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Révolution arabe en Liga
L'Espagne a donné sa voix au Qatar pour que le pays des pétrodollars puisse organiser sa fameuse Coupe du Monde sous 45 degrés à l'ombre. Étonnant ? Pas vraiment. Depuis quelques mois le football espagnol joue des courbettes pour éviter la crise en draguant des cheikhs milliardaires. Six cent ans après leur départ des terres espagnoles, les Arabes reviennent en force grâce au football. Focus.
Malgré son héritage mauresque, ses enclaves de Melilla et Ceuta, et les quatorze
kilomètres qui la séparent du Maghreb, l’Espagne a toujours entretenu des rapports ambigus avec le monde arabe. Quelque part entre la méfiance etl’incompréhension, ‘Moros’ et Espagnols ont passé des dizaines d’années (voire
des siècles) à s’éviter politiquement, socialement et culturellement. Le 11 mars2004, cette liaison dangereuse a bien failli dériver en guerre sainte après les
attentats perpétrés par Al-Qaeda contre la station madrilène d’Atocha. Lescentaines de victimes de ce 11 Septembre ibérique avaient alors indigné tout un
pays et accentué les réflexes racistes et islamophobes d’un autre âge. Celaaurait pu être pire si Aznar, le Premier ministre de l’époque, n’avait pas mis
l’attentat sur le dos de l’ETA histoire de justifier sa guerre contre lesterroristes de l’intérieur. Le mensonge du moustachu, fan du Real -qui s’était
illustré deux ans plus tôt en envoyant une flotte entière pour contrer lesenvies de souveraineté du Maroc sur l’ile Leila- coûta très cher à la droite
espagnole et permit à José Luis Zapatero d’être élu quelques mois plus tardcomme Premier ministre d’un pays en état de choc. Le chef de la gauche
espagnole, socio du Barça, a passé ses deux mandats à adresser des gestessymboliques au monde arabe (retrait des troupes d’Irak, légalisation des 600.000 immigrés sans papiers, rapprochement avec la Ligue Arabe…etc…). Frappé durement par la crise économique, Zapatero n’a plus d’autre choix que de se tourner vers les pétrodollars des victimes de la Reconquista comme le prouve son récent voyage au Qatar. Une ironie du sort à laquelle la Liga ne fait pas exception. Le monde arabe a mis seulement quelques mois pour devenir le partenaire économique principal de la Liga. Comme d’habitude, question argent, c’est le Real Madrid qui a ouvert le bal en signant fin 2009, un partenariat de 100 millions d’euros pour quatre ans avec Saudi Telecom Company, le Vodafone du Golfe.
Quelques mois plus tôt, la maison blanche avait déjà envoyé un signe fort en enrôlant Karim Benzema. Si Florentino Perez aime autant l’attaquant des Bleus c’est surtout parce qu’il lui permet de toucher un peu plus le marché oriental, comme Zinedine Zidane en son temps. Pour rappel, la sono du stade avait passé le tube “Aicha” de Cheb Khaled lors de la présentation de l’ancien Lyonnais au Santiago Bernabeu. Un peu trop caricatural pour que ce soit juste une coïncidence… Plus récemment c’est le Barça, qui a dit au revoir à son maillot centenaire et vierge de publicité pour dire oui aux 165 millions d’euros proposés par la Qatar
Fundation. Un record polémique puisque cette fondation qatari est présidée parl’Egyptien Yusuf Al Qaradawi, un malade mental qui juge nécessaire de « tuer
toutes les femmes juives enceintes parce qu’elles sont les vraies ennemies » .Prends ça l’Unicef… Malgré la visite de l’ambassadeur israélien, Raphael Scultz
au siège du club blaugrana, Sandro Rosell, le président du club -ancien grosbonnet de Nike- a confirmé que le partenariat serait maintenu. Ce n’est pas la
première fois que les Culés entretiennent des relations sulfureuses avec lemonde arabe. En 2003, Al- Saadi Khadafi, le fils du dictateur bédouin, avait
déboursé 300.000 euros pour que son club d’Al-Ittihad (dont il était l’attaquant‘vedette’) se prenne une branlée par des remplaçants catalans. Vexé de l’accord
signé par l’éternel ennemi avec la Qatar Fundation, Florentino Perez essayeaujourd’hui d’attirer à son tour des pétrodollars dans les caisses de son club.
C’est dans ce but précis qu’il s’est rendu récemment en Arabie Saoudite et auQatar pour y rencontrer quelques cheikhs en mal de protagonisme médiatique.
