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Montreuil : les portes du kif

Par Mohamed Helti, à Bobigny
6 minutes

Exilé de son stade, porté par ses ultras, ses dirigeants et une pluie qui n’a jamais lâché le 93, le Montreuil FC a sorti l’US Chauvigny (2-1) à Bobigny pour filer en 16es de finale de Coupe de France. Un match lancé en treize secondes, des merguez en vol, un président à terre et une question qui traîne déjà : et si Montreuil jouait à Bauer ?

Photo : Ryan Vernel/Montreuil FC
Photo : Ryan Vernel/Montreuil FC

Dernier club amateur d’Île-de-France encore debout en Coupe de France, le Montreuil FC recevait l’US Chauvigny de William Prunier, dernier représentant de la Vienne, ce dimanche 21 décembre 2025. Une R1 face à une N3, donc un écart de divisions qui, sur le papier, devait pencher d’un côté. Dans les faits, surtout un rendez-vous très sérieux pour Montreuil, engagé dans une saison qui commence à attirer beaucoup de regards, bien au-delà du terrain. Problème récurrent : impossible de jouer à domicile. Le stade de la ville n’est pas homologué. Résultat, Montreuil « reçoit » à Bobigny, au stade Auguste-Delaune, à quelques kilomètres seulement, mais suffisamment loin pour rappeler que le club avance encore en mode système D. Une victoire envoyait Montreuil en 16es de finale, avec tout ce que ça implique : un tour de plus, une exposition nationale et la confirmation que ce projet amateur là est en train de prendre une place à part.

Les Narvalos ont pris le RER

À Bobigny, une heure avant le coup d’envoi, il pleut déjà fort. Une pluie fine, continue, le genre de météo qui refroidit les jambes, pas les voix. La tribune est pleine, déjà. Pas en train de se remplir, pas à moitié : pleine. Les Narvalos sont là, capuches serrées, fumigènes prêts, enceintes branchées. Du rap du 93 sort à fond, de Sefyu à NTM, histoire de poser le cadre. Montreuil n’est peut-être pas dans son stade, mais Montreuil est clairement chez lui. Les chants sentent Auteuil, et personne ne fait semblant de ne pas le savoir. Ici, on assume l’inspiration PSG, version amateur, version synthétique détrempé. Dans la tribune, ça mélange tout : ultras, familles entières, gamins surexcités par la fumée et le bruit, et même le maire de Montreuil et son cabinet, venus assister à ce drôle de paradoxe. Un club obligé de jouer ailleurs parce que son stade n’est pas homologué, mais suivi comme s’il jouait au pied des immeubles.

Photo : Ryan Vernel/Montreuil FC
Photo : Ryan Vernel/Montreuil FC

Treize secondes. Rouge direct pour le latéral de Chauvigny. Logan Assignon, frère de Lorenz, accroche Ilyes Dos Santos Semedo en position de dernier défenseur, est exclu et traîne pour quitter la pelouse, empêchant la reprise pendant de longues secondes. Dans la tête d’Ali Sidhoum, l’actionnaire de Montreuil, ça fuse immédiatement : « Putain, mais c’est incroyable ! C’est servi sur un plateau d’argent ! » Très vite, l’excitation se transforme en autre chose. Un stress plus profond, presque physique. Parce que cette histoire, Ali Sifhoum la vit avant même le coup d’envoi : « J’ai fait un cauchemar cette nuit. Comme quoi j’ai pris ce boulet, ils m’avaient envoyé en mission, je sais pas où, j’ai raté le match. Et quand je suis revenu, je les voyais tous en train de pleurer. Je me suis levé en sursaut, pour te dire à quel point ça m’a travaillé. »

Quand les merguez auront des ailes

Dans les tribunes, le match se joue autant à la bouche qu’avec les pieds. Ça chambre, ça provoque, ça répond, parfois trop fort. Jusqu’à la 18e minute. Faute à l’entrée de la surface. Le numéro 10 chauvinois, Naissim Ayadi, pose le ballon et défie l’ex-gardien messin Oumar Sissoko du regard. Un pas d’élan, frappe, lucarne, 0-1. Silence d’une demi-seconde. Puis tout explose. Ayadi se retourne vers la tribune montreuilloise et célèbre à la Bellingham. Pas la plus ingénieuse des idées. Les Narvalos montent en pression d’un cran. Les cris pleuvent, les chants redoublent, et quelques merguez décollent, frôlant le buteur. Le speaker tente de reprendre la main, rappelle que les jets d’objets sont interdits. Dans un coin, un arbitre ramasse même une merguez et la pousse derrière la ligne de touche. Dimitri Payet aurait sûrement apprécié.

