Pulsatilla: «Buffon fait le salut romain»
Jeune adulte syndicalement pertubée par l'éducation de parents gauchistes et les avaries de la génération Meetic, Pulsatilla sort ces jours-ci son premier livre manifeste, La cellulite, c'est comme la mafia, ça n'existe pas. Dans son ‘bio-roman' qui papillonne à tous les étages de la société italienne, la pouilleuse des Pouilles ne perd jamais de vue l'essentiel : il faut ricaner de tout et surtout des footballeurs italiens. C'est Raymond qui va être content...
Si quelqu’un veut se faire éditer aujourd’hui, il lui suffit donc de tenir un blog… La majeure partie des blogueurs aspire de toute façon à publier un livre mais ce n’était pas mon cas. Je travaillais dans la pub et je m’ennuyais ferme. Le blog constitue le moyen de l’époque. J’ai d’abord répondu non à une proposition d’éditeur : rédiger des petites choses au quotidien ne fait pas de toi un écrivain. Et puis j’ai été virée de mon agence publicitaire, probablement parce que j’écrivais. Je souhaitais alors partir au Vietnam, j’avais tout préparé : mes valises, mes vaccins.
Avant le départ, un autre éditeur m’a demandé de rédiger une liste d’ouvrages que je pourrais écrire, de manière totalement fantasmatique. J’ai fait une liste, des dizaines et des dizaines de titres : un livre de recherche, un bouquin sur Internet, et, parmi ces titres, il y avait un ouvrage qui recensait mes fiancés les plus improbables. Il est tombé raide dingue de cette idée-là et m’a dit : « Tu ne pars plus, tu restes ici et t’écris ce bouquin » . Alors j’ai commencé à comptabiliser mes fiancés “incongrus”.
Tu te définis dans le livre comme rétive au football, « a-ballonique » selon toi. Il n’est pas possible d’échapper au football quand on est italienne ? Non, et je vais te dire pourquoi. Dans un chapitre du livre, j’expliquais que j’en avais rien à carrer du football et pourquoi. Mon éditeur m’a alors enseveli sous les récréminations (sic) : « Tu ne peux pas raconter quelque chose comme ça » (!!). Ce chapitre en question, c’est celui que j’ai réécrit le plus de fois. Chaque fois que l’éditeur le lisait, il me disait : « Ce n’est pas possible, tous les critiques littéraires aiment le foot, tu ne peux pas aller dans la direction opposée de manière aussi brutale » . A la fin, j’ai écrit un chapitre dans lequel je dis que je déteste le foot, mais que bon, des fois…bla, bla, bla (sourire entendu).
Un livre contre le foot pouvait aussi être intéressant pourtant… C’est vrai. Mais le bouquin est sorti le jour de l’ouverture du Mondial 2006. Il y avait trop de pressions autour du football, et ce n’était vraiment pas le moment de dire du mal du football.
Beaucoup de monde peut néanmoins être sensible à ce type de discours anti-football. Je sais. Mais l’éditeur a un sens assez développé du marketing (rire sardonique).
C’était un problème ? Oui, j’ai d’ailleurs changé d’éditeur (rires).
Tu te sens écrivaine ? Se définir écrivain est très arrogant, à moins d’avoir publié trente livres. J’écris, je publie mais j’en suis encore très loin.
Dans le livre, tu parles de la dimension érotique de StefanoTacconi, l’ancien portier de la Juventus… (elle coupe, narquoise, et prend une voix nasillarde) Je crois qu’il n’est pas possible d’écouter une interview de footballeurs : « Nous sommes une grande équipe, la décision est litigieuse, la rencontre a été rude mais on l’a fait, je me sens prêt, etc etc etc. » . Je crois que la première zone érogène d’une femme, c’est le cerveau. Alors un footballeur n’a aucune chance avec moi…et surtout avec mon cerveau.
Qu’est-ce que tu trouvais à Tacconi de particulièrement sexy, sa moustache ? J’avais 7 ans et il faisait la pub pour les Merendini, des confiseries italiennes. Il était grand, musclé, les cheveux un peu longs. Mais c’était surtout la barbe, un peu comme la tienne (sic). Je me suis alors déclarée illico tifosa de la Juve. Mon engagement était évidemment contemplatif. Si Tacconi avait été conseiller fiscal, je serais immédiatement devenue fan des impôts (rire général).
Les footballeurs ont-ils une dimension érotique particulière par rapport aux autres sportifs ? Tu dois savoir qu’en Italie, il n’existe pas d’autres sports que le football (sic).
