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Sean Connery, l’espion qui aimait le football

Par Paul Bemer, Paul Piquard et Amelia Dollah à Glasgow
Sean Connery, l’espion qui aimait le football

Avant de tâter du flingue et des James Bond girls, Sean Connery a failli faire carrière dans le football. Retour sur la véritable passion du plus célèbre des Écossais, décédé ce samedi à l'âge de 90 ans.

Andy Murray vient de battre Tomas Berdych en demi-finales de l’US Open 2012. En conférence d’après-match, le tennisman écossais multiplie les poncifs quand une large silhouette s’approche de lui. Murray lève la tête, bloque un peu, puis affiche son plus beau sourire. Devant l’assistance tout aussi amusée que lui, Sean Connery est en train de faire le tour de l’estrade pour féliciter son compatriote. Polo orange rentré dans un pantalon remonté au-dessus du nombril et lunettes de soleil en sautoir, l’acteur fait le show avant de demander à deux invités surprises de le rejoindre. Judy Murray, la mère du joueur, et surtout Alex Ferguson, son grand pote des Highlands. Au-delà de la petite balle jaune et d’une simple amitié virile entre Écossais, le lien qui unit le mythique interprète de James Bond au légendaire manager de Manchester United n’est autre que le football. Et ce que peu de gens savent, c’est que le premier aurait pu débarquer chez les Red Devils bien avant le second.

Du lait, des ulcères et un télégramme

Né à Édimbourg en 1930, Connery grandit dans une famille modeste. Les temps sont durs, la pluie constante, et le football omniprésent. « Nous n’avions pas de télévision, pas de jouets. Du coup, je faisais défiler les heures à jouer au football en bas de chez moi. » En 1942, lorsqu’il se rend compte que la Boroughmuir High, l’école la plus huppée de son quartier, privilégie la pratique du rugby plutôt que celle du ballon rond, il opte pour la Darroch Secondary, ses voies de garage et son équipe de football. La Seconde Guerre mondiale et la peur des bombardements remettent en cause ses récréations. L’école est fermée, et les élèves suivent leurs cours dans un manoir du Morningside. Sean n’y fait pas long feu. « Quand ma prof, une lady de l’upper-class, a vu que j’étais celui qui lui distribuait le lait tous les matins, elle m’a viré sur le champ, se rappelle-t-il. C’était snob de sa part, mais je voyais plutôt ça comme une bénédiction : sans l’école, j’avais plus de temps pour jouer au football. » Déscolarisé, Sean, 13 ans, sillonne alors les rues de la ville avec son poney, Tich, pour approvisionner en lait les clients de la Wholesale Society, la compagnie qui l’embauche. Après ses tournées, il se rend au Saughton Park, où se trouve le Fet-Lor Club, une institution qui offre des sandwichs et des douches chaudes aux enfants les plus pauvres, mais surtout la possibilité de jouer au football dans de bonnes conditions. À 17 ans, il quitte l’attaque du Fet-Lor pour s’enrôler dans la marine britannique. Problème : des ulcères à l’estomac répétés mettent fin à sa carrière au service de Sa Majesté la reine.

Les dirigeants des Rangers m’ont dit: « Si tu viens à Glasgow, on te présente Sean Connery et on donne un petit rôle à ta femme dans le prochain James Bond. »

Son expérience dans la marine se solde par deux tatouages – « mum and dad » et « Scotland forever » – et par un retour à la case départ qui oblige Connery à multiplier les petits boulots : maçon, maître-nageur et même vernisseur de cercueils. John Hogg, l’un de ses collègues dans les pompes funèbres, lui ouvre alors les portes de l’interprétation en l’invitant à le rejoindre au King’s Theatre, une troupe de théâtre amateur. À l’époque, la comédie est loin d’être la priorité de celui que l’on surnomme « Big Tam » , à cause de son mètre quatre-vingt-neuf. L’Écossais préfère les rings de boxe et le couloir gauche du Bonnyrigg Rose Athletic Football Club aux répétitions. En échange de cinq shillings hebdomadaires, il se rend deux fois par semaine dans la banlieue d’Édimbourg pour honorer une licence au numéro prémonitoire : 777. « Il était beau, toutes les filles l’aimaient, sourit Nat Fisher, l’un de ses anciens coéquipiers. Il avait une veste en velours côtelé magnifique, on en voulait tous une comme la sienne. Sur le terrain, en revanche, c’était plus compliqué. Les défenseurs adverses lui mettaient beaucoup de coups. Il n’aimait pas du tout ça. » Ainsi, c’est en tant que footballeur que l’Écossais fait parler de lui pour la première fois dans la presse. En 1951, The Dalkeith Advertiser, un quotidien local, évoque une frappe des trente mètres de « Connelly » qui termine dans les filets de Broxburn Athletic. Insuffisant malgré tout pour que ses exploits footballistiques traversent les décennies. Seul Ian Dalley, le tenancier du bar jouxtant le siège de Bonnyrigg, semble aujourd’hui se souvenir que James Bond a un jour porté la tunique rouge et blanc du club. Derrière son zinc, il pointe une caricature de l’acteur accrochée sur un mur, puis se tourne vers une porte, fermée à clé. À l’intérieur de la pièce, une vitrine expose des coupes, des trophées et un télégramme, envoyé d’Espagne par Sean Connery le 2 juin 1972 : « En vous souhaitant beaucoup de succès contre les Rangers de Cambuslang en Coupe d’Écosse. Stop. Désolé de ne pas pouvoir être là… J’espère que mon ancien club atteindra son objectif. Stop. »

