S’abonner au mag
  • France

Entraîneur amateurs : voie sans issue

Par Adel Bentaha et Hugo Geraldo
7 minutes

Si le football français est devenu une machine à former des joueurs, le constat est largement différent pour ce qui est des entraîneurs. Notamment lorsque ceux-ci n’ont jamais été footballeurs professionnels. Analyse d’un système fermé et complexe.

Entraîneur amateurs : voie sans issue

Les éducateurs et entraîneurs travaillant au niveau amateur connaissent un paradoxe qui fait rire jaune. Celui de vivre la même pression que les professionnels, sans pour autant en avoir les conditions. Faibles salaires ou infrastructures défaillantes, le combat mené par les coachs d’en bas a des allures de shadow boxing. Et pour couronner le tout, le rêve de pouvoir un jour grimper les échelons relève de l’inconcevable. « Actuellement, c’est très compliqué pour un éducateur de vivre de sa passion, car les instances ne font pas en sorte que tu puisses vivre exclusivement de cela, enclenche Anicet Ndomadji, doyen du coaching au Cergy Pontoise FC (95). Il y a évidemment certaines exceptions, permettant à quelques-uns de décrocher un contrat au sein de leur club, mais globalement, c’est peine perdue… »

En France, une moitié des diplômes est réservée d’office aux anciens professionnels : dix diplômés par an, cinq anciens pros, cinq amateurs. Mais c’est la fédération qui choisit ce quota. Au Portugal, par exemple, ils sont plus de dix à le passer chaque année.

Yacine Hamened, ancien responsable de la préformation d’Évian Thonon Gaillard

Car oui, dans ce monde si particulier, il faut choisir. Choisir entre abandonner son pain quotidien, pour entièrement se consacrer à sa formation d’entraîneur agréée par la FFF – étalée sur plusieurs jours -, ou bien faire l’inverse. Une contrainte de temps qui en laisse souvent beaucoup sur le carreau. « Dans mon entourage, beaucoup d’entraîneurs se démoralisent en raison de ces critères », avance Yacine Hamened, ancien responsable de la préformation à Évian Thonon Gaillard et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. À la temporalité s’ajoute le nerf de la guerre : les finances.

Des quotas injustes ?

En effet, pour monter un dossier complet menant au BEPF (le plus haut diplôme, permettant d’entraîner en Ligue 1, Ligue 2 ou National), les coûts de formation atteignent 27 100 euros. Une somme insensée pour un éducateur. Fabien Pujo, parti de Lormont en Régional 4 et aujourd’hui titulaire du BEPF au GOAL FC (N2), déballe : « J’ai eu mon BEPF après 19 ans de carrière ! Et si le GOAL FC, que je remercie, ne m’avait pas aidé financièrement, jamais je n’aurais eu les moyens. J’aurais certainement dû prendre un crédit. » Comprenez donc que les footballeurs professionnels empruntent une voie rapide vers les plus hauts diplômes. « Les coûts de formation démotivent les prétendants, surtout qu’il y a un manque d’informations à ce sujet de la part des pouvoirs publics : il faut connaître les organismes de financement, et c’est souvent à chacun de se débrouiller pour les trouver », ajoute Ndomadji. Pour autant, parvenir à atteindre le BEPF n’est pas non plus synonyme de réussite.

Car la dernière étape, et pas des moindres, exige de se faire une place dans le milieu. « En France, une moitié des diplômes est réservée d’office aux anciens professionnels : dix diplômés par an, cinq anciens pros, cinq amateurs. Mais c’est la fédération qui choisit ce quota. Au Portugal, par exemple, ils sont plus de dix à le passer chaque année, détaille Hamened. Beaucoup de pros décident de passer le diplôme sans réellement vouloir être coach. Ils prennent donc une place pour rien. Pour un amateur, le seul moyen de gagner du temps serait de faire monter son équipe en National. » En mode gated community, la Direction technique nationale (organisme chargé de définir, coordonner et superviser la politique technique du football en France) n’offre donc que très (ou trop) peu d’ouvertures à ceux qui n’ont jamais eu le plaisir de tâter du cuir en Ligue 1. La finalité de ce processus se trouve alors être un entre-soi criant, dans lequel les dirigeants font tourner les postes entre les mêmes têtes.

De minces espoirs de progrès

Partant de ce postulat, peut-on, dès lors, affirmer que les espoirs des coachs amateurs français sont morts et enterrés ? Pas vraiment. Si l’alarmisme est de rigueur, pas question de se la jouer fataliste chez nos intervenants. Parmi les arguments de progrès mis en avant, celui d’un changement de système en profondeur apparaît en premier. Et par changement de système, on parle évidemment de la DTN, indique l’ex d’Évian : « Ces dernières années, on a senti un petit changement de cap. La fédération a pris en compte les critiques, et la nomination de Franck Thivilier comme adjoint à la DTN, alors qu’il est lui-même issu du monde amateur, a été perçue comme un signe de progrès. » Nommé DTN adjoint en 2014, Franck Thivilier était notamment en charge du BEPF. Sous sa houlette ont été formés Zinédine Zidane, Franck Haise ou Willy Sagnol et a également été lancé le centre de recherche de Clairefontaine. De quoi donner du crédit à un cadre technique issu du monde amateur et sortir du carcan d’« intellectuel du football ».