Photo : Ryan Vernel/Montreuil FC
Photo : Ryan Vernel/Montreuil FC

Sur le terrain, Montreuil n’arrive pas à s’installer. La supériorité numérique embrouille plus qu’elle n’aide. Sur le banc, Samy Guenfoud serre les dents. Tout était pourtant prêt : « Tout était prévu depuis jeudi. On a travaillé tactiquement. Le carton rouge a changé tous nos plans. » Il insiste, presque agacé par ce scénario à l’envers : « Le carton rouge nous a desservis, c’est ce que je leur ai dit. Tout le monde pense que ça leur a donné un supplément d’âme à Chauvigny. Et nous, ça nous a mis dans une animation qu’on ne connaissait pas. » À la 39e minute, sortie mal maîtrisée, le gardien chauvinois, fort inspiré de Barthez, met KO Dos Santos Semedo. Penalty. Idris Kadded Benoît prend le ballon sans discuter. Le gardien touche, mais ça rentre. 1-1. Soulagement collectif : « Et Idris, Ballon d’or ! »

« Lève-toi Mehdi », on rêve de Bauer

Guenfoud ne s’assoit jamais. Il pousse, il replace, il vit chaque duel. À un moment, Mehdi Khaouad reste au sol après un contact. Le coach crie, sans réfléchir : « Lève-toi Mehdi, j’ai encore besoin de toi ! ». Besoin, il va en avoir. Parce que Montreuil finit par prendre le dessus, surtout physiquement. « En août, ils ont couru pendant un mois, comme des chiens. Mais on savait pourquoi. » Chauvigny recule, subit, s’accroche. À la 81e, Khaouad est toujours là. Toujours debout. Il centre parfaitement. Au deuxième poteau, Anthony Adel zappé par la défense chauvinoise épuisée. Un contrôle qui laisse croire qu’il va perdre le ballon, puis une frappe côté opposé. Les Narvalos explosent. Adel souffle encore : « Le centre, c’est mon petit frère qui l’a fait. Il sait que j’aime bien traîner là. J’ai mis toute ma force. »

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Derrière les cages, Ali Sidhoum et le président Abdoulaye Sow ne tiennent plus. Sow demande toutes les 30 secondes combien de temps il reste. « Vite que ça se termine. » Sidhoum confirme, les yeux rivés sur la montre : « Pendant tout le match, t’es en apnée. » Quand l’arbitre siffle enfin, Sow saute par-dessus les panneaux pub, glisse sur le synthé détrempé, tombe, se relève et court célébrer. Après, la pelouse devient une réunion de famille. Enfants, proches, chants, pluie, fumée, tout se mélange.

Photo : Ryan Vernel/Montreuil FC
Photo : Ryan Vernel/Montreuil FC

Dans le vestiaire, Sow recadre tout de suite : « Les gars, faut pas faire les fines bouches. Aujourd’hui, savourons. Qui allait dire il y a trois mois qu’on serait là ? Personne. » La suite est claire : « La Coupe, c’est du bonus. La priorité, ça reste le championnat. » Et déjà, entre deux accolades, la suite se projette. Le tirage a donné Amiens, Ligue 2. Sidhoum sourit, lucide : « On voulait une Ligue 1 parce que ça aurait été beau. Maintenant que c’est une Ligue 2, on se dit peut-être qu’on peut y aller. Il faut qu’on fasse preuve d’humilité. On est à des années-lumière d’une Ligue 2, mais on va les laisser kiffer. » Lui qui est aussi sponsor du Red Star ne cache pas le symbole : « Si je suis sponsor du Red Star, c’est aussi pour ça. Mettre le nom de ma boîte sur le maillot de l’équipe du 93, c’est une fierté. Le département, c’est ça la plus grande fierté. » Montreuil n’a peut-être pas encore son stade. Mais sous la pluie de Bobigny, avec les Narvalos, le 93 dans la gorge et Bauer dans un coin de la tête, Montreuil n’a clairement pas fini de faire parler de lui.

Merci à Ryan Vernel (Instagram : rvrl931) pour les photos.

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