entends dire que c’est le même niveau que la Ligue 1, c’est juste du marketing, même si ça a déjà évolué depuis que je suis parti.
Et dans les tribunes, c’était comment ?
On sortait de la Coupe du monde au Qatar, donc il y avait une vraie excitation autour du foot, mais dans les stades, c’était encore loin d’être plein. Il y avait un peu de ferveur, notamment contre les grosses équipes comme Al-Nassr, mais le plus souvent devant des tribunes remplies au tiers ou au quart.
Et la vie là-bas, à Al-Hassa ?
Très particulière. C’est une ville construite autour d’une oasis, et il y fait une chaleur incroyable. Je me souviens d’un matin, je sortais juste pour faire des courses, j’ai regardé la température sur le tableau de bord de la voiture : 52 degrés. Là-bas, tout vit la nuit. La plupart des commerces ouvrent vers 18h-19h, quand il commence à faire moins chaud. Nous, on s’entraînait à 20h ou 21h. Tu rentres chez toi à 1h-2h du matin. Moi, je gardais ma routine française, je me levais quand même le matin, je faisais une séance de muscu à l’hôtel où je logeais, je me reposais l’après-midi, et je repartais au centre d’entraînement le soir. C’était un rythme complètement décalé.
Ta famille t’avait suivi ?
Non, on avait décidé que j’y irais seul. Ma femme et mes enfants sont venus deux semaines pendant les vacances, mais ils sont repartis au bout d’une. Il n’y avait rien à faire pour eux. Avec la chaleur et le peu d’activités, c’était impossible. On ne voulait pas laisser les enfants devant la télé toute la journée.
Pourquoi ça n’a duré que six mois ? Tu gardes des regrets ?
J’avais signé pour un an, plus une année en option. Au départ, tout se passait bien, et puis j’ai eu des différends avec le coach. Les relations se sont vite tendues, et ça n’a plus été possible de continuer. Avec le recul, je ne regrette pas. Le hasard a bien fait les choses, parce que la distance avec ma famille commençait à peser. C’était le bon moment pour rentrer, même si je pensais rester plus longtemps au départ. Il n’y avait aucun doute quand ça s’est fini que je rentrerais en France, j’avais besoin d’être avec ma famille. Puis finalement, quand on regarde, j’ai vraiment bien fait de rentrer.
Maintenant, c’est quoi ton rêve, et c’est où ?
Ici, à Troyes, j’espère. J’ai envie de grandir avec le club. Je me forme, j’apprends tous les jours, et je prends du plaisir. J’ai beaucoup donné au club et il me le rend fois mille ! J’ai beaucoup reçu, donc je me vois vraiment sur la durée ici. Troyes, c’est ma maison. Et puis on a la chance d’avoir une vraie structure derrière nous avec le City Group. Mon rêve, ce serait d’aider Troyes à être à la même hauteur que Manchester City et à devenir un club de premier plan. Puis un jour être coach principal bien sûr.
Troyes accroché dans le derby, le Red Star sur le podiumPropos recueillis par Célien Vauthier































