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Samuel Eto’o-Marc Brys : un mariage impossible au Cameroun
Au Cameroun, le football est un terrain politique et c’est une sélection qui se retrouve prise en otage. Entre le sélectionneur belge Marc Brys et le président de la Fécafoot Samuel Eto’o, le mariage était impossible. Le technicien a moins entraîné les Lions indomptables qu’il n’a survécu à une jungle d’État. La preuve en neuf dates.
→ 2 avril 2024 : Un coach parachuté par le palais
Début avril, Narcisse Mouelle Kombi, ministre des Sports, débarque en conférence de presse avec un grand sourire et un nom que personne n’avait vu venir : Marc Brys. Un Belge calme, méthodique, inconnu du grand public africain, mais validé par le gouvernement (Paul Biya se tape la Jupiler Pro League ?). La Fecafoot de Samuel Eto’o ? Non consultée, évidemment, parce qu’elle dépend totalement du gouvernement qui s’en sert comme usine à poudre de poivre de Penja. Le football camerounais découvre alors qu’il a deux cerveaux : un qui décide et un qui apprend la nouvelle dans les journaux. On appelle ça un « choix d’État ». Brys démarre sa mission dans un costume impeccable, mais déjà rempli de TNT.
→ 3 avril 2024 : Eto’o sort du silence et du rond central
Le lendemain, Samuel Eto’o contre-attaque par communiqué. « Surprise », dit-il. Malaise, ajoute-t-il sans l’écrire. Le message est clair : on n’impose pas un sélectionneur à la Fecafoot, et encore moins à un mec qui considère Pep Guardiola comme un joueur moyen. Eto’o, qui voulait supprimer l’amateurisme dans le foot camer, découvre qu’il n’est pas le grand président qu’il pensait être, même en costume trois-pièces conjugué à une casquette de golfeur. Très vite, le ton est donné, et Brys comprend qu’ici, il n’est pas seulement sélectionneur. Il est aussi pion dans une partie qui a commencé sans lui.

→ 8 avril 2024 : Appelez le SAMU
Quelques jours plus tard : cérémonie officielle. Le contrat est signé avec caméras, applaudissements, discours ministériels. Eto’o et ses hommes ? Pas là. La chaise destinée à la Fecafoot reste vide, comme un avant-goût de la guerre asymétrique qu’allaient se mener les grandes instances du sport camerounais. Brys pose pour les photos, l’air un peu rêveur. Il pense sans doute football. Tout le pays pense politique.
→ 29 mai 2024 : Le jour où Eto’o explose
Ce qui devait arriver arriva. Fin mai, au siège de la Fecafoot, les caméras filment une altercation lunaire : Eto’o hausse le ton, Brys ne cède pas, un conseiller du ministre est expulsé manu militari de la salle. Brys et Eto’o s’adonnent à la joute verbale la plus marrante de toute l’Afrique centrale : « J’ai été entraîneur ! Euh… pour trois semaines… » La vidéo tourne en boucle sur les réseaux. Le lendemain, la Fecafoot met le Belge à la porte et nomme Martin Ntoungou Mpile sélectionneur intérimaire. Officiellement, Brys est toujours sous contrat. Officieusement, son badge d’accès vient d’être désactivé. On a connu des débuts d’été plus sereins.
🚨 Samuel Eto’o a eu une vive altercation avec Marc Brys, sélectionneur du Cameroun. 🇨🇲😳 « Je suis le président, vous me parlez pas comme ça. Vous pensez que je peux faire ça en Belgique ? Alors comment vous pensez que vous pouvez faire ça au Cameroun ? »pic.twitter.com/ukTjpru8Ch
— Instant Foot ⚽️ (@lnstantFoot) May 28, 2024
→ 30 mai 2024 : Les excuses du roi Eto’o
Laisse-moi j’peux tout t’expliquer, des fois j’fais des choses que j’comprends pas : Eto’o s’excuse. En public. Devant micros et caméras. L’ancien attaquant du Barça parle d’émotion, d’intérêt général, de paix des braves. Et annonce que Brys garde finalement son poste. Sauf qu’il doit désormais accepter un staff imposé par la Fecafoot. Une réintégration sous contrôle parce que le sélectionneur, au Cameroun, ne sélectionne rien d’autre que son caleçon le matin.
