Torres The Red
Plus gros transfert de l'Histoire de Liverpool, pour près de 36 millions d'euros, Fernando Torres a plutôt réussi son intégration chez les Reds et dans le foot anglais. Depuis son premier but après 15 minutes de jeu à Anfield contre Chelsea l'été dernier, surnommé "Tor de France" depuis un certain mardi soir, l'Espagnol est vu comme LE sauveur dans la ville.
Pendant des années, vous avez refusé de quitter l’Atletico, malgré l’intérêt manifeste des plus grands clubs du monde. Qu’est-ce qui vous a finalement fait changer d’avis ? Beaucoup d’éléments. Après des années passées à essayer de gagner quelque chose avec l’Atletico, j’ai vu que nous n’y arrivions simplement pas. Je suis venu ici car je pensais que le club avait besoin de changement, que j’avais besoin de changement. C’était le meilleur moment pour moi de partir. J’étais déterminé à accomplir ce que je pensais que l’Atletico ne pouvait pas m’offrir. C’était aussi le bon moment pour l’Atletico : pour grandir, gagner de l’argent grâce à moi et l’utiliser pour reconstruire une équipe. J’y ai pensé longuement, et je suis convaincu que j’ai pris la bonne décision.
A la fin de la saison vous prenez 6-0 contre Barcelone, et certains de vos fans voulaient que vous perdiez pour compliquer la tâche du Real dans la course au titre. Ce moment vous a-t-il décidé à partir ? C’était un jour clé, bien sûr, peut-être celui qui m’a convaincu de partir. Après avoir perdu 6-0 et après les avoir vus contre nous, eux qui avaient toujours été derrière nous certes, mais pas ce jour-là, la fatigue qui s’en suit… Les supporters ne méritaient pas cette humiliation et une équipe qui a l’habitude de gagner ne se remet pas facilement d’une telle expérience.
Avez-vous quitté le stade en pensant « C’est trop pour moi » ? Oui, j’étais vraiment blessé. Pour moi, l’équipe et les fans. Quand j’ai vu les joueurs de Barcelone gagner 6-0, j’étais jaloux d’eux, jaloux du fait qu’ils jouent dans un club énorme qui aspire toujours à gagner plus, qu’ils soient capables de venir à Calderon et de vaincre 6-0.
Est-ce que ce désir de perdre dans certaines conditions suggère que l’Atletico a une mentalité de petite équipe ? Dans tout club, les fans haïssent vraiment leurs rivaux et gardent un œil sur leurs résultats. Mais un problème que nous avons toujours rencontré à l’Atletico est que les supporters étaient trop focalisés sur le Real Madrid, c’était symbolique de nos mauvaises périodes. Quand tu échoues quelque part, tu te focalises sur ton rival en espérant qu’il perde. Mais il arrive un moment où tu atteins le point où tu te dis qu’il faudrait que l’on se regarde plus nous-mêmes, que l’on pense à nos résultats plutôt qu’à ceux du Real. Si ton public veut que tu perdes, c’est un signe que ton équipe ne joue rien. Et quand ça vous tombe dessus, ça blesse.
Cela a dû être spécialement dur pour vous car vous étiez l’icône du club. Quand les choses allaient bien, on vous adulait, mais quand ça se passait mal, vous preniez tous les coups. Vous étiez une sorte de bouclier derrière lequel se cachait le club… Chaque équipe doit être bâtie autour d’une responsabilité collective. A l’Atletico, j’avais trop de responsabilités, et j’en prenais pour les autres aussi. Il y avait beaucoup de joueurs qui, pour être performants, devaient se sentir importants et peut-être qu’ils n’y arrivaient pas quand j’étais là, peut-être qu’ils abandonnaient leurs responsabilités. Maintenant que je suis parti, ils ont repris leur marche en avant, et les choses se passent plutôt bien pour eux. Quand j’étais là-bas, on se focalisait trop sur moi, même si pendant longtemps je ne l’ai pas réalisé car je ne pensais qu’à mon jeu. A Liverpool, je découvre un nouvel environnement. Je vois un club, une équipe. Un joueur n’a pas à subir toute la pression et toutes les responsabilités, je n’ai plus de stress maintenant.
