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Giovanni Sio : « Dans ce milieu, on ne te fait pas de cadeau »
Giovanni Sio a quitté la Ligue 1 un soir d’août 2018, après un anecdotique Montpellier-Dijon. Passé par les Émirats, la Turquie et la Suisse, l’international ivoirien a finalement mis un terme à sa carrière professionnelle en novembre 2023, dans l’anonymat du championnat thaïlandais. Deux ans plus tard, l’homme aux 35 pions dans la Ligue des talents se fait plaisir à Vertou, dans la poule B de National 3. À quelques pas de Nantes, ce club formateur qui ne lui a pas laissé sa chance.
Il y a deux ans, tu prenais ta retraite en Thaïlande. Aujourd’hui, on te retrouve à Vertou… Que s’est-il passé ?
À vrai dire, je n’avais pas encore pris ma retraite officiellement. Je n’ai rien trouvé d’intéressant après la Thaïlande, donc je me suis dit que c’était le moment de faire une petite pause pour réfléchir à ce que je voulais faire après le foot. Pour être franc, j’étais un peu gavé. Je n’avais plus la motivation de faire une préparation… Dans ma tête, j’avais fait mon temps, je ne pensais plus au haut niveau. Mais à Vertou, on m’a proposé de jouer pour prendre du plaisir et être près de ma famille. Je me suis dit : pourquoi pas ? J’avais encore les jambes pour revenir dans un club amateur. Vertou a l’objectif de remonter en National 2, le projet m’a intéressé. J’avais des affinités avec le coach, Yvonnick Sidaner, que j’ai connu quand j’étais en formation à Nantes. Il m’avait déjà proposé de venir finir ma carrière ici quand je jouais à Sion (2021-2023), mais à l’époque, je trouvais que ce n’était pas le moment. Je lui avais dit qu’un jour, peut-être, ce serait possible. Finalement, ça s’est fait cet été.
Qu’est-ce qui t’a dégoûté du foot en Thaïlande ?
J’avais signé un contrat d’un an plus une année en option, mais je n’ai fait que six mois. J’y suis allé parce que je savais que je me rapprochais de la fin. J’avais envie d’un dernier challenge à l’étranger, mais je n’ai pas aimé la vie là-bas. Ce n’était pas le même niveau de professionnalisme qu’en Europe. Les voyages étaient durs… Tout était dur, en fait. Le climat est très humide en Thaïlande, ça rend la vie très lourde. Je n’étais pas heureux. C’est aussi un moment où je me suis dit que je n’avais plus rien à prouver et qu’il était peut-être temps d’arrêter de bourlinguer dans d’autres pays. J’avais juste envie de prendre du plaisir à jouer au foot, et les conditions n’étaient pas réunies. Il fallait aussi que je revienne en France pour vivre auprès de mes enfants. Ils me manquaient, j’avais besoin d’être plus présent pour eux au quotidien. Alors je suis allé voir le président pour que l’on trouve un terrain d’entente. Il a été très compréhensif, et je suis parti.
Le foot t’a manqué pendant 18 mois ?
Bien sûr, parce que depuis l’âge de 9 ans, je n’ai fait que ça. Je suis vraiment un fan de football, et même si mon parcours m’a un peu blasé sur la fin, j’y ai retrouvé goût à Vertou. J’avais vraiment envie de retoucher le ballon et de retrouver la compétition. Après, je savais bien que j’allais galérer… (Rires.)
Quand on te demande de rejouer au foot deux ans après, c’est un peu comme la trottinette : au début, tu as l’impression d’avoir perdu toutes tes facultés, ta vivacité.
En début de saison, tu disais justement à Ouest-France que tu avais tout perdu. C’est vrai ?
En fait, quand on te demande de rejouer au foot deux ans après, c’est un peu comme la trottinette : au début, tu as l’impression d’avoir perdu toutes tes facultés, ta vivacité. Et si tu n’as pas fait une bonne préparation physique, tu te blesses souvent. C’est ce qu’il m’arrive aujourd’hui. À l’époque, je me blessais très rarement. À 36 ans, ce n’est pas la même chose. Même si c’est en amateur, les gamins courent, et ça te demande de faire beaucoup d’efforts. J’ai des petits pépins aux ischios depuis que j’ai repris. Il faut que je fasse attention et que je me prépare bien pour faire une bonne deuxième partie de saison.
