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Stadiers en France et en Ligue 1 : terrains minés

Par Raphaël Brosse et Clément Gavard
Stadiers en France et en Ligue 1 : terrains minés

Marquée par de nombreux incidents un peu partout en France, la saison écoulée a placé les stadiers sur le devant de la scène. Souvent impuissants face à des situations qui les dépassaient, ceux-ci se seraient bien passés d’une telle médiatisation. En revanche, ils ne diraient pas non à davantage de considération. Plongée dans le monde des hommes et femmes en orange et jaune fluo.

Ce devait être une fête permanente, une occasion unique de se réjouir. Après de trop longs mois de restrictions, les stades de l’Hexagone avaient enfin rouvert leurs portes au public. Trop souvent, cependant, la fête a été gâchée. Jets de bouteilles et de fumigènes, envahissements de terrain d’individus désireux d’en découdre avec les joueurs ou supporters adverses, rencontres interrompues de longues minutes, voire rejouées à huis clos… Du début à la fin, d’un Montpellier-OM annonciateur des problèmes à venir à un barrage retour entre Saint-Étienne et Auxerre conclu dans le chaos le plus total, la saison 2021-2022 du foot français a connu de nombreux soubresauts, causés par des supporters et spectateurs présents en tribunes. Le point d’orgue a sans doute été atteint le 28 mai, à Saint-Denis, quand l’organisation de la finale de la Ligue des champions a viré au fiasco diffusé en mondovision. Sur toutes ces images de désordre et de honte, on aperçoit des hommes vêtus de chasubles orange ou jaune fluo, apparemment dépassés par les événements. Tout au long de l’exercice, les stadiers ont été exposés à un déferlement de violence face auquel il leur était impossible de lutter. Et se sont retrouvés, bien contre leur gré, en première ligne.

Les personnes qui interviennent ponctuellement dans des stades de foot ont, en général, un emploi d’agent de sécurité à temps complet, et acceptent ces missions supplémentaires pour avoir un complément de revenu.

Un métier non reconnu, des fonctions multiples

Ils sont omniprésents, aux abords comme à l’intérieur des enceintes sportives. Ils demandent aux spectateurs d’écarter les bras avant de les palper, aident à valider les billets devant des tourniquets récalcitrants, orientent chacun vers sa place. On les voit assis face au public, et on imagine leur frustration à l’idée de ne pas pouvoir suivre le spectacle qui se déroule dans leur dos. Les stadiers font partie du paysage. Mais, au fond, on ne sait pas vraiment qui ils sont. « Le métier de stadier en tant que tel n’existe pas, il n’est pas reconnu conventionnellement, précise d’emblée Stéphane Boudon, président du SNEPS-CFTC (Syndicat national des employés de la prévention et de la sécurité). Les personnes qui interviennent ponctuellement dans des stades de foot ont, en général, un emploi d’agent de sécurité à temps complet, et acceptent ces missions supplémentaires pour avoir un complément de revenu. »

C’est le cas de Madjid, agent de sécurité en magasin la semaine et qui, ponctuellement, intervenait à la Beaujoire le week-end. « Je le faisais de temps en temps, pour arrondir mes fins de mois et changer d’air, raconte-t-il. Je suis un amoureux de foot, ça me plaisait d’être dans l’ambiance du stade, même si on tournait le dos au terrain. » Lui est titulaire d’une carte professionnelle, nécessaire pour exercer des missions de sécurité strictement définies. Mais ce n’est pas le cas de tous les stadiers. « Ceux qui n’ont pas la carte pro, ce sont souvent des étudiants ou des retraités. Ils vont faire le contrôle au tourniquet, placer les spectateurs, etc. », précise un professionnel de la sécurité, habitué aux stades de région parisienne et préférant rester anonyme. Comprendre, tous n’ont pas forcément les compétences ni l’apprentissage nécessaire pour gérer des foules et de possibles débordements.

Si ça part en couilles, je sais que je ne peux pas compter sur des bleus qui pèsent 60 kilos tout mouillés. Je ne vais pas risquer ma vie pour 50 balles.