Alors, jouer pour Liverpool est un soulagement ? Oui, et un plaisir. C’est un soulagement car dans chaque match tu sens qu’un de tes coéquipiers peut faire la différence et gagner le match pour toi. Benayoun, Babel, Voronin…Tu ne te sens pas obigé de faire systématiquement la différence sous peine de couler ton team. Tu sais que tu peux avoir un jour sans, et quand même gagner, quelque chose que je ne ressentais pas à “l’Atleti”. Tu voyages pour disputer des matchs que tu sens que tu vas gagner, et c’est quelque chose dont j’avais besoin. J’avais besoin de cette sensation, de ce sentiment de faire partie d’un club immense, avec de l’ambition, que les gens respectent.
Pourquoi Liverpool ? Liverpool a toujours été un club comme je les aime, avec une mentalité et une identité. C’est un club “trabajador” (humble, qui travaille dur, populaire). Une équipe dans laquelle il n’y a peut-être pas autant de grosses stars que dans d’autres clubs, mais qui a traditionnellement toujours eu du succès et plus, justement grâce à l’attitude, aux valeurs, à la mentalité. Liverpool est un club énorme mais avec de l’humilité, c’est ce qui m’a attiré. Liverpool n’a plus gagné la Premier League depuis longtemps, mais ils ont gagné des titres et ont toujours eu de réelles ambitions. C’était la combinaison parfaite pour moi : un gros club à succès, et qui a toujours faim. Ce n’est pas si facile à trouver.
La présence d’Espagnols a-t-elle pesé dans votre choix ? Je connaissais Reina, Alonso et Arbeloa, et je savais que l’adaptation serait plus simple. J’ai toujours parlé de l’Angleterre avec Reina, avec Cesc aussi. Je leur posais des questions sur le style de jeu, l’atmosphère, le vie ici, la façon dont les fans te traitent. La vie à Liverpool est merveilleuse. C’est très relaxant, les gens montrent beaucoup de respect. Et j’aime le football surtout : rapide, avec beaucoup de contacts, et je m’y suis bien fait.
Est-ce que votre style convient plus à la Premier League qu’à la Liga ? Parce qu’il est plus rapide, plus puissant et que tu peux te reposer une minute de temps en temps, le jeu me convient bien. A chaque fois que tu as la balle, tu as une chance de marquer. En Espagne, c’est plus lent, il y a plus de touches de balle, plus d’arrêts de jeu. J’avais l’habitude de regarder le foot anglais et j’ai toujours pensé que je pourrais m’y plaire. Maintenant que je suis là, je m’éclate énormément. C’est mieux que ce que j’espérais.
Avez-vous dû changer votre style de jeu ? Le plus gros changement, c’est que je joue encore plus devant, comme un 9. En Angleterre, je n’ai pas besoin de redescendre trop bas pour participer à la construction du jeu. Ici, le ballon est plus souvent aux alentours et dans la surface de réparation, tu dois plus te concentrer là-dessus que sur le mouvement en cours. Le jeu est plus direct et j’aime ça : je suis toujours quelques mètres plus devant, ce qui signifie plus de chances de marquer, même si tu ne te sens pas impliqué dans l’action. Je me sens mieux ici dans la peau d’un 9 essayant de passer derrière la défense, à regarder si je suis au niveau de l’épaule du dernier défenseur, et tenter ma chance.
Liverpool n’a plus gagné le championnat depuis un bout de temps. Les supporters croient en vous pour passer cette marche, et à 36 millions, il semblerait que les dirigeants aussi. Cela ajoute-t-il à votre pression ? Plus qu’à la pression, c’est quelque chose qui s’ajoute à ma gratitude. D’arriver ici et de me sentir aimé si rapidement est fantastique. Je pensais que je devrais toujours prouver plus, et ils m’ont tout de suite fait confiance. Les fans, les coéquipiers, le club, tout le monde m’a simplifié les choses. A côté de ça, Liverpool a déjà eu des équipes pour remporter le titre, je n’étais pas la pièce manquante. Ok, ils n’ont pas gagné le championnat, mais ils ont remporté une Ligue des Champions et atteint la finale l’an dernier. Cette année, le titre c’est l’objectif.