C’est dur, le National 3 ?
C’est très différent du haut niveau. En N3, il faut se battre parce qu’il y a des gamins qui ont faim, des bons joueurs, des bonnes équipes. Après, je trouve que c’est beaucoup moins structuré que chez les pros, où il y a plus d’intelligence collective. En amateur, il faut un peu courir partout, sans calculer, et c’est assez frustrant. En toute humilité, je pense que les équipes doivent progresser sur leur structure de jeu : mieux savoir quand il faut attaquer, défendre, lâcher le ballon… Globalement, j’ai l’impression que c’est un peu brouillon. On dirait qu’il faut tout faire vite.
C’est justement un point sur lequel tu peux aider, à 36 ans et avec ton expérience ?
À titre collectif, oui, je peux aider certains coéquipiers, surtout les plus jeunes. Je n’hésite pas à parler quand il le faut. Après, je ne veux vraiment pas qu’on me prenne pour quelqu’un de hautain, qui pense tout savoir parce que je viens du haut niveau. Je reste assez réservé. J’ai ma vision des choses, je ne veux pas être un donneur de leçons. Je veux juste que les gamins prennent du plaisir à jouer au foot, qu’ils fassent ce qu’ils ont en tête.

Venir ici, c’est aussi un retour aux sources. Certains ne le savent peut-être pas, mais tu as été formé au FC Nantes sans jamais apparaître chez les professionnels. C’est un regret ?
Oui… Le FC Nantes est mon club de cœur, j’y ai fait toute ma formation, et ne jamais y avoir joué en professionnel est sans doute le plus grand regret de ma carrière. Quand tu es issu de la région nantaise, ne pas signer son contrat pro au FCN, c’est rageant. Mais je ne crache pas dessus. Si j’ai eu mon parcours, c’est grâce au jeu nantais et à ce que j’ai appris en formation. J’ai énormément de reconnaissance pour ce club, mais la vie de footballeur est faite de choix. Il faut avancer avec.
Qu’est-ce qui t’a empêché de signer professionnel à Nantes ?
On me proposait deux années stagiaire, ce que je trouvais étrange, car je faisais partie des jeunes joueurs qui étaient potentiellement amenés à passer pro. J’étais prêt à signer et à faire une année supplémentaire avec l’équipe réserve, mais ils ont refusé. J’ai trouvé ça dommage, mais il y avait des nouvelles règles en interne. Je me souviens que les dirigeants étaient déçus de certains jeunes passés avant moi, donc ils ne proposaient plus de contrat pro directement. Il fallait confirmer en tant que stagiaire pour l’avoir. J’ai refusé, et je suis parti à l’étranger (à la Real Sociedad, à l’été 2007, NDLR).
Quand tu es issu de la région nantaise, ne pas signer son contrat pro au FC Nantes, c’est rageant.
Après six saisons à l’étranger (Espagne, Suisse, Allemagne), tu reviens en Ligue 1 à Sochaux, Bastia, puis au Stade rennais avec qui tu marques à la Beaujoire… On t’en parle encore ?
Oui, oui, beaucoup… Ceux qui connaissent mon parcours me le rappellent assez souvent. « Le jeune Nantais, parti à Rennes chez les Bretons, qui marque à la Beaujoire contre nous »… J’ai connu la frustration de certains supporters. Je le comprends, mais je réponds souvent que je n’ai pas quitté Nantes pour aller à Rennes. Je l’ai fait pour suivre ma carrière à l’étranger, je suis revenu en France, et j’ai eu des offres. Nantes m’a même proposé de revenir après mon passage à Bastia, mais on n’est pas tombés d’accord sur les conditions contractuelles. J’avais une proposition de Lille, mais j’ai accepté celle de Rennes pour me rapprocher de Nantes et de mes proches.
