- France
Oui, les attaquants doivent aussi défendre
D’après Wilfrid Mbappé, défendre ne fait pas partie du style de jeu de son fils Kylian. Une réalité qui traduit le manque d’esprit collectif de nombreux attaquants. Parole à la défense.

C’est une formule toute faite, que l’on entend dès qu’il faut déblatérer sur le rendement d’un avant-centre : il ne défend jamais ! Depuis une bonne décennie maintenant, les amoureux de football ont en effet intégré la défense à leur critère d’attaque. Curieux oxymore, quand on sait à quel point nos artistes en protège-tibias traînent des crampons lorsqu’il faut sprinter 30 mètres en arrière. Dans les colonnes de L’Équipe, Wilfrid Mbappé, père de Kylian, dégainait d’ailleurs le poncif, au moment d’évoquer les courses à haute intensité du fiston : « Je ne dis pas qu’il ne faut pas défendre, mais s’il ne doit faire que des replis défensifs, on n’est pas dans la même pièce. » Un message à peine voilé, envoyé aux détracteurs du Kyks. « On critique un mec qui met quand même 60 buts par saison », conclut Wilfrid. Tout cela dit, où placer le curseur entre l’attaquant qui court beaucoup (souvent pour rien) et celui qui triche ? Surtout, quel rôle doit occuper l’attaquant dans la tâche défensive de son équipe ?
En reculant de 20 ans, l’opinion aurait indéniablement donné raison à Mbappé père. La mission du numéro 9 consistait alors à rôder au point de penalty et à faire parler son flair devant la cage. On ne cherchait certainement pas à savoir si Filippo Inzaghi, David Trezeguet, Ronaldo ou Ruud van Nistelrooy venaient aider le milieu de terrain. C’était il y a 20 ans. Une époque où les notions de « kilomètres parcourus » ou de « duels gagnés » étaient moins prégnantes et, par ricochet, les observateurs moins regardants. Pas une mauvaise chose en soi. Mais le football a changé, mutant doucement en discipline plus athlétique, plus intense dans le rythme et plus dense dans le combat. Et à partir du moment où on demande à un gardien d’être le premier attaquant de son équipe, il est difficile pour les attaquants d’échapper aux astreintes défensives.
Le pressing comme service minimum
Ici, il n’est nullement question de demander aux offensifs d’enchaîner les tacles, mais simplement d’assurer le minimum : le pressing. Chargé de gêner la première relance, l’attaquant sert surtout de gain de temps à son bloc, en lui permettant de se replier et de s’organiser. Or, une bonne partie des buteurs ne joue pas le jeu, se contentant de trottiner près du milieu relayeur adverse, en lui offrant le plaisir de soigner sa relance. Cette « triche », Messi, Cristiano Ronaldo et aujourd’hui Kylian Mbappé l’ont plus ou moins démocratisée, avec une excuse toute trouvée : économiser ses efforts défensifs permet de gagner en lucidité devant le but. Mouais. D’autant que les contre-exemples sont plutôt nombreux. Edinson Cavani, Harry Kane, Darwin Núñez, Thomas Müller sont ainsi des spécialistes du travail de sape, sans que cela ne les ait empêchés de briller dans le dernier geste. Ce consentement, Ousmane Dembélé l’a d’ailleurs appris à son bénéfice.
Avant, je n’aimais pas défendre, mais le pressing, c’est différent. Dans l’axe, tu sprintes dix, quinze mètres et tu récupères.
Métamorphosé par les valeurs collectives de Luis Enrique, l’ailier est revenu avec plaisir sur son rôle défensif chez Onze Mondial . « Le coach veut qu’on étouffe la relance dès la base, qu’on laisse zéro temps aux défenseurs et au gardien. Moi, je lance le pressing, mais c’est toute l’équipe qui le fait vivre, a entamé le Parisien. Avant, je n’aimais pas défendre, mais le pressing, c’est différent. Dans l’axe, tu sprintes dix, quinze mètres et tu récupères. » Le contre-pied, là aussi, d’un Wilfrid Mbappé assez sec : « Un latéral, je m’en fous qu’il centre bien. À chaque poste sa spécificité. »
À chaque poste sa spécificité peut-être, mais analyser le football par le simple prisme du poste fixe ne ferait qu’accentuer son individualisation. Car déclencher un pressing ou venir aider son joueur de couloir fait partie du mécanisme collectif complet. Sinon, chacun des onze réciterait sa partition et basta. De plus, si Dembélé accepte de venir gêner la première relance, il ne faut pas non plus trop lui en demander. « Sur un côté, tu dois suivre le latéral jusqu’au bout, c’est plus exigeant », posait-il toujours dans Onze. Traduction : d’accord pour faire le minimum, mais pas plus. Wilfrid Mbappé, lui, s’est montré plus direct : « Je peux choquer en disant ça, mais la course qu’a faite l’ailier du PSG, Khvicha Kvaratskhelia en finale de la Ligue des champions (auteur d’un retour et d’un tacle sur Denzel Dumfries de l’Inter) à la 90e minute, je m’en fous. Kylian, ce n’est pas son jeu. Il fait des choses que les autres sont incapables de faire. Ce n’est pas pour autant qu’on va dire “Kvara ne met pas 60 buts par saison”. Donc, chacun se positionne comme il veut, mais je fais partie de ceux qui ne diront jamais ça aux attaquants. » Une analyse que beaucoup trouveront peut-être juste, mais qui témoigne d’une forme d’égoïsme dont les attaquants profitent déjà par essence. Un égoïsme véhiculé par la statistique, l’envie de briller et donc celle de ne pas défendre. Heureusement, l’esprit d’Edinson Cavani plane toujours.
Canal+ ressort quelques inédits de l’interview de Kylian Mbappé dans l’émission CliquePar Adel Bentaha