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  • Un jour, un transfert
  • Épisode 40

Saadi Kadhafi à Perugia : un fils de dictateur en Serie A

Par Eric Maggiori
Saadi Kadhafi à Perugia : un fils de dictateur en Serie A

Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. Pour ce 40e épisode, focus sur l'un des transferts les plus mystérieux de l'histoire du football italien. En 2003, Saadi Kadhafi, fils de l'alors dictateur libyen Mouammar Kadhafi, s'engage avec le Perugia Calcio. Un coup à la fois politique et marketing, mais certainement pas sportif.

S’il y avait bien une chose que Luciano Gaucci, regretté président du Perugia Calcio, aimait, c’était que l’on parle de lui. En bien, en mal, peu importe, le bonhomme aimait être sur le devant de la scène et sous le feu des projecteurs. Quelques exemples, comme ça, à la volée : supporter de la Roma, il est devenu vice-président du club giallorossodans les années 80, tentant de racheter son club de coeur à la mort du président Dino Viola. La transaction n’ayant pu être finalisée, Gaucci a tenté de racheter… la Lazio. Sans succès. En 1993, après avoir repris le club de Perugia, il décroche la montée en Serie B, mais celle-ci est annulée à cause de deux matchs truqués : Gaucci aurait glissé quelques billets dans la poche d’un arbitre, Mr Senzacqua, ce qui vaudra au président trois ans de suspension. Sept ans plus tard, lors de la dernière journée de championnat, son Perugia, désormais en Serie A, bat la Juventus de Carlo Ancelotti et offre ainsi le Scudetto à la Lazio, son ennemie jurée. Et au lieu de ruminer à la fin de la rencontre, il déclare tout sourire aux journalistes : « Si nous n’avions pas joué à fond, j’aurais envoyé tout le monde en stage en Chine ! » . Et en 2002, Gaucci s’est encore rendu célèbre pour avoir licencié l’un de ses propres joueurs, Ahn Jung-hwan, « coupable » d’avoir éliminé l’Italie lors du Mondial 2002. Voilà pour le CV du personnage.

Pendant mon mandat, il n’a pas joué une seule minute. En tant que joueur de foot, il ne vaut strictement rien.

Début de carrière à 27 ans

Sachant désormais tout ça, est-il vraiment étonnant qu’à l’été 2003 Luciano Gaucci annonce un nouveau coup de mercato qui allait faire bondir le monde entier ? Le nom de sa recrue : Saadi Kadhafi. Fils du dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Kadhafi a en effet eu neuf enfants, issus de deux mariages différents, six fils et trois filles. Les deux fils aînés, Mohamed et Saïf, étaient déjà engagés en politique. Mais Saadi, lui, aspirait à autre chose. Il voulait devenir footballeur professionnel. Un choix pas franchement validé par son dictateur de père, qui méprisait tout le spectacle entourant le sport. Pour lui, le sport devait juste être pratiqué, et non pas regardé. Mais qu’importe : Saadi veut vivre son rêve. Et sa carrière va s’avérer aussi mystérieuse que fascinante.

Officiellement, il débute sa carrière en 2000, à l’âge de 27 ans (!) dans le club local de l’Al-Ahly Tripoli. Il y reste un an, puis passe à l’Al-Ittihad Tripoli. Forcément, être le fils du dictateur du pays donne certains privilèges. De fait, bien qu’il ne soit pas franchement un crack, Kadhafi Jr est capitaine de son équipe, et joue également en équipe nationale. Néanmoins, en 2002, le nouveau sélectionneur libyen, l’Italien Franco Scoglio, découvre le pot-aux-roses. Et sans peur de représailles, il lâche ses vérités : « Je me suis rendu compte que les buts qu’il marquait en championnat étaient uniquement des cadeaux des défenses adverses. Du coup, je l’ai convoqué en équipe nationale une seule fois, pour la forme. Mais à la mi-temps, il était vexé d’être sur le banc donc il est parti. Pendant mon mandat, il n’a pas joué une seule minute. En tant que joueur de foot, il ne vaut strictement rien. » Scoglio sera évidemment viré quelques mois plus tard.

Une recrue politique

C’est bien conscient de tout ça que Luciano Gaucci décide pourtant de le recruter à l’été 2003. Mais attention : le chemin qui a mené Saadi Kadhafi à Pérouse est tortueux et parsemé de zones d’ombres, encore aujourd’hui. Pour en comprendre les tenants et les aboutissants, il faut rembobiner au 21 décembre 1988, date de l’attentat de Lockerbie. Ce jour là, un avion effectuant la liaison entre Londres et New York explose au-dessus de la ville de Lockerbie, en Écosse, causant la mort de 270 personnes. Après une enquête de trois ans, menée par la police locale et le FBI, des mandats d’arrêt sont émis contre deux ressortissants libyens. L’un des deux auteurs présumés, Abdelbaset al-Megrahi, est un officier du renseignement libyen, et travaille donc pour Mouammar Kadhafi. C’est Kadhafi lui-même qui le livrera à la justice en 1999. Al-Megrahi est condamné à perpétuité en 2001 et deux ans plus tard, en 2003, Kadhafi accepte la responsabilité de l’attentat et verse des indemnités aux familles des 270 victimes.