Ce que les fans n’aiment pas, c’est que vous ne jouez pas tous les matchs. Ca vous change de l’Atletico car là-bas vous jouiez chaque minute. C’est la manière de fonctionner du coach, il a obtenu de très bons résultats comme cela et il continuera à faire tourner. Ici, tu dois accepter les rotations. Et n’oubliez pas que Liverpool a plus de matchs à disputer que l’Atletico, alors même si tu ne t’es pas toujours sur la feuille de match, à la fin de la saison, tu as joué plus.
Mais pour un buteur ça doit être dur. Vous êtes dans une bonne phase, et soudain vous ne jouez plus… En tant que buteur, tu veux profiter de tes bonnes périodes mais ça ne dépend pas de moi. Le coach décide, et tu acceptes.
Vous avez manqué une paire de matchs pour cause de blessure. Ca a dû être frustrant étant donné que vous étiez en train de trouver vos marques dans un nouveau club, un nouveau pays. Je pense que c’est la première fois que j’étais blessé pour plus d’un match et j’en ai souffert. Ca tombait mal : je marquais régulièrement, les choses allaient bien, et soudainement ça a pris fin. Heureusement, j’ai remarqué dès mon retour pour mon premier match.
Quand vous êtes dans les tribunes ou sur le banc, et qu’un de vos coéquipiers manque une occasion, est-ce que vous pensez « J’aurais pu marquer » ? Non ! Quand tu regardes le match à la TV ou depuis les gradins, tu souffres vraiment. Mais quand un coéquipier rate, tu souffres pour lui. J’ai découvert ici un esprit d’équipe que je ne connaissais pas avant.
Pensez-vous que c’est une spécificité anglaise ? Ou seulement à Liverpool ? En Espagne, il y a un esprit d’équipe, mais quand tu vas dans un gros club comme Liverpool avec des grands noms, tu ne t’attends pas à trouver l’unité ou l’atmosphère qu’il y a ici. Les joueurs, qui sont des héros pour les fans, ne sont qu’une partie du groupe. Ici, Steeve et Carragher sont les premiers à se sacrifier pour bâtir l’esprit d’équipe, pour rassembler tout le monde, et c’est contagieux. Ca a été une vraie surprise.
Pour gagner leur attention, votre but contre Chelsea a dû aider non ? Bien sûr. Ton premier but est toujours important, il te donne confiance, permet de t’installer dans l’équipe, d’aider les gens à croire en toi.
John Terry semble vous avoir infligé le traitement “Welcome to England”, mais vous aviez l’air d’aimer ça… Yeah, ça fait partie du football et c’est quelque chose qui m’amuse. Il se passe beaucoup de choses et tout le monde ne le voit pas. Les vétérans essayent d’intimider et de s’assurer que les jeunes gars ne sont pas dans leur match. Ils essayent de leur faire peur et de casser leur concentration. Terry est un joueur avec énormément d’expérience, et il fait ce qu’il faut pour gagner, et c’est ce qu’il a fait ce jour-là. Mais c’était un match trop important pour moi, et je n’allais pas le laisser me déstabiliser. Tu dois rester debout pour toi, mais aussi pour toute ton équipe qui est derrière toi.
Certainement ne pouviez-vous pas comprendre ce qu’il vous disait…Yeah. Ce premier mois, quoi qu’il ait pu me dire, aussi durement qu’il ait essayé, je n’aurais pas pu savoir ce qui se passait.
