- 100 Français de Serie A
- Épisode 4
Rodrigue Boisfer, le plus ancien des Français d’Italie

Il n’a jamais joué en Serie A, mais est de loin le Français avec le plus d’ancienneté en Italie. Un pays qu’il a rejoint en 1998 pour ne jamais en repartir. De fait, Rodrigue Boisfer dispute sa 18e saison consécutive dans la Botte. Le Genoa et Venise en Serie B, Pérouse, Sangiovannese, Pro Sesto en Serie C1, Gubbio de la C2 à la B, et maintenant Sestri Levante en Serie D. Il nous raconte.
Avec la signature au mercato hivernal d’Eddy Gnahoré au Napoli, prêté immédiatement à Carpi, la barre des 100 Français en Serie A devrait bientôt tomber. Sofoot.com célèbre en 7 épisodes cette présence française dans la Botte.
1998, an de grâce, tu as surfé sur la victoire en Coupe du monde ?Non, car mon transfert a été conclu avant le Mondial ! Je sortais du centre de formation de l’AS Monaco, et le Genoa m’a proposé un contrat pro de trois ans avec une option pour trois autres années.
Il y avait tout de même une hype française, non ? Ça, c’est indéniable, la période 1998-2002 a permis à tous les footballeurs français d’être plus en vue, surtout pour les jeunes. Je pense que beaucoup en ont profité.
Quand tu vas en Italie, c’est temporaire avant de revenir un jour en France ?Oui, c’est un peu ça, je me suis dit, si j’explose, on verra si c’est possible de revenir. Mais finalement, je n’avais aucune raison de rentrer même si j’aurais pu aller à l’OM quand Galtier y était entraîneur, sauf que le retour de Tapie a tout fait capoter. C’est dommage, car en tant que Marseillais, j’aurais réalisé le plus beau de mes rêves.
D’ailleurs, tu débarques en même temps que Jean-Christophe Marquet.Un autre Marseillais, lui n’est resté qu’un an, mais on était souvent fourrés ensemble. Il était plus expérimenté et m’a beaucoup appris sur et en dehors du terrain. En revanche, on a rapidement perdu contact après son départ.
Tu es le premier d’une longue liste à être parti très tôt en Italie. Pourquoi les jeunes Français plaisent tant aux Transalpins ?Ils aiment bien piocher hors de leur pays, et je ne comprends pas pourquoi, car ils ont énormément de jeunes de qualité, sauf qu’ils ne savent pas miser dessus. Concernant les Français, ils ont un faible pour nos joueurs techniques qui tripotent bien la balle. Le genre qui jouent sur le terrain comme s’ils étaient avec leurs potes en bas de l’immeuble, sans trop se prendre la tête. Si en plus de ça, le gars a la mentalité qu’il faut, c’est tout bon pour lui.
En revanche, ils aiment moins les coachs français, Garcia étant le seul de l’histoire de la Serie A, une explication ?Ma foi, Rudi avait la grosse cote à ses débuts, il a fait de très bonnes choses et a été une excellente promo pour les autres collègues. Maintenant, je ne vais pas vous l’apprendre, l’aspect tactique est très important ici. C’est pour cela que les quelques coachs étrangers sont souvent des anciens joueurs ayant évolué en Italie.
Le Genoa, on connaît aujourd’hui, mais à l’époque, ça n’évoquait pas grand-chose, non ?C’est vrai, ça ne me parlait pas trop. Je savais juste que c’était le plus vieux club d’Italie. Je l’ai découvert sur le moment même et j’ai été surpris parce que malgré l’absence de résultats depuis des années, l’équipe était encore très suivie par les supporters. J’ai retrouvé la passion du Vélodrome où j’allais voir les matchs. Entrer sur le terrain et voir ce mur rouge et bleu qui chante pendant 95 minutes, c’est fou. D’ailleurs, de temps en temps, j’y retourne.
Depuis que tu as quitté le Genoa, tu n’as pratiquement fait que de la Serie C1, C2 et D, mais ça ne t’a pas empêché de croiser énormément de compatriotes. Lesquels t’ont le plus marqué ?Gaël Genevier, avec qui j’ai joué à la Sangiovannese. C’est un joueur qui aurait pu faire beaucoup mieux au vu de ses qualités techniques et humaines. Je citerais aussi Nassim Mendil que j’ai connu à la Pro Sesto et qui est resté en Italie tout ce temps, il joue maintenant près de Naples d’où vient la famille de sa femme. Un très bon créateur de jeu.