Pas assez de reconnaissance, trop de risques

Rouage indispensable, le stadier est là à chaque match. Il arrive deux à trois heures avant le coup d’envoi, repart longtemps après le coup de sifflet final. Il doit s’accommoder d’une météo parfois capricieuse et des horaires décalés. Ses conditions de travail sont particulièrement pénibles. Quant à sa rémunération, elle ne vole pas bien haut. « Quand on voit les efforts qui sont faits dans la restauration, ça laisse songeur par rapport à ce que l’on connaît dans le domaine de la sécurité, soupire Stéphane Boudon. Chez nous, près de 70% des professionnels sont des smicards. » À l’époque où il surveillait les supporters nantais, Madjid touchait dix euros de l’heure. « Ce n’est pas un bon plan, relève-t-il. C’est pour ça que les bons agents ne font plus les stades maintenant. Le niveau des stadiers s’est détérioré petit à petit. Lors de mes dernières vacations, je me suis retrouvé avec des jeunes dont on ne savait pas trop ce qu’ils faisaient là, des mecs d’Europe de l’Est envoyés par des sous-traitants… La qualité était nulle. »

L’agent de 50 ans a fini par lâcher l’affaire en août 2018, à l’issue d’un Nantes-Monaco disputé sous une chaleur étouffante. « On était en plein cagnard, on crevait de chaud avec nos vestes jaunes. On a réclamé des bouteilles d’eau, mais nos responsables n’ont pas bougé. Alors, à la fin du match, j’ai jeté mon badge et je me suis barré. Les mecs n’ont aucun scrupule, ils s’en foutent complètement de nous », dénonce-t-il aujourd’hui. À une rémunération guère attractive s’ajoute la peur, réelle, de mettre sa vie en danger. « La médiatisation des événements récents a forcément un impact, concède Stéphane Boudon. Le métier est mal payé et, en plus, il comporte des risques ! » « Si ça part en couilles, je sais que je ne peux pas compter sur des bleus qui pèsent 60 kilos tout mouillés, appuie Madjid. Je ne vais pas risquer ma vie pour 50 balles. » Surtout que les stadiers « ont le droit d’interpeller ou d’entraver, mais pas de faire usage de la force », rappelle le professionnel de la sécurité parisien.

On a fait le constat qu’il y avait à peu près 40% des clubs qui n’arrivent pas à obtenir les agents qu’ils ont commandés.

Crise sanitaire et crise tout court

Dès mars 2020 et pendant plus d’un an, la crise sanitaire liée à la propagation du coronavirus dans le monde a été un nouveau coup de massue brutal. Plus de matchs de foot, plus de concerts, plus de grands rassemblements, et donc moins de boulot dans le domaine de la sécurité. Une tuile, oui, mais aussi une opportunité, ou plutôt une obligation pour de nombreuses personnes d’élargir leurs perspectives en allant toquer à d’autres portes. « Le monde de l’événementiel doit faire face à une pénurie de stadiers pour cause de reconversion professionnelle des agents de sécurité », nous expliquait Arnaud Rouger, directeur général de la LFP, en novembre dernier. Stéphane Boudon détaille : « Pendant que les stades étaient fermés, ces agents sont allés voir dans d’autres secteurs d’activité. Et une fois que les huis clos ont été levés, ils ne sont pas revenus. À contraintes égales, ils étaient mieux payés dans d’autres domaines. » Une désertion des enceintes sportives pour faire autre chose, ou tout simplement pour exercer un métier semblable dans les centres commerciaux ou des établissements de santé, comme les centres de vaccination, où les heures étaient plus nombreuses, et donc le salaire plus important.