On a parlé de la pression inhérente à votre prix d’achat, et du titre comme objectif. Mais il y a aussi celle qui est due au maillot que vous portez, celui de Ian Rush et de Robbie Fowler, l’homme que les fans appelaient God. Quelqu’un vous l’a-t-il dit ? Le jour où je suis arrivé, on m’a donné des DVD, et des livres sur l’histoire du club. Les gens m’ont parlé des supers joueurs, de ce que représente Liverpool, et briefé à propos du maillot numéro 9. Je l’ai accepté après qu’ils me l’aient proposé, complètement au courant de ce qu’il représentait pour les supporters. J’y suis très sensible. Ce n’est pas un numéro comme les autres.
Vous avez vraiment regardé les vidéos sur Liverpool ? Bien sûr. Souvenez-vous que c’est la première fois que je suis ailleurs qu’à l’Atletico. Dès qu’un nouveau joueur arrivait à l’Atletico, je lui parlais de l’identité du club. Donc je pense que c’est naturel de le faire ici. La première chose que j’ai essayée de faire, c’est comprendre Liverpool. J’ai découvert un club plus grand que je ne l’imaginais. Je voulais me renseigner sur les joueurs qui étaient ici, sur l’histoire, sur le groupe actuel. Ca aide à s’adapter plus vite.
C’est plus simple avec les Espagnols ici ? Evidemment. Reina habite la porte à côté et on passe beaucoup de temps ensemble. Il m’aide réellement comme tous les Hispaniques qui sont ici. Je m’améliore en anglais, mais ça m’a beaucoup aidé au début de sentir leur soutien. Tu as besoin de savoir où aller, où manger, où faire des achats…
Mais dans le vestiaire, vous devez parler anglais ? Oui, obligatoirement. S’il nous chope en train de parler espagnol, Rafa s’en prend vivement à nous.
De quoi parle l’équipe ? Vous ne comprenez peut-être pas tout… L’équipe parle toujours en anglais, toujours. Si l’entraîneur a quelque chose de spécifique à me dire, il peut me prendre à côté et me le dire ainsi en espagnol, ou je demande à un autre Espagnol. Mais dans le vestiaire, c’est l’anglais : c’est une bonne chose, ça m’aide à apprendre plus vite. Les premiers jours, j’ai passé des heures à prendre des cours, à étudier à la maison, à pratiquer, spécialement le langage foot. Je devais m’assurer que je comprendrais vite les discussions de l’équipe. Si j’ai besoin de quelque chose, je demande à Rafa, et on en parle juste lui et moi.
“Le langage foot” ? Quel genre de phrase ? MAN ON ! TIME ! Ce sont les premiers mots que tu apprends, les choses dont tu as besoin dès le début. Pendant les premières sessions d’entraînement, je ne comprenais pas tout, alors j’ai étudié encore et encore pour être sûr de ne rien rater.
Comment jugez-vous votre niveau d’anglais ? Je parle espagnol à la maison, donc c’est un peu lent, mais je progresse pas à pas. Mon objectif est de parler anglais à la presse fin décembre. Je vais bientôt me lancer. C’est important pour moi de m’exprimer clairement, d’être sûr que je dis bien ce que je pense. Beaucoup de personnes lisent les interviews ou vous entendent à la télé, je veux être sûr qu’il n’y ait pas de quiproquos.
A quel point est-il compliqué de comprendre Jamie Carragher ? Carragher parle vraiment très vite, mais je le comprends mieux chaque jour car tout le monde parle comme ça à Liverpool, avec un accent très fort alors je m’habitue. Au début, c’était très difficile, mais sa façon de parler est normale ici. Je n’apprends pas juste l’anglais, j’apprends surtout à comprendre les gens de Liverpool.
Qu’est-ce qui a été le plus dur dans votre transfert ? Mes amis et ma famille me manquent. Avant ils étaient à cinq minutes de chez moi, mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. Mais à part ça, il n’y pas de mauvais côtés. Le football espagnol ne me manque pas, le climat non plus. Je ne manque de rien.
Propos recueillis par Simon Talbot, pour FourFourTwo
Traduction : Pierre Maturana.
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