As-tu eu des contacts avec les Français de Serie A ou est-ce qu’ils « snobent » leurs collègues des divisions inférieures ? Ils sont en Serie A et font leur petite vie. Il n’y a rien de méchant hein, mais on a très peu de contacts. Il arrive de nous croiser lors des amicaux estivaux ou les premiers tours de Coupe d’Italie, on discute un peu après la rencontre, mais ça s’arrête là. Quand j’étais à la Pro Sesto, j’ai rencontré par hasard Patrick Vieira qui jouait à l’Inter. Nous étions dans le centre-ville de Milan, il m’a reconnu, car j’avais fait un stage au centre de l’AS Cannes. Idem pour Lilian Thuram lors d’un match de coupe Genoa-Parma, que j’avais fréquenté évidemment à Monaco quelques années plus tôt. Ça m’avait fait super plaisir qu’il se souvienne de moi.
Et hors football, tu as connu beaucoup de Français travaillant en Italie ?Bien sûr, dans les restos, les bars, les magasins, des serveurs ou des vendeurs. Et c’est toujours un bon moment, on parle du pays, de la ville d’où l’on vient. Faut pas croire, mais il y en a pas mal.
Depuis que tu es de l’autre côté des Alpes, quel est le Français qui a le plus « buzzé » ? Pogba en ce moment, c’est vraiment quelque chose, tout le monde en parle, partout. Maintenant, j’ai connu les années Zidane, Trezeguet, Henry même, et c’était aussi quelque chose.
La rivalité France-Italie existe-t-elle vraiment ou c’est juste à sens unique ?Non, elle est bien là. Quand on perd la Coupe du monde 2006, je peux vous assurer qu’ils m’ont fait souffrir (rires). Tous les jours pendant plusieurs mois, on m’a détruit ! C’est bien, ça met du piment, mais ça reste sain, ça ne déborde jamais, il n’y a jamais de « Eh toi, le Français machin… »
Tu as traversé 17 années de foot italien constituées de scandales, c’est si « sale » que ça ? Il faut faire une distinction, des rencontres de fin de championnat où deux équipes peuvent se sauver en faisait match nul, il y en a, ça n’a rien d’anormal et ce n’est pas seulement inhérent à l’Italie. Maintenant, le calcioscommesse, ça n’arrête pas depuis des années et ce n’est pas près de s’arrêter. Depuis l’an passé, on peut également parier sur des matchs de Serie D où truquer les rencontres est encore plus simple. Ça fait 100 matchs de plus par semaine à contrôler, et c’est clairement impossible.
En revanche, qu’y a-t-il de plus beau dans le Calcio ?La ferveur dans les stades, j’ai joué au San Paolo de Naples en Serie C devant 60 000 personnes ! L’an dernier à Sestri Levante, on est passés de 40 spectateurs à 500 pour la finale play-off. Idem à Gubbio où je gagne deux championnats de C2 et C1, on a rempli le stade de 3000 places, alors que les spectateurs étaient dix fois moins au départ !
Enfin, tu n’as jamais évolué en Serie A, tu étais trop juste ?En juin 2004, tout était prêt pour signer à Lecce, mais je me pète le genou un jour avant la signature… Cela a été un gros coup dur, je suis tombé en dépression, je pensais même arrêter le foot, mais ma belle-famille m’a soutenu et m’a convaincu de continuer. Néanmoins, le train était passé. Beaucoup d’anciens entraîneurs ou coéquipiers me disent que j’avais les qualités et la mentalité pour arriver parmi l’élite. C’est à la fois une chose qui me fait plaisir, mais qui me met également le bourdon. Si j’avais mieux bossé après mon retour de blessure, j’aurais peut-être pu avoir encore ma chance. En fait, je n’aurais jamais dû accepter le prêt à Venise pour parfaire ma remise en forme, car le staff médical n’a pas bien fait son taf. C’est un choix de carrière que je ne referais pas. J’ai bien entendu continué à jouer, mais peut-être qu’inconsciemment, j’avais fait une croix sur la Serie A.
L’Inter s’impose d’une courte tête face au GenoaPropos recueillis par Valentin Pauluzzi