Aujourd’hui, Giovanni Sio, il est plutôt nantais ou rennais ?
(Rires…) La question qui tue ! Je suis 100 % nantais. J’ai toute ma famille, tous mes amis qui sont issus de Nantes. Mais je ne me pose pas cette question. J’ai fait le choix d’aller jouer à Rennes, car c’était la meilleure décision à prendre à ce moment de ma carrière, tout simplement.
Dernièrement, les transferts de Valentin Rongier et Quentin Merlin à Rennes – ou celui de Mathis Abline à Nantes – ont beaucoup fait parler… Que penses-tu de tout ça ?
Je crois que c’est une bonne chose. Je suis passé par le Stade rennais, je connais les conditions de travail, les infrastructures, la ferveur… J’estime que c’est un très grand club de Ligue 1. Rongier et Merlin sont passés par l’OM, et ensuite, ils suivent leur carrière. Je ne pense pas qu’on puisse les juger là-dessus. Je le comprendrais s’ils avaient quitté Nantes pour aller directement à Rennes. Ça aurait été plus problématique quand on connaît la rivalité entre ces deux clubs. Mais là, c’est différent : ils n’ont pas été retenus par le coach à Marseille, et ils ont choisi ce qui était le mieux pour la suite. Je connais bien Valentin (Rongier), c’est quelqu’un de très mature, très professionnel… S’il part à Rennes, c’est parce qu’il sait que c’est un club ambitieux, avec lequel il va jouer le haut du classement. Quand ils ont signé, je savais qu’ils avaient fait le bon choix.
Tu comprends que les supporters soient vexés par ce genre de transfert ?
Bien sûr, mais beaucoup de joueurs l’ont fait. Je cite souvent Monterrubio qui a excellé dans les deux clubs. Abline, c’est la même chose… En fait, je pense que les supporters font le choix quand ça les arrange. Certes, il y a une rivalité, mais ça n’empêchera pas un Marseillais d’aller à Paris ou des Barcelonais de finir au Real. Certains joueurs vont accepter, d’autres non. Je comprends tout à fait la réaction des supporters, mais ça fait partie du métier.

Pour revenir à ton cas, tu as quitté le championnat de France à 29 ans, après une saison à Montpellier. Avec du recul, est-ce que tu aurais aimé jouer plus longtemps en Ligue 1 ?
Oui, mais on ne peut pas toujours tout choisir quand on est footballeur. On ne voulait plus de moi à Montpellier, et les propositions venaient plutôt de l’extérieur. Dans ces moments-là, il faut choisir ce qui est le mieux. Pour moi, c’était de partir l’étranger. J’ai été prêté six mois aux Émirats, et à mon retour, la donne n’a pas changé. Le club avait recruté des attaquants, j’étais sur la sellette…
Tu sortais pourtant d’une saison à dix pions en Ligue 1…
Effectivement, à titre individuel, je fais sans doute ma meilleure saison à Montpellier… Mettre dix buts en Ligue 1, ce n’était pas rien. Mais ça fait partie du football. Certaines personnes au club auraient aimé que je marque plus, donc ils pensaient qu’il fallait se débarrasser de moi. Je le regrette parce que je m’étais habitué à la vie dans le Sud. Ce n’est pas pour rien si ma résidence principale est toujours là-bas. J’avais trouvé une stabilité, un confort, un club où j’aurais aimé rester plus longtemps. Je suis parti à contrecœur, mais c’est comme ça. On ne peut pas revenir en arrière.
C’est toujours très difficile d’évoquer ce match contre la Grèce à la Coupe du monde. Je crois que je ne me remettrai jamais de cet épisode.
Tu as pas mal vagabondé à la fin de ta carrière (Turquie, Suisse, Thaïlande). Que t’ont apporté tous ces voyages ?
Énormément de connaissances et de culture. Ça m’a permis de connaître une autre rigueur dans le travail. J’ai aussi vécu la ferveur des supporters turcs, c’est dans ce pays que j’ai été le plus impressionné. Et j’ai appris à vivre tout seul, surtout. Rester le plus longtemps possible au haut niveau m’a demandé énormément de sacrifices.