« Ce type est exactement ce qu’il te faut! »

À dix minutes de la gare centrale de Glasgow se tient le Scottish Football Museum géré par Richard McBrearty. Fier de sa collection, qui remonte au XIXe siècle, le conservateur jure qu’il n’a aucun vestige de l’acteur hormis une vieille photo de lui avec le maillot de Bonnyrigg. Par acquit de conscience, il feuillette les pages d’un registre datant de 1952, sans trop y croire. Au bout de quelques minutes, son visage s’illumine en découvrant que Connery, de son vrai prénom Thomas, figure bel et bien sur une feuille de match. Surexcité par sa découverte, il la partage avec un collègue : « Tu savais qu’on avait un registre signé par Connery dans les archives ? » L’archiviste, lui, s’en fout : « Non, mais on a un autographe d’Hitler qui date des Jeux olympiques. »

Connery, c’est une star internationale, mais il faut comprendre que son vrai truc, c’est le football. Quand il n’était pas en tournage, il faisait le trajet en bus avec nous jusqu’au stade. C’est un fanatique.

Le nom de Connery n’apparaît plus dans aucun registre à partir de 1953. À l’époque, l’Écossais, qui a la possibilité de signer au East Five FC, choisit de se concentrer sur le bodybuilding pour représenter l’Écosse au concours de Mister Univers. Il finit troisième et décroche, dans la foulée, un rôle dans la comédie musicale South Pacific. « L’intrigue se passait à Hawaï. Les mecs étaient en robe de raphia avec des lances. Sean se sentait ridicule, mais cela lui plaisait bien », situe François Forestier, critique cinéma au Nouvel Observateur qui a plusieurs fois interviewé l’acteur. Alors que la troupe est en représentation à Manchester, Connery organise un match contre une équipe locale. Dans les gradins du modeste stade, un homme, recruteur pour le Manchester United de Matt Busby, se régale. « Ce type est exactement ce qu’il te faut ! » rapporte le scout au défunt coach des Red Devils. Sean se voit même offrir un essai à Old Trafford… qu’il finit par refuser : « Je voulais vraiment accepter parce que j’aime le football, mais j’ai réalisé que même un grand joueur de foot est sur le déclin passé ses 30 ans, et moi j’en avais déjà 23. Or, tous les acteurs connus comme Burt Lancaster ou Clark Gable avaient tous plus de 30 ans. Donc j’ai décidé de devenir acteur et il s’est avéré que ce fut la décision la plus intelligente de toute ma vie. »

Catherine Zeta-Jones et Lionel Charbonnier

Au fil des années, Sean Connery devient une star internationale grâce à James Bond. C’est d’ailleurs en costume d’agent secret qu’il reçoit, en 1966, les champions du monde anglais dans les studios de Pinewood. Plus tard, à l’occasion de la participation de l’Écosse au Mundial 1982, Connery s’affiche tout sourire avec la bande de Gordon Strachan et prête même son accent écossais pour les besoins de la narration du documentaire G’olé!, le film officiel de la compétition. Longtemps catalogué comme fan du Celtic à cause de son père, supposément supporter des Bhoyz, Connery – qui n’a jamais cessé de pratiquer le football entre chaque prise – affiche au grand jour sa sympathie pour les Rangers au milieu des années 1990. Cet attachement au club d’Ibrox park en étonne plus d’un : contrairement à l’acteur, grande figure de l’indépendance écossaise, les Rangers se sont toujours rangés du côté du Royaume-Uni. Des questions géopolitiques qui font sourire Jim Hannah, en charge des relations avec les supporters pour les Gers et qui œuvre à la création du musée du club, dans lequel Connery aura une bonne place. « C’est notre ambassadeur dans le monde », justifie celui qui a frôlé le licenciement à cause de l’acteur lors d’un match de Coupe d’Europe disputé par les Rangers à Monaco, en 2000. « J’étais responsable de la billetterie. David Murray, l’ancien président du club, m’avait donné une enveloppe, qui contenait deux billets. Un pour moi, l’autre pour un Français. Un matin, mon téléphone sonne. Au bout du fil, un type se fait passer pour Connery. Je raccroche. Le mec rappelle et je lui réponds, excédé :« Tu n’as même pas la putain de voix de Sean Connery ! »Quinze minutes plus tard, Murray m’appelle pour me dire qu’en fait le Français, c’était Connery… Murray a fini par me le présenter à Louis-II :« Jim, voici l’homme à qui tu as dit d’aller se faire foutre. » »

