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Rassambek Akhmatov : « Drogba m’a conseillé de rentrer en Europe »
Il est passé d'un club de DH alsacienne à Miami, s'est fait recruter sur LinkedIn, a mis un tampon à Drogba, puis s'est pris un tampon par Drogba et joue aujourd'hui à Comuna Recea, en deuxième division roumaine. Rencontre avec Rassambek Akhmatov, milieu franco-russe de 24 ans qui, avant de vivre tout ça, a dû fuir la Tchétchénie avec ses parents.
Tu joues aujourd’hui au Comuna Recea, en deuxième division roumaine. À quoi ressemble la vie là-bas ? Recea, c’est un tout petit village de Roumanie. Moi, j’habite à Baia Mare, la grosse ville juste à côté. L’impact de la Covid est moins important qu’en France. On n’a eu que deux semaines de confinement en novembre où on pouvait quand même jouer, et c’est tout ! Tout est ouvert là-bas, il faut juste porter des masques dans les magasins. Je n’ai connu la Roumanie que sous la Covid, mais on sent quand même que c’est un pays qui vit football, et depuis longtemps. En novembre, on a par exemple reçu une équipe de Bucarest. Leurs supporters ont fait sept heures de bus, il y avait tout un kop, tous torse nu dans le froid avec des fumigènes. Il y avait une centaine de supporters cagoulés derrière le but qui ont foutu le bordel tout le match, même s’ils n’étaient pas censés être là à cause de la Covid. À 100, ils ont fait plus de bruit que les stades de 23 000 places que j’ai connus aux États-Unis. Ils sont fous ici !
Tu es né en 1996 en Tchétchénie, et tu quittes ton pays en 2003 à l’âge de sept ans pour la France à cause de la guerre. Quels souvenirs gardes-tu de cette période ? J’ai assez peu de souvenirs de là-bas. Mon père était chauffeur routier, et ma maman était mère au foyer. Je me souviens surtout du parcours Tchétchénie-France qui a été vraiment très compliqué. Avec mes parents et ma sœur, on faisait partie des premières familles à arriver en France. Maintenant, les familles obtiennent un visa, elles arrivent en avion. Nous, on a fait le trajet à pied dans la forêt, sous la pluie, on a pris plusieurs trains. On était sans portable, sans rien, on a été séparés de mon oncle et ma tante en Pologne, c’était très compliqué. Ensuite, en France, on a habité à Montauban, Châteauroux et enfin à Haguenau en Alsace. Là-bas, le quartier où j’habitais était en rond avec un city-stade en plein milieu. Aller au city-stade était le seul truc à faire. En Tchétchénie, je faisais de la lutte, je ne connaissais pas le foot ! C’est à Haguenau que je l’ai découvert, sur ce terrain-là.
En Alsace, tu as évolué jusqu’à la Division d’honneur avec l’équipe d’Obernai, et là c’est le grand saut. Raconte-nous comment on passe d’une petite ville d’Alsace à la Floride et Miami ? Un jour, un pote m’a identifié sur un post Facebook de la page « OKLM » qui annonçait une détection de Miami en D3 américaine, à Paris. Moi, je n’avais aucun contact, c’était donc ça ou rester en Alsace ! J’y suis allé, on était près de 800 joueurs. À l’issue des deux jours de test, nous étions huit joueurs à partir à Miami pour deux semaines d’essai, et ça a marché ! L’intégration a été facile. Je connaissais des Français qui avaient fait la détection avec moi, et tout le monde parlait français sur place, car c’est un club géré par des anciens pros français. Miami, c’est l’Amérique ! Tout est différent, la mentalité est géniale, et il fait tout le temps beau ! En revanche, en tant qu’étranger dans un club semi-professionnel, on n’avait pas le droit d’avoir de contrat, on avait une licence amateur. Le club ne pouvait pas nous faire de virement, on était payés en liquide, selon ce qu’on avait réussi à négocier.