Outre une tournée estivale juteuse dans le Golfe Persique, le Real Madrid asurtout reçu une proposition ferme et concrète de la part du cheikh Ahmed Bin
Saeed Al Maktoum, président du groupe Emirates. Ce dernier a en effet offert 200 millions de dollars pour rebaptiser le stade madrilène “Emirates SantiagoBernabeu” à partir de 2013. Le milliardaire qatari aurait également proposé à
son homologue espagnol la construction d’un centre commercial et d’un hôtel aux alentours de l’enceinte ainsi que la possibilité de couvrir le toit du stade àses frais. Florentino Perez est intéressé. Les socios qui en ont fait leur
président beaucoup moins…
Au contraire de la Premier League, la Liga a toujours été réfractaire aux
investisseurs étrangers. Pour l’heure, seul le mégalo ukrainien DimitryPitermann a réussi à présider deux clubs espagnols : le Racing Santander et le
Deportivo Alaves. Dans les deux cas, les échecs ont été aussi retentissants querocambolesques. Le conservatisme espagnol et l’hégémonie du Barça et du Real sur
le reste des clubs de la Liga avait jusqu’à présent rendu le championnat peuattractif pour les investisseurs étrangers. Mais avec plus de 5000 millions d’euros de dette globale, les clubs espagnols sont bien obligés de se vendre au plus
offrant pour éviter la banqueroute ou pire, la disparition. Osasuna, l’AthtleticBilbao, le Barça et le Real Madrid ne sont pas dans ce cas-là. Ces quatre
institutions, dont les socios constituent les véritables propriétaires, ontrefusé en 1992 de se constituer en société anonyme. Les escouades qui ont
changé de statut juridique sont pour la plupart au bord du dépôt de bilan.Valence (500 millions de dettes), l’Atletico (300 millions) ou le Depor (350
millions) sont ainsi les pires exemples de ce que le foot-business a puengendrer lors de ces dernières années. Aujourd’hui, le rachat de ces trois
clubs historiques par des fonds d’investissements qataris parait bien compliquécar la loi espagnole oblige l’acheteur à éponger les dettes de la société pour
en devenir propriétaire. Malgré leur fortune, les cheikhs ne sont pas fous.C’est d’ailleurs pour cela que leurs intérêts se portent aujourd’hui vers des
clubs plus modestes mais aux taux de rentabilité plus importants.
L’arrivée du neveu de l’Emir du Qatar, Abdullah Nasser Al Thani, à Malaga estainsi la première incursion arabe en Liga. Le milliardaire est arrivé en
Andalousie avec la certitude de pouvoir convertir son nouveau jouet en une place forte d’avenir du football espagnol et européen. « Cette crise économique est le
meilleur moment pour investir » a-t-il déclaré dans l’une de ses raresapparitions dans les médias. Après avoir épongé la dette de 14 millions d’euros
et injecté dans les caisses 22 millions d’euros pour les dépenses courantes, AlThani a sorti le chéquier pour faire plaisirs au socios andalous. Cette année,
Malaga est derrière le Real et le Barça le club qui a le plus investi dans desnouveaux joueurs. Un chiffre qui en dit long sur le nouveau riche de la Liga
mais surtout sur les déboires financiers du reste des équipes de premièredivision. En enrôlant l’entraineur Manuel Pellegrini, le Wenger latino, Al
Thani a démontré qu’il avait surtout une vision à moyen et long terme pourle club andalou, – « Nous serons en Ligue des Champions dans cinq ans. C’est
garanti ! » D’autant qu’un projet d’un stade flambant neuf de 55.000 places estactuellement dans les tuyaux. Pour l’heure, Malaga a déjà officialisé l’arrivée
de la petite promesse argentine Diego Buenonatte pour la saison prochaine etdevrait mettre le paquet cet été pour signer du joueur de renom. Selon certaines
rumeurs, Gago et Malouda figureraient ainsi les prochaines cibles des Blanquiazules. Impensable il y a encore quelques mois.
Al Thani n’est plus le seul milliardaire de la Liga depuis le rachat du Racing
Santander par l’Indien Ali Syed. L’homme d’affaires de 36 ans, dont la société estbasée à Bahrein, avait d’abord proposé 335 millions d’euros aux dirigeants des
Blackburns Rovers, avant finalement de venir jouer ses mégalos sur la côteCantabre. Après avoir payé les 15 millions de dette des Rojiblancos et racheté
le crédit de 7 millions d’euros que le club avait contracté auprès desorganismes bancaires et de la région de Cantabrie, Ali Syed a fait un virement
de 50 millions d’euros sur le compte des Verdiblancos pour les affairescourantes. Une autre enveloppe de 52 millions d’euros a d’ores et déjà été prévue
pour briller cet été sur le marché des transferts. Au contraire d’Al Thani, Syedne s’est pas fait discret depuis son arrivée en Espagne. Chaque week-end
l’Indien dynamite le protocole et exaspère les présidents des autres clubs parses remarques et ses effusions de joie un peu trop démonstratives. Il faut dire
qu’il a de quoi être heureux. En se mettant les socios dans lapoche grâce au retour de l’entraineur Marcelino et avec la signature du Mexicain
Giovani Dos Santos, Ali Syed a redonné un peu de glamour à un club dont tout le monde se foutait éperdument jusque-là. Mieux, depuis la prise de fonction duslumdog millionnaire, les Verdiblancos n’ont plus connu la défaite. Un rôle de
talisman qu’envie aujourd’hui Al Thani, puisque Malaga est actuellementrelégable. Comme quoi l’argent ne fait pas tout.
Le rachat des clubs espagnols par des cheiks fortunés n’est pas près des’arrêter. Le Real Saragosse et le Real Betis seront selon toute
vraisemblance les prochains à tomber dans la nébuleuse des pétrodollars. LaLiga pourrait surtout être définitivement bouleversée si l’émir Hamad Bin Khalifa
Al Thani, l’oncle du propriétaire andalou, décide finalement de racheter 40% desactions de la Sexta, détenue actuellement par le groupe mexicain Televisa. La
Sexta, chaine espagnole dont l’actionnaire majoritaire est Mediapro, estaujourd’hui la détentrice des droits de transmission de la Liga et des autres
championnats européens pour le territoire espagnol. La mainmise éventuelle desQataris sur les fameux droits télé du football espagnol pourrait
certainement redistribuer les cartes d’un championnat qui manque aujourd’huicruellement d’intérêt. La révolution arabe n’a pas fini de faire parler
d’elle.
Javier Prieto Santos
Par