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Quel est l’intérêt des matchs amicaux entre les équipes féminines et des jeunes hommes ?

Par Thomas Morlec
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À quelques jours de son Euro, la Suisse a fait parler d’elle après une défaite de la sélection contre les U15 masculins de Lucerne (7-1). Derrière les moqueries et le sexisme permanent face à ce genre de nouvelles, ces amicaux assez fréquents entre des équipes féminines et des jeunes hommes ont pourtant des bienfaits et se présentent comme des expériences très utiles.

Quel est l’intérêt des matchs amicaux entre les équipes féminines et des jeunes hommes ?

Tout était pourtant censé rester secret. En pleine préparation, l’équipe féminine de la Suisse affrontait jeudi 19 juin les U15 masculins du FC Lucerne, à Nottwil. Le deal était simple : le score de la rencontre ne devait pas être divulgué. Problème, à la veille de l’ultime test de la Nati féminine avant l’Euro face à la Tchéquie, le résultat fuite sur les réseaux sociaux à cause d’un jeune joueur lucernois, l’équipe hôte du championnat d’Europe à venir a perdu 7 à 1. Sans que l’on connaisse vraiment l’équipe alignée, le nombre de changements ou le contexte global de la rencontre, la sélectionneuse Pia Sundhage et ses joueuses subissent les moqueries malheureusement habituelles et sont victimes de sexisme. Une question se pose, alors, face à ces matchs entre des équipes féminines seniors et des équipes masculines de jeunes, qui se présentent depuis très longtemps comme des occasions de déverser de la haine envers le football féminin : à quoi servent vraiment ces confrontations ?

Capacités athlétiques, petit pont et bad buzz

Si sur le papier, ce type de match semble étonnant, pour Camille Abily, entraîneure adjointe de Chelsea, le bénéfice pour les joueuses est indéniable. « Dès que l’aspect athlétique rentre en jeu, c’est difficile, mais à partir du moment où les garçons sont assez intelligents pour comprendre que face à nous, il ne faut pas jouer physique, c’est très intéressant parce que cela permet à nos joueuses de jouer et de voir plus vite, pointe l’ancienne joueuse de l’Olympique lyonnais et de l’équipe de France féminine. À chaque fois que les gars sont venus s’entraîner avec nous, ils étaient ravis, parce que c’est une approche différente. Notamment parce qu’à défaut d’avoir l’intensité et le physique, ils pouvaient travailler l’aspect tactique et technique, qui est l’une des grandes forces du football féminin. »

À partir du moment où les garçons sont assez intelligents pour comprendre que face à nous, il ne faut pas jouer physique, c’est très intéressant parce que cela permet à nos joueuses de jouer et de voir plus vite.

Camille Abily

Dans ces confrontations, l’état d’esprit des garçons est plus que positif, selon l’internationale française Charlotte Lorgeré. Mis à part quand l’ego est touché. « Quand j’étais pro, je n’ai quasiment jamais eu de soucis quand j’affrontais des garçons. La seule fois, c’était quand Alexandra Atamaniuk avait mis un petit pont à un jeune. Le gars avait balancé le ballon sur elle, et après, tout le monde courait après le petit, se marre la chroniqueuse de L’Équipe de Greg. Et le match avait été interrompu. Mais c’est la seule fois. Les amateurs sont toujours très contents de nous rencontrer. Il y avait sûrement du chambrage entre eux, mais on n’a jamais été là pour rigoler, donc c’était toujours enrichissant parce qu’on devait élever notre niveau de jeu. »

La bonne humeur est de mise, et l’intérêt sportif est tout trouvé. Le problème, c’est que certains profitent de certaines défaites féminines pour attaquer directement les joueuses. Une pratique courante qui exaspère Abily : « Ça me gêne que l’on mette en avant ces scores, c’est nul ! Souvent, c’est relayé en plus par des personnes qui ne traitent jamais le football féminin. C’est un buzz. Quel est l’intérêt ? Je ne vois pas pourquoi certains médias mettent ça en avant, après, depuis que l’on est petite c’est ça, on est blindés, mais tout le monde n’a pas ce caractère-là. »

Faire des matchs amicaux contre des garçons est monnaie courante en Première Ligue, notamment au FC Nantes. Chaque saison, l’entraîneur principal Nicolas Chabot fait entre trois et quatre oppositions entre les jeunes du centre de formation des Canaris et ses protégées. Pourtant, mis à part les principaux concernés, personne ne connaît le résultat de ces rencontres. « Nous, que l’on perde ou que l’on gagne face aux garçons, on ne communique jamais sur ces rencontres, notamment à cause de ce style de réaction. Parce que tu sais que si tu perds lourdement, tu peux avoir cette image-là, alors que ce sont des matchs hyper-intéressants, pose l’ancien responsable des U13 du FCN. Si demain un article du type sort, ça va me faire chier. Ce genre de bad buzz va à contresens du développement de la mixité. Même si des équipes mesurent le bénéfice de ces rencontres, elles préféreront jouer des équipes féminines plus faibles, en mettre 7 et tout le monde sera content. » Déjà par le passé, l’Olympique lyonnais féminine et la sélection des États-Unis avaient été ciblés par ces commentaires dégradants.