En businessman avisé, David Murray, qui se lie d’amitié avec Connery lors d’une remise de prix organisée par la ville de Glasgow, sent qu’il peut tirer une plus-value de sa relation avec un type dont le rayonnement dépasse le cadre du sport. Alors qu’il n’apparaît dans aucun organigramme du club, Connery devient l’atout charme numéro un de la cellule de recrutement. « Je n’avais pas envie d’aller en Écosse où il pleut beaucoup. Mais les dirigeants des Rangers m’ont dit : « Si tu viens à Glasgow, on te présente Sean Connery et on donne un petit rôle à ta femme dans le prochain James Bond », se souvient l’attaquant roumain Florin Raducioiu. Je ne sais pas si c’était une blague, mais c’est vrai que ma femme, Astrid, ressemble un peu à Sophie Marceau… » Finalement, Raducioiu signe à West Ham pour un salaire bien inférieur à celui proposé par les Rangers. En 2003, Claudio Caniggia a lui aussi affaire au VRP de luxe du club au moment de quitter l’Écosse pour les pétrodollars qataris. « J’ai reçu un coup de téléphone de James Bond pour me dire qu’il fallait que je reste, raconte l’Argentin. Connery, c’est une star internationale, mais il faut comprendre que son vrai truc, c’est le football. Quand il n’était pas en tournage, il faisait le trajet en bus avec nous jusqu’au stade. C’est un fanatique : un vrai amoureux de son club et de l’Écosse. » Des passions qu’il entremêle souvent avec ses répétitions, selon Andrea D’Amico, l’agent de Gennaro Gattuso, qui évolue à Glasgow en 1997-1998. « On négociait le départ de Rino pour la Salernitana dans la demeure de Murray à Jersey. Sur place, c’est Sean Connery qui nous a ouvert ! Pendant qu’on négociait, Sean était dans la cuisine, en train de nous parler de son amour pour l’Italie. Il nous demandait si on voulait du thé ou du café. On aurait dit un employé de maison, c’était très drôle. Plus tard, Catherine Zeta-Jones nous a rejoints. Ils jouaient ensemble dans le filmHaute Voltigeet devaient répéter leur texte. J’ai halluciné. » Un star system que Lionel Charbonnier pensait avoir abandonné en quittant Gérard Depardieu et l’AJ Auxerre pour Ibrox Park. « Je sortais d’une super aventure avec Depardieu, pour me retrouver avec Sean Connery. Je me suis dit : « Si ça continue, je ne sais pas avec qui je vais me retrouver », s’amuse le champion du monde 1998. Connery était comme Gérard, très humble, très charismatique, et très intelligent : il savait se mettre à la hauteur de son interlocuteur lorsqu’il venait dans les vestiaires pour parler football. »

Ronaldinho, Shimon Peres et l’Alzheimer

Pendant toutes ces années, l’acteur comprend surtout que le football est un fabuleux vecteur de communication pour les différentes causes de charité dont il s’occupe. En 2005, il se pointe avec Shimon Peres au Camp Nou pour assister à un match de gala entre le Barça de Ronaldinho et la Peace Team, composée de joueurs palestiniens et israéliens. Quelques années après, il supplie même l’international Steven Naismith de parler de sa dyslexie pour les besoins d’une association écossaise. Aujourd’hui, entre les déboires des Rangers, sa retraite cinématographique prise en 2003 et les rumeurs persistantes sur la maladie d’Alzheimer qui le rongerait, 007 s’est retranché aux Bahamas. Et même s’il n’aborde plus le sujet, l’Écossais gardera toute sa vie la marque du sport roi, comme l’illustre François Forestier, au sortir de sa dernière interview avec sir Sean : « Il a remonté son pantalon et m’a montré son genou. Il avait le cartilage abîmé et m’a confié que ça l’avait embêté pendant des années jusqu’à ce qu’il se fasse opérer. Son souvenir du football, c’était surtout cela : un genou en très mauvais état. » Si le docteur No l’avait su…

Par Paul Bemer, Paul Piquard et Amelia Dollah à Glasgow

Tous propos recueillis par PB, PP et AD sauf ceux de Caniggia par Jorge Lopez. Propos de Connery, tirés de son autobiographie éponyme (Ed. Nouveau monde).

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