Cette pénurie a été constatée dans les hautes sphères, notamment au sein des instances, ce qui a mené à une enquête lancée en décembre dernier au moment de la création de la cellule interministérielle liée à la sécurité dans les stades. « On a fait le constat qu’il y avait à peu près 40% des clubs qui n’arrivent pas à obtenir les agents qu’ils ont commandés, nous précise-t-on à la LFP. C’est ce qui illustre cette pénurie : ces clubs ont noté une différence de 10 à 20% entre le nombre d’agents commandés et ceux présents le jour du match, ça fait beaucoup. » Un épuisement qui pousse souvent les sociétés de sécurité à sous-traiter une fois, deux fois voire trois fois pour mettre à disposition un nombre convenable d’agents aux clubs les jours de match. Un cercle vicieux et un tableau un peu plus noirci par les nombreux incidents et débordements dans les arènes hexagonales cette saison. « On est bien conscients que si le vivier a diminué, ce n’est pas seulement à cause du Covid, admet-on à la Ligue. À partir du moment où vous vous dites que votre potentiel métier est à risques, ça fait réfléchir. Notre objectif est de les rassurer et de leur montrer que les dispositifs fonctionnent pour qu’ils puissent travailler dans la plus grande sérénité possible. »

C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de morts.

L’opportunité des JO 2024

Reste qu’il existe une fracture parfois importante entre les employeurs et des employés las de la précarité de ces boulots. L’un d’eux, un étudiant, utilise même le terme « larbin » pour définir la considération pour les stadiers dans certaines enceintes françaises. « Aujourd’hui, les prestataires s’en mettent plein les poches, mais ne donnent que des miettes aux agents qui vont au charbon. Il faut revoir le taux horaire, au moins l’augmenter à 15 euros de l’heure, enchaîne Madjid. On a aussi besoin de plus de protection. Parfois, on doit intervenir en plein kop, au milieu de 3000 ultras, pour choper un mec qui vient de balancer un fumigène et on est à mains nues. Franchement, c’est trop risqué, il y a un manque de considération. » Un doux rêve, alors que les instances travaillent depuis quelques mois sur la création d’un nouveau diplôme moins long (175 heures de formation actuellement) et moins coûteux. Bingo : le 17 mai, le Certificat de qualification professionnelle (CQP), nommé très simplement Événementiel, est paru au Journal officiel via un arrêté ministériel en vue de la Coupe du monde de rugby 2023 et des Jeux olympiques 2024. Sa durée ? 106 heures. Son but ? Former des agents compétents sur ces grands événements, à commencer par les matchs de Ligue 1. Son inconvénient ? Il ne sera pour l’instant plus effectif après le 31 décembre 2025. « Il faudra montrer que ce diplôme est efficace, plus cohérent et plus adapté pour qu’il soit pérennisé après 2025, espère-t-on à la LFP. Il va déjà falloir essayer d’aller vite, notre objectif à nous, ce ne sont pas les JO 2024, c’est maintenant. On va en tout cas essayer de pousser pour que les sociétés privées s’emparent de cette opportunité pour former des agents avec cette certification. »

Seulement, on en revient toujours aux conditions de travail et aux payes trop basses pour motiver les agents à se déplacer au stade pour être rémunérés une trentaine d’euros – le tarif peut varier en fonction des endroits, des prestataires, et des clubs – pour entre quatre et six heures de boulot le week-end. « On peut toujours améliorer les formations, faire plus, mais qui paye à la fin ? La première piste, ça reste d’augmenter les salaires et de reconnaître notre profession, insiste Stéphane Boudon. Il faut que ces gens qui effectuent des tâches pénibles aient un métier reconnu et valorisé financièrement. Surtout dans le contexte de tension actuel où les salariés ont tendance à privilégier des secteurs plus valorisants. » Il s’agit aussi et surtout de minimiser les possibilités d’assister à des drames dans les stades. « C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de mort », a reconnu Vincent Labrune, le président de la LFP, lors de l’assemblée générale de la FFF tenue ce samedi, à Nice. Au sein des instances, on en appelle plus globalement à « un travail collectif de sécurité » entre l’ensemble des acteurs pour avancer, trouver des solutions, et surtout éviter une saison 2022-2023 aussi riche en incidents. Sans oublier une chose : si les stadiers sont en première ligne, il serait utopique de penser qu’une meilleure formation ou qu’un meilleur salaire leur permettront d’éradiquer la violence dans les stades ou d’arrêter des dizaines de supporters décidés à envahir la pelouse après une relégation sportive.

Dans cet article :
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Par Raphaël Brosse et Clément Gavard

Tous propos recueillis par RB et CG, sauf mentions

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