« Cette histoire avec Kadhafi a fait de la publicité, et ça ne pouvait être que de la bonne publicité. C’était dans les journaux tous les jours, à la télé tous les jours. C’était, pour mon père, ce qui le rendait heureux. »

De nombreuses théories émergent alors. La Libye étant une ancienne colonie italienne, le transfert de Saadi vers un club italien aurait-il été orchestré par Berlusconi, alors Premier ministre ? Un transfert hautement politique, qui aurait pour but de prouver d’une part la loyauté de l’Italie envers la Libye (notamment en vue de futurs accords commerciaux), et qui permettrait de l’autre de rebooster l’image de la Libye après l’attentat de Lockerbie. Luciano Gaucci, lui-même, avait des relations avec des politiciens, et voyait forcément un intérêt à recruter le fils d’un chef d’État, aussi dictateur soit-il. « Mon père était heureux quand quelqu’un parlait de lui, avait assuré son fils, Riccardo, dans un entretien à Bleacher Report. Son credo, c’est que toute publicité est une bonne publicité. Cette histoire avec Kadhafi a fait de la publicité, et ça ne pouvait être que de la bonne publicité. C’était dans les journaux tous les jours, à la télé tous les jours. C’était, pour mon père, ce qui le rendait heureux. Un jour, il s’est dit : « Pourquoi ne pas embaucher le fils du dirigeant libyen de l’époque pour jouer au football ? »Et Saadi, dès le début, a été très content de l’idée. »

13 minutes de rêve face à la Juve

À la base, Saadi aurait préféré signer à la Juventus car il est, depuis toujours, supporter de la Vieille Dame, et grand admirateur d’Alessandro Del Piero. Problème : en 2002, soit un an avant de débarquer à Perugia, Saadi est devenu… actionnaire de la Juventus, par l’intermédiaire de la Libyan Arab Foreign Investment Company et de Tamoil, le sponsor de la Juve. Impossible, donc, pour Luciano Moggi et la Juve d’imaginer le recruter. Pour le plus grand bonheur d’un autre Luciano, Gaucci, qui voit donc le joueur débarquer lors de l’été 2003, un été heureux pour Perugia, qui remporte la Coupe Intertoto. Le joueur est présenté en grande pompe dans un château médiéval, et les médias du monde entier sont présents pour l’occasion. Joueur de Perugia cette saison-là, Emanuele Berrettoni se souvient que la télévision Al-Jazeera avait carrément envoyé une équipe pour suivre le joueur au quotidien. « C’était comme une émission de télé-réalité, se souvient-il. Mais au bout d’un moment, on s’y est habitué. Et il est devenu juste footballeur, comme nous tous. »

« La meilleure comparaison que je puisse vous donner est celle d’un enfant de 13 ans qui est placé dans un groupe d’âge plus élevé »

Enfin, pas vraiment comme tous… De l’avis de ses anciens coéquipiers, Saadi Kadhafi était volontaire, bosseur, mais n’avait pas du tout l’étoffe d’un footballeur professionnel. Dès qu’il a commencé à s’entraîner au quotidien avec le groupe pro, il se blessait régulièrement. Ancien de l’Inter et de la Juve, Salvatore Fresi était prêté à Perugia cette saison là. « La meilleure comparaison que je puisse vous donner est celle d’un enfant de 13 ans qui est placé dans un groupe d’âge plus élevé, rembobine-t-il. Il a essayé de se donner à 100%, mais physiquement, il n’a pas pu. Il se blessait en permanence. » Trop juste physiquement, et tout simplement pas adapté à la Serie A, Saadi Kadhafi n’a connu que le banc lors de ses premiers mois italiens. Début novembre, il est contrôlé positif à la nandrolone lors d’un contrôle anti-dopage, et prend trois mois de suspension.

Son jour de gloire aura finalement lieu le 2 mai 2004. L’entraîneur, Serse Cosmi, lui offre ses 13 premières minutes en Serie A, au stadio Renato Curi. L’adversaire ? La Juventus, évidemment. Les médias italiens laisseront entendre qu’une clause dans le contrat de Saadi stipulait qu’il devait impérativement jouer face à la Juventus, version toujours démentie par Gaucci. Lorsque Saadi Kadhafi entre en jeu à la 75e minute, Perugia mène 1-0, et la Juve est réduite à dix suite à l’expulsion de Ciro Ferrara. Selon la Gazzetta dello Sport du lendemain, l’entrée de Kadhafi a permis « de rétablir l’équité numérique » , le joueur se faisant littéralement bouger à chaque ballon touché. Il s’agira de sa seule apparition officielle avec Perugia, qui sera relégué à la fin de la saison. Mais Luciano Gaucci s’en foutait : il avait réussi son coup. La preuve, près de vingt ans plus tard, on en parle encore.

Par Eric Maggiori

Propos de Riccardo Gaucci, Salvatore Fresi et Emanuele Berrettoni issus d'un entretien à Bleacher Report

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