T’as suivi les histoires entre la Manaudou, Luca Marin et la Pellegrini ? J’ai acheté ma première télé il y a deux semaines, donc je ne sais rien. Je suis déconnectée du monde. Je me suis dit que pour le travail que je faisais, je devais savoir qui était Big Brother, je devais être au courant de Sarkozy et Bruni. Je devais savoir certaines choses. Pas tout, mais certaines choses.
Plus improbable, tu causes même du mythique Zeman, le coach tchèque……Oui, l’entraîneur de Foggia, l’équipe de l’extrême sud. Avant que Zeman débarque, le Foggia était une équipe complètement perdue qui errait (sic) dans la Serie B. C’était incroyable qu’on se retrouve à jouer contre le Milan. Même si je me rappelle qu’une fois, on avait ramassé 8-0 contre les Lombards. La belle époque n’a pas duré longtemps… Aujourd’hui, le football n’est qu’une histoire de pouvoir d’achat. Soutenir une équipe de foot, c’est comme supporter une banque !!! Un genre de travail. Ceux du Nord pensent encore que ceux du Sud sont des étrangers…et ils ont raison (sic). Parce qu’on a une conception de la vie complètement différente, idem pour la conception du travail : c’est la différence entre travailler pour vivre et vivre pour travailler. Au Sud on travaille pour vivre, et le moins possible. A Milan et pour les « super-nordiques » en général, le travail est fondamental et c’est autour de lui que tournent les autres activités.
Dans un entretien à So Foot (cf. n° 48), Antonio Pennacchi déclarait que la violence dans les stades pouvait être comparée à la soupape d’une cocotte minute : si elle n’était pas contenue dans les enceintes sportives, elle exploserait à la face de la société italienne…Cette thèse est absurde…quoiqu’intéressante. On doit quand même balancer cette cocotte-minute, on ne doit pas la laisser bouillir. C’est drôle parce que plus tu mets le couvercle, plus la pression augmente. Pour cela, on devrait décharner le football, le mettre à nu et le reconstruire sur des bases complètement différentes. Je ne sais pas comment mais on devrait s’y atteler.
Dans ton livre, tu invoques aussi Beppe Signori ? Il représente une image décuplée à l’infini sur chaque mur de chaque maison, de chaque bar et de chaque restaurant à Foggia. Rien que pour ça, il mérite toute ma considération (rires).
En 2006, pour qui ont voté les Italiens : pour Prodi ou contre la coalition de Berlusconi ? Contre la droite. Il Cavaliere représentait “le mal”, autant pour la gauche que pour la droite. À la télé, j’ai vu un graphique représentant les préférences politiques de mes concitoyens. Quand la droite était au pouvoir, les gens préféraient les partis de gauche. Plus on s’approchait des élections, plus le taux de popularité des partis de droite augmentait. Au final, ça a donné 50-50 et la gauche a gagné de peu. Une fois celle-ci au pouvoir, les préférences des Italiens se sont tournées vers la droite et la popularité de la Coalition des oliviers a baissé. Les Italiens sont toujours mécontents du gouvernement, quel qu’il soit. Ils vont donc probablement voter pour Berlusconi au prochain scrutin (Ndlr : interview réalisée avant les législatives du 13 et 14 avril) même si j’espère que non.
Bien que championne du monde, la Squadra Azzurra est-elle l’équipe de toute l’Italie ? Les Azzurri réussissent indubitablement à unifier les Italiens, une fois tous les quatre ans. Ce qui est choquant. On ne devrait pas se sentir un seul et même pays à chaque coupe du monde voire à chaque Euro, et encore moins à cause d’une équipe qui joue au ballon. Mais nous sommes en Italie où une balle peut faire office de religion…
En 82, lors du troisième sacre transalpin, on sentait une vraie fierté nationale. En 2006, une partie de la population paraissait ne pas se sentir concernée… Le Moggiopoli a accentué le sentiment de non appartenance au football chez tous ceux qui se sentaient loin du football. Nous n’avons pas non plus mérité cette victoire. La France semblait devoir être sacrée. A la fin du match, je me suis dit : « Bon, on a gagné, c’est cool, on a eu du cul » .
Des gens de la culture sont devenus lyriques à propos du coup de tête de Zidane…Pfff…C’était un moment diabolique et il a été juste un peu couillon sur le coup. Ce fut un immense joueur, mais bon en tant que professionnel, on s’attend à ce qu’il sache contrôler ses pulsions un peu mieux.
Il y a des joueurs qui t’inspirent, dans tous les sens du terme, dans la Squadra Azzurra ? Du désir ? Non, mais j’ai essayé de comprendre ce qu’avait fait, euh, comment il s’appelle celui qui a provoqué Zidane ?
Materazzi. Ah oui, Materazzi. Je trouvais ça assez amusant ce moment-là, c’était fourbe, amusant.