C’est un peu à l’image de notre société, où dès qu’il faut sauver la patrie, on rappelle la vieille garde. Regardez, ils ont carrément nommé François Bayrou comme Premier ministre…

Fabien Pujo, entraîneur du GOAL FC (N2)

Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si, entre 2002 et 2014, 85% des titulaires d’un BEPF étaient d’anciens pros et si depuis 2016, soit durant le mandat de Thivilier, cinq coachs amateurs l’obtiennent chaque année*. Mais comme souvent dans le football français, rien ne dure. Début 2023, Thivilier démissionnait de son poste à la FFF et rejoignait la fédération saoudienne. « Incompréhension totale » chez Fabien Pujo, qui voit en ce départ un nouveau pas en arrière pour les amateurs. Joint par notre rédaction, Franck Thivilier n’a pas souhaité donner suite, invoquant son éloignement avec les prérogatives hexagonales. Pendant ce temps, le reste de l’Europe avance. À l’image du Portugal, où l’instauration des diplômes dans un cursus universitaire a totalement ouvert les vannes. Depuis le début du siècle et l’avènement de José Mourinho, les coachs lusitaniens inondent en effet le marché, poussés par une facilité d’accès à ces différents diplômes. « En permettant de suivre un cursus universitaire, on diviserait pratiquement le coût de formation par deux », analyse Pujo.

Regarder les modèles de l’étranger

Pourtant, Arsène Wenger déclarait que la réussite des Portugais reposait surtout sur leurs réseaux d’agents. La réalité est tout autre. Cette ouverture au monde amateur, l’Allemagne et le Danemark l’expérimentent également depuis un certain temps. Ancien directeur du centre de formation de l’Olympique lyonnais qui a notamment vu passer Pierre Sage, Jean-François Vulliez travaille depuis peu à Horsens, en D2 danoise : « Au Danemark, on n’hésite pas à faire confiance aux jeunes ou à des coachs qui n’ont aucune expérience de joueur pro. Ils ont bien théorisé le métier d’entraîneur en en faisant une discipline à part entière. » Thomas Frank (Brentford) ou Brian Riemer (actuel sélectionneur national) font office d’exemples notables chez les Danois, par leur parcours d’éducateurs parvenus à grimper les échelons. Imaginer le même scénario ici ? Difficile. « Durant mes années passées à Lyon, j’ai pu échanger avec beaucoup d’anciens pros, qui venaient se renseigner en vue de leur diplôme, poursuit Vulliez. Et beaucoup ne parviennent pas à faire la différence entre le métier de joueur et celui d’entraîneur. Ils pensent qu’avoir été un bon joueur fera automatiquement d’eux de bons coachs. C’est en ce sens qu’on devrait donner la chance aux entraîneurs issus du monde amateur, car eux ont fait toute leur formation depuis le début et connaissent le job. »

Mais pour Fabien Pujo, en France, le goût du risque n’est pas apprécié. « C’est un peu à l’image de notre société, où dès qu’il faut sauver la patrie, on rappelle la vieille garde. Regardez, ils ont carrément nommé François Bayrou comme Premier ministre… », compare Pujo. Derrière la boutade, comment ne pas penser au FC Nantes qui, pour tenter de survivre, a récemment fait appel à Raymond Domenech et Antoine Kombouaré, ou à Montpellier, parti chercher Jean-Louis Gasset ? Les jeunes coachs, eux, tournent en rond en N1 ou N2, en caressant le mince espoir de grimper. « Depuis de nombreuses saisons, tout le monde parle de Karim Mokeddem comme d’un excellent entraîneur, et c’est vrai. Mais cela fait dix ans qu’il est en National. Quelle analyse faites-vous de cela ? », conclut Yacine Hamened. Le triste constat d’un football français parvenu à devenir un modèle de formation pour les joueurs et qui doit désormais franchir le cap de l’autre côté de la ligne.

Dans cet article :
Le mirage Paul Pogba
Dans cet article :

Par Adel Bentaha et Hugo Geraldo

Tous propos recueillis par AB et HG.
*D’après l’étudeEntraîneur de football professionnel : itinéraire d’un joueur gâté ?, signée Jean Bréhon, Hugo Juskowiak et Loïc Sallé.

À lire aussi
Logo de l'équipe Dunkerque
Ewen Jaouen, comme un grand
  • Coupe de France
  • 8es
  • Lille-Dunkerque (1-1, 4 TAB 5)
Ewen Jaouen, comme un grand

Ewen Jaouen, comme un grand

Ewen Jaouen, comme un grand
Articles en tendances
32
Revivez Marseille-Lyon (3-2)
  • Ligue 1
  • J20
  • Marseille-Lyon
Revivez Marseille-Lyon (3-2)

Revivez Marseille-Lyon (3-2)

Revivez Marseille-Lyon (3-2)
25
Revivez Brest-PSG (2-5)
  • Ligue 1
  • J20
  • Brest-PSG
Revivez Brest-PSG (2-5)

Revivez Brest-PSG (2-5)

Revivez Brest-PSG (2-5)

Votre avis sur cet article

Les avis de nos lecteurs:

02
Revivez Le Mans-PSG  (0-2)
Revivez Le Mans-PSG (0-2)

Revivez Le Mans-PSG (0-2)

Revivez Le Mans-PSG (0-2)

Nos partenaires

  • Vietnam: le label d'H-BURNS, Phararon de Winter, 51 Black Super, Kakkmaddafakka...
  • #Trashtalk: les vrais coulisses de la NBA.
  • Maillots, équipement, lifestyle - Degaine.
  • Magazine trimestriel de Mode, Culture et Société pour les vrais parents sur les vrais enfants.
  • Pronostic Foot 100% Gratuits ! + de 100 Matchs analysés / semaine

France