Derrière les moqueries, une expérience enrichissante

Les équipes féminines optent quasiment exclusivement pour des catégories de jeunes parce que le gap physique avec leurs homologues masculins est très conséquent. C’est d’ailleurs ce que tenait à rappeler Ramona Bachmann, attaquante de la sélection helvète : « Oui, parfois les équipes masculines U15 battent les meilleures équipes féminines. Pourquoi ? La génétique. Les garçons développent naturellement plus de masse musculaire, de vitesse et de force pendant la puberté grâce à la testostérone. C’est une question de biologie, pas de niveau de compétence. » Une explication scientifique implacable. Ce n’est pas le technicien nantais qui dira le contraire : « Aujourd’hui, il y a des jeunes garçons à 16-17 ans, ils s’entraînent ou jouent même avec des équipes de Ligue 1. Cela veut dire qu’athlétiquement, ils ont le niveau d’affronter des mecs de 25-30 ans. La vérité, elle est là. »

L’un des nœuds du problème est que le football est le seul sport (ou presque) où l’on compare la pratique masculine à celle féminine. De plus, l’amalgame qui est souvent fait par les suiveurs est de dire que le plus haut niveau chez les filles correspond aux U15 chez les garçons, alors que la maturité physique rend les deux incomparables. Malgré ces différences, la vaste palette de jeu du football masculin permet aux joueuses de travailler et donc de développer des aptitudes bien spécifiques. Par exemple, dans le championnat de France, il y a encore quelques années, mise à part Wendie Renard, il était très rare de voir une transversale de 30 mètres.

Il y a des gens qui seront toujours contre le foot féminin alors qu’ils ne viennent pas au stade et ne regardent pas les matchs.

Maxime di Liberto, entraîneur de l’équipe féminine du HAC

Passé par Montpellier et actuellement au Havre, l’entraîneur Maxime Di Liberto a constaté les côtés positifs de ces rencontres pour ses équipes. « Le garçon va venir plus vite cadrer la porteuse de balle, donc elle va devoir prendre de l’information bien plus rapidement, décortique le technicien du HAC. Et puis de l’autre côté, quand on n’a pas le ballon, étant donné qu’une équipe garçon va être souvent techniquement, voire footballistiquement au-dessus, ça va nous permettre psychologiquement et mentalement de travailler notamment l’aspect défensif sur la notion de bloc, mais aussi l’intelligence de jeu défensif de la joueuse, c’est-à-dire anticiper les bons coups aux bons moments, quelques fois feinter et intercepter le ballon. »

Outre le côté terrain, certaines équipes doivent parfois faire plusieurs centaines de kilomètres pour affronter des formations équivalentes. « Lors d’une de mes saisons au MHSC, les formations les plus proches, c’était Toulouse, voire Marseille. Déjà, c’est 1h30, 2h de route. Donc on faisait aussi beaucoup d’interclubs. Par exemple, on avait joué les U15 ou U16 pour préparer un match face à l’OL, et ça nous avait vachement aidés. On retrouvait quasiment tout ce que Lyon faisait à l’époque », ajoute Di Liberto.

Dans un football où la mixité est de plus en plus encouragée, bien choisir l’adversaire est l’une des clés pour que la confrontation se passe au mieux. Selon les entraîneurs, l’importance est surtout de bien connaître son groupe, notamment à propos de ses ressources physiques et mentales, pour ne pas le mettre en grande difficulté et risquer la crise de confiance. Face à des préjugés tenaces, les acteurs du foot féminin tentent malgré tout de faire front face à la violence et au sexisme ambiants. À force, leurs récurrences agacent : « Combien de fois j’entends : “Si je me rasais et que je mettais une perruque, je pourrais jouer en Première Ligue…” alors que t’es pas une femme en fait », souffle Nicolas Chabot. « Il y a des gens qui seront toujours contre le foot féminin alors qu’ils ne viennent pas au stade et ne regardent pas les matchs, enchaîne Maxime Di Liberto. C’est pas grave, il ne faut pas les considérer. L’important aujourd’hui, c’est qu’il y ait de la bienveillance envers les athlètes. » À bon entendeur.

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Par Thomas Morlec

Tous propos recueillis par TM

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