Tu as vu les pubs, pour le moins ambigues, de Dolce & Gabana qui mettent en scène des footballeurs en slips ? Je n’aime pas beaucoup les deux zozos de Dolce et Gabbana depuis que je me suis retrouvée dans la même émission de télé qu’eux. La présentatrice leur a demandé de choisir entre « fascisme et communisme » . Et ils n’ont pas opté pour la seconde assertion. A partir de ce moment là…pfff…. En plus ils sont gays…alors qu’en Italie, les fascistes et l’extrême droite en général ont toujours été implacables dans la répression contre les homosexuels. J’y ai vu un immense contre-sens. Stronzi !!!
Les joueurs de foot aussi sont souvent homophobes… Oui, là où il y a beaucoup de testostérone…
…mais fêtent leur but avec des gestes équivoques…Oui, le gardien de la Squadra notamment, comment s’appelle-t-il déjà ?
Buffon. Oui Buffon. Eh bien lui, il fait le salut romain. Nombreux sont les footballeurs à être philo-fascistes ou philo-nazis.
Testostérone n’est pas obligatoirement synonyme d’homophobie… Oui bien sûr mais, en Italie, le sport est presque toujours associé à la virilité et à ses contingences souvent détestables. Super machos, super costauds, super sportifs…c’est le cliché.
Sur ton blog, il y a une rubrique « les hommes que je me ferais » . Tu pourrais te taper un footeux même si tu ne les aimes pas ?Buffon me plaît beaucoup, mais il faudrait lui ôter sa cervelle.
Tu penses qu’il est bête ? Pas bête au sens “pas intelligent”. Mais bête au sens, justement philo-fasciste, genre kakou-top model.
Et un footballeur étranger ? Je ne sais pas. Quand j’ai vu l’Italie jouer contre la France, je ne pensais pas qu’il y avait autant de joueurs noirs à jouer pour les Bleus. Moi j’adore les hommes noirs, mais je me suis dit « Mince, on joue contre le Cameroun » . Vous avez une culture multiraciale qui est presque unique en Europe et que le reste du continent vous envie même s’il ne l’avoue pas. En Italie c’est pas comme ça, on n’a pas de communauté noire ou autochtone comme la votre.
En Italie, un Noir est forcément étranger ? Ici, certains Noirs travaillent, ils peuvent être médecins ou avocats, …En Italie, la plupart vendent des briquets aux feux rouges. C’est le stéréotype dans l’imaginaire collectif. J’attends le moment historique où les Noirs auront un pouvoir au moins égal à celui des Blancs. Dans les grandes villes du nord de l’Italie, les Noirs restent entre eux et « s’auto-ghettoïsent » . A partir du moment où ils s’intègrent, ils sont les premiers à se désintégrer. Au sens où une fois qu’ils n’ont plus à combattre pour manger, un sentiment de vengeance commence à émerger. C’est ce qu’il se passe aux States. Ce sont eux qui soulignent qu’ils sont différents. Vous, vous avez été un pays colonial, bien plus grand que l’Italie.
Mais il reste encore beaucoup à faire. On est bien d’accord : il reste beaucoup à faire.
Propos recueillis par Ricky la Belle Vie et Lucky Luciano
Chronique
Pulsatilla, La cellulite, c’est comme la mafia, ça n’existe pas, Au Diable Vauvert, 17€, disponible le 2 mai 2008
Fille d’institutrice, femme, boulimique puis anoxerique, italienne, indigente, originaire des Pouilles ( « la banlieue de Tirana » pour quelques Milanais ou Romains avant-gardistes), etc., etc. A la base, Pulsatilla n’avait guère été gâtée par l’existence jusque-là.
A force de s’ennuyer dans son agence de pub, Pulsatilla a fini par mettre des mots sur sa mélancolie et son spleen sur Internet via un blog. Bingo ! Un éditeur romain, prompt à saisir l’air du temps (?!), s’en est alors emparé et La cellulite…est ainsi devenu un phénomène d’édition – comme ils disent dans les foires du même nom.
La bouffe, les hommes et les écrans (télé ou ordi) en constituent la sainte trinité avec comme avenant au bouquin le rapport au corps (cellulite, épilation, hydratation, menstruation).
Libérée désormais des entraves de la publicité, Pulsatilla livre ici un récit de guingois qui scrute sous toutes les strates de la société italienne avec un humour corrosif essentiellement féminin qui n’épargne personne, pas même son auteur.
Presque toujours hilarant, La cellulite pêche surtout par son absence de constance à moyen terme comme si le rire immédiat (de tout, à tout prix) allait tuer l’humour. Comme si l’épithète de « non-roman » chère à Pulsatilla pouvait servir d’oripeau à l’absence de consistance.
RR
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