Et de Miami, tu te retrouves à Kansas City, en deuxième division. Comment arrives-tu là-bas ? Ma deuxième saison à Miami a été un peu décevante. L’équipe était dans le bas de tableau, mais je sentais que je sortais du lot. On m’avait parlé de LinkedIn, alors j’ai fait une petite vidéo avec mes meilleurs moments en match et je l’ai envoyée à tous les coachs que je connaissais aux États-Unis. Personne ne m’a répondu, j’ai insisté, insisté et insisté, et finalement un coach de Kansas City m’a répondu. Ce gars qui le harcelait par message, ça l’intriguait ! Ma vidéo lui a plu, il m’a pris à l’essai, et au bout de dix jours, j’ai signé mon contrat. Kansas City, c’est différent ! Cette fois, je suis le seul Français, et le niveau sur le terrain n’est pas le même qu’à Miami. À ce moment-là (en 2018), Kansas City est juste en dessous de la MLS, l’équivalent de la Ligue 2 en France.
Ton passage à Kansas City est marqué par un duel avec Didier Drogba…La première saison, je me suis imposé comme titulaire dans l’équipe 2 de Kansas City. On a accroché les play-offs et en demi-finales de Conférence, on jouait contre l’équipe de Didier Drogba (les Phoenix Rising, NDLR). Drogba ? Il est vraiment imposant, c’est une armoire, il est encore plus impressionnant qu’à la télé. Sur le coup, je n’ai pas pensé à sa carrière, je me disais que c’était un adversaire comme un autre. J’étais là pour gagner cette demi-finale de Conférence ! Au premier contact, je lui ai mis un tampon gratuitement, alors qu’on est au milieu du terrain et qu’il n’y avait aucun danger. Il a relevé la tête, a noté mon numéro de maillot. Sur l’action d’après, je l’ai éliminé d’un crochet et lui m’a marché sur le tendon d’Achille. Il a pris jaune, mais si ce n’est pas Drogba, c’est peut-être rouge ! À la fin du match, il est venu me voir et m’a dit : « Moi, tu me fais ça, je suis obligé de te rendre la pareille ! » On a discuté un peu, il a été très sympa et de très bon conseil, il m’a dit de ne pas rester aux États-Unis et de rentrer en Europe si je voulais faire une belle carrière, ce que j’ai fait un an plus tard !
Pourquoi avoir choisi la Roumanie ? Quand je suis rentré en Europe début 2020, on m’a proposé de signer dans un club biélorusse, mais ils m’offraient vraiment des cacahuètes, alors j’ai refusé. Quelques semaines plus tard, tous les championnats se sont arrêtés sauf la Biélorussie, j’étais passé à côté du seul championnat où j’aurais pu me montrer…
Pas mal de clubs en Europe ont du mal financièrement à cause de la Covid. C’est le cas des clubs roumains ? Ici, il y a très souvent des retards de salaire. C’est le cas dans tous les clubs en Roumanie, même les plus gros clubs de D1. Ils te payent toujours, car tu es sous contrat, mais c’est rarement à l’heure prévue. Et de mon point de vue, la Covid n’excuse pas tout. Les présidents n’ont pas de problème d’argent, ce n’est pas normal d’avoir toute une équipe à qui il manque deux mois de salaires. Moi qui n’ai connu que les États-Unis, ça n’a rien à voir. Tu as ton salaire à l’heure. Et si ce n’est pas le cas, les joueurs se mettent en grève ! En Roumanie, les retards de salaires font partie du quotidien, les joueurs l’acceptent. Ici, il faut que j’aille dans le bureau du président pour réclamer mon salaire. Il faut leur mettre la pression, c’est la seule solution.
Tu te vois où l’année prochaine ? J’aime le style espagnol, et mon club de rêve, c’est le Real Madrid, donc j’aimerais bien jouer en D2 espagnole, mais c’est peut-être viser haut en venant de Roumanie. Des clubs de D1 roumaine s’intéressent à moi, on verra. Je sais aussi que la Turquie s’intéresse beaucoup aux championnats roumains.
Un retour au pays, c’est quelque chose qui te tente ? C’est un objectif de vie de retrouver mes racines, mais jouer en Russie ne m’attire pas. Le froid, les longs voyages en avion, ça ne me séduit vraiment pas du tout. Mais la Tchétchénie reste toujours dans mon cœur, je n’oublie pas d’où je viens. Si j’en suis là aujourd’hui, c’est grâce à mes parents, ils ont tout laissé pour me permettre d’avoir un avenir plus certain, et aujourd’hui je les en remercie. C’est mon histoire qui fait que je suis aussi déterminé, que j’ai tout donné à chaque étape de ma carrière. Il faut se dire que les choses ne tombent pas du ciel, il faut aller les chercher !
Propos recueillis par Maurice de Rambuteau