On parle peu des footballeurs qui, comme toi, décident de partir à l’étranger en laissant leur famille derrière eux. Comment tu l’as vécu ?
C’était vraiment difficile. J’ai eu mon premier fils à Rennes, où ça se passait bien. À Montpellier aussi. Mais quand tu pars à l’étranger, il faut privilégier la scolarité des enfants, leur confort… Ils sont jeunes, ils ne parlaient pas la langue, donc j’ai estimé que le mieux était d’y aller seul. J’ai eu mon deuxième fils après la Turquie… On aurait pu les scolariser dans des écoles françaises à l’étranger, mais avec ma compagne, nous avons convenu qu’il était mieux pour eux de rester en France, d’être plus proches de la famille, des grands-parents. Ce sont des sacrifices que les gens ne regardent pas forcément. Il est évident que ça a pesé sur ma fin de carrière… Mais d’un autre côté, je ne pouvais pas abandonner. Je suis un passionné, je rêvais d’être joueur professionnel depuis que je suis gamin. Aujourd’hui, je ne regrette rien parce que le football m’a énormément apporté. J’en suis très reconnaissant.
Ça fait maintenant deux ans que tu n’es plus pro, quel est ton projet pour la suite ?
Depuis mon retour, je m’intéresse d’abord à mes fils. Mon premier joue aussi à Vertou, je suis son évolution, et ça me donne envie d’essayer de passer mes diplômes de coach. Je m’y intéresse, j’essaye de trouver les bons contacts pour le faire, même si je n’ai pas encore pris de décision définitive. Pourquoi pas ?
Cet été, la Côte d’Ivoire va retourner à la Coupe du monde 12 ans après ce dernier match contre la Grèce où tu provoques un penalty. Ce souvenir est-il encore douloureux ?
Déjà, le souvenir que j’en garde, c’est d’avoir eu la chance de participer à cette Coupe du monde, au Brésil. C’était fantastique. Jamais je n’aurais cru pouvoir jouer cette compétition, et je suis très reconnaissant envers mon équipe nationale et Sabri Lamouchi de m’avoir sélectionné. Maintenant, c’est vrai que dans les arrêts de jeu de ce fameux match contre la Grèce, j’ai commis une faute dans la surface qui nous a coûté la qualification. Encore aujourd’hui, j’ai énormément de regrets. C’est toujours très difficile d’évoquer ce match. On ne peut pas avoir que du bonheur dans le football, il faut passer beaucoup d’obstacles et de complications. À cette époque-là, il n’y avait pas la VAR. Et pour moi, il n’y a pas penalty… Mais c’est comme ça. Cet événement a beaucoup pesé dans ma carrière. Quand tu représentes l’équipe nationale, tu essayes toujours de faire au mieux. Je crois que je ne me remettrai jamais de cet épisode. J’aurais aimé avoir plus de soutien de mes coéquipiers, du staff, de la fédération… Dans ce milieu, on ne te fait pas de cadeau. Il faut savoir faire abstraction et continuer sa carrière. J’ai su rebondir, et j’ai eu l’opportunité de revenir sous l’ère Hervé Renard. J’étais très heureux de pouvoir rejouer avec l’équipe nationale et de marquer, surtout.
En 2026, douze ans après, ça peut être la bonne pour la Côte d’Ivoire ?
C’est tout ce que je leur souhaite, même si ce sera difficile. La sélection a énormément progressé, elle s’est qualifiée assez facilement en ne perdant aucun match. Maintenant, on sait que ce n’est qu’une fois dans la compétition que l’on voit quelles équipes ont le potentiel pour aller loin. Mais, à titre personnel, je suis convaincu que cette équipe de Côte d’Ivoire peut se révéler et réaliser un beau parcours.
Un ancien joueur de l’académie de Nantes trouve la mort dans un accident de la routePropos recueillis par Elliott Bureau






