→ 11 septembre 2024 : La suspension qui n’a jamais existé
En septembre, après les incidents survenus lors du match du Cameroun face au Zimbabwe déroulé à Kampala en Ouganda, une rumeur explose : Brys est suspendu pour trois mois. Les médias s’emballent, les réseaux s’échauffent, les Camerounais soupirent. Puis la Fecafoot dément sèchement : aucun coach n’a été viré ce jour-là. Au pays du thriller politico-foot, la fédé camerounaise semble jauger les possibilités avec des fake news et quand ça sent mauvais, rétablit le coach belge. Brys découvre qu’on peut être fragilisé sans même être au courant que son sort est discuté dans un salon fermé, entre deux cafés et trois (m)égo(t)s.
→ 23 juillet 2025 : Le « je démissionne » qui n’existe pas
La Fecafoot publie un communiqué affirmant que Brys a démissionné. Coup de théâtre. Sauf que le principal intéressé n’est même pas au courant : « Je tiens ici, avec la plus grande fermeté, à démentir catégoriquement cette information. Je n’ai jamais rédigé ni transmis un quelconque courrier de démission. » Le ministre aussi (selon lui). On soupçonne une lettre sortie de son contexte, un coup de force médiatique, une tentative d’en finir sans assumer. On nage dans le clair-obscur, et le sélectionneur devient un personnage kafkaïen : il reste en poste sans savoir si son bureau existe encore. Il explique par un communiqué adressé au ministre des Sports camerounais : « Il apparaît, à l’examen des éléments en ma possession, que ma messagerie a très probablement été compromise. Ce piratage, aussi regrettable qu’inhabituel, a visiblement semé le trouble et suscité une vague de réactions précipitées. » En gros, une manière de dire que les gens au-dessus ont décidé et parlé pour lui. Une version yaoundéenne de Jeff Panacloc, finalement.
UPDATES! Marc Brys has categorically denied rumors of his resignation. In a recent letter allegedly from the gaffer, he claims his account was hacked. Brys also expressed surprise & concern that @FecafootOfficie did not contact him personally before responding to the letter. https://t.co/wIOchGtoSY pic.twitter.com/I7bEPc36CY
— Beng Emmanuel Kum (@BengManuel_) July 23, 2025
→ 1eʳ décembre 2025 : Le coup de sifflet final
La Fecafoot finit par rendre sa sentence : Marc Brys est démis de ses fonctions. David Pagou prend le relais. Trois semaines avant la CAN 2025. Le timing parfait si l’objectif est de saboter toute continuité, et le pire si l’objectif est de gagner des matchs. Peut-être une manière de s’inspirer de la Côte d’Ivoire version anticipée, en espérant que du chaos naisse la gloire. L’ex-sélectionneur est accusé « d’insubordination » et d’avoir provoqué des incidents qui mettraient en péril la sélection nationale. Brys s’en va comme il est venu : en outsider dans un monde où il n’a jamais vraiment été attendu. Il sera accompagné dans le renouveau camerounais par Andre Onana et Vincent Aboubakar qu’il fallait virer tout simplement : « Un entraîneur doit faire des choix. Pour choisir, il faut éliminer. On a voulu faire autrement. Ce sont de bons joueurs, mais on a jeté notre dévolu sur d’autres pour qu’il y ait un autre état d’esprit », explique le nouveau sélectionneur jetable des Lions indomptables. Longtemps vu comme le sauveur du foot camerounais, Samuel Eto’o donne l’impression de gérer la Fecafoot comme Paul Biya gère le Cameroun : en virant tous ceux qui ne pensent pas comme lui.
Marc Brys viré de son poste du sélectionneur du Cameroun à trois semaines de la CANPar Mohamed Helti


























