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Pintes, sueurs et valeurs : bienvenue chez le club irlandais du 9-3

Par Kerill McCloskey
Pintes, sueurs et valeurs : bienvenue chez le club irlandais du 9-3

Créé en 1987 autour d'un noyau de barmen expatriés à Paris, le club amateur Paris Gaels continue à promouvoir un certain esprit irlandais. Les légendes de beuveries de mi-temps y ont traversé les années, mais le club doit aujourd'hui se confronter à l'érosion de la communauté irlandaise dans la capitale. Et avec le risque d'une crise d'identité.

Il y a des moments où le traditionnel football du dimanche ne tombe pas forcément le bon jour de la semaine. En effet, jouer le lendemain du samedi soir n’est pas toujours chose aisée. Surtout quand c’est un samedi 17 mars, jour de la St Patrick, et qu’on est barman irlandais. Et pourtant, ce dimanche 18 mars 1990, Enda veut quand même défendre les couleurs de son club, Paris Gaels. « J’ai fini le boulot à 6h, puis je suis resté pour un after avant d’aller manger un bout et de partir direct au stade, sans passer par la maison » , se rappelle-t-il avec le sourire. « J’étais toujours pas mal bourré au début du match, mais ça allait mieux en seconde mi-temps, et il en fallait bien plus pour que je ne joue pas pour mon équipe. De toute façon, j’étais loin d’être le seul à ne pas arriver sobre ! » Ce genre d’anecdotes houblonnées fait partie de l’héritage avec lequel le Paris Gaels actuel doit composer, comme nous le confirme Raphaël, au club depuis six ans : « Par-ci par-là, on rencontre des « anciens » qui adorent raconter ce type d’histoires. Ça fait partie de la légende du club, ces gars qui venaient au match avec le strict nécessaire dans le sac : des crampons et une bouteille. Aujourd’hui, c’est quand même moins à l’arrache. »

« En Irlande, le foot et la bière font partie de la vie »

À sa création en 1987, une bonne part de l’équipe de Paris Gaels, le club irlandais d’Île-de-France, travaille comme Enda dans les pubs parisiens. Pubs dont le nombre s’accroît avec l’arrivée d’Irlandais à Paris fuyant la crise des années 80 faite de chômage, de pouvoir clérical, d’explosion de l’héroïne à Dublin et d’explosions tout court dans le Nord. Enda et John, l’un des fondateurs de Paris Gaels, partagent ainsi une même anomalie, celui d’avoir vu la totalité de leurs frères et sœurs émigrer passé l’adolescence. Et on parle là de familles de sept et huit enfants. Ce dernier, également barman à l’époque, se souvient d’une communauté à Paris très dynamique, centrée autour des concerts et autres activités culturelles de l’Association irlandaise, des pubs et de parties de football (gaélique et soccer) au bois de Boulogne ou aux Tuileries. De celles-ci germe l’idée d’un club à l’identité irlandaise, qui trouvera refuge à La Courneuve en Seine-St-Denis. Nommé Paris Gaels (et non pas Celtic, par exemple, pour ne pas diviser les deux Irlande), il est perçu à l’origine comme une fondation supplémentaire à la solidarité entre expatriés, irlandais, mais aussi britanniques, avec ainsi une 3e mi-temps obligatoire. « On était des gens qui avaient dû quitter leur pays, souvent en recherche de jobs et de logement, avec une barrière de langue » raconte John. « Paris Gaels était un moyen pour nous de s’établir des contacts utiles, en plus de se reconstruire une vie normale. Et en Irlande, le foot et la bière font partie de la vie normale. » Profitant de l’enthousiasme des qualifications successives de l’Éire à l’Euro 88 et au Mondial 90, Paris Gaels enregistre la venue de nombre de « Celtes » , mais aussi d’autres étrangers et Français. Le petit club associatif peut alors se consolider définitivement dans le championnat du 93 et dévaliser deux fois par semaine le petit café à côté du Parc des Sports de la Courneuve. « On était leurs meilleurs clients, et de loin, assure Enda, sans une once d’hésitation. Généralement, les fûts de bière étaient vides après notre passage. »

25 ans plus tard, Dan y a trouvé les mêmes vertus solidaires. Originaire de Belfast, il est muté à Paris. C’est – bien sûr – dans un pub qu’il tombe sur une affiche du club, en recherche de nouveaux talents. Il rejoint l’équipe dans la foulée et affirme : « Paris Gaels a été génial pour moi, en tant qu’expatrié, pour se faire des amis et apprendre mieux le français, parce que celui d’entreprise n’est pas du tout le même que sur le terrain. Ça a beaucoup facilité mon intégration. » Devenu aujourd’hui le président du club, il tente de perpétuer tant bien que mal son âme irlandaise dans un tout autre contexte que celui des années 90 : de la vingtaine de joueurs celtiques et anglais des débuts, le club n’en compte plus que trois ou quatre. Car, à l’image d’Enda et John, beaucoup d’Irlandais sont rentrés au pays après son redressement économique. Quant aux pubs parisiens, beaucoup ont été rachetés par des Français ou des grands groupes de bars comme « The Frog » , lieux à vocation davantage commerciale où la communauté irlandaise se retrouve moins. Les entraînements, eux, où se côtoient aujourd’hui joueurs allant de l’Argentine au Cameroun, du Burundi à la Suède, ne sont plus en langue anglaise, multiculturalisme oblige. Une notion déjà connue du Paris Gaels, jamais communautariste, mais désormais promue en tant que principale fierté du club. « C’est sa meilleure facette aujourd’hui, confirme Raphaël, toutes ces cultures différentes qui partagent le foot et qui après, grâce au social imposé par le club, deviennent amies. C’est vraiment multiculturel. On va dire que par rapport aux équipes surtout black-beur du 93, nous, on est les vrais black-blanc-beur ! » Dans ce grand bordel de nationalités demeure un capitaine irlandais, Shane, dont les discours de motivation en langue anglaise ne sont pas compris de tous. Peu importe, car le symbole des racines de Paris Gaels y est plus important que les consignes tactiques, surtout quand on sait que la survie du club n’a, à un moment donné, tenu qu’à un fil.

« L’esprit irlandais, c’est se battre contre les plus gros, sans rien lâcher »

À Aubervilliers, où Paris Gaels est désormais installé, ils sont plus d’une vingtaine de gars à s’entraîner depuis le début de la saison, un chiffre qui fait le bonheur de Dan. Car à son arrivée, le club n’était pas loin de l’extinction, faute d’effectif. Tous les « historiques » partis, il fallait chercher des nouveaux joueurs autre part. Pas facile quand, sportivement, c’est la misère. Avec l’un des plus petits budgets de sa division et son idéal d’ouverture à tous, Paris Gaels n’a jamais vraiment été synonyme de victoire. John se rappelle ainsi de son premier match en championnat de Seine-Saint-Denis, face au vainqueur en titre : Paris Gaels mène 1-0 au bout de cinq minutes. Au coup de sifflet final, c’est une défaite 1 but à… 9. « Ce premier but montre bien qu’on avait de vrais bons joueurs de foot. Mais après, ils étaient déjà cuits, physiquement on était loin d’être au point. » Enda rajoute : « Même si nos tacles et notre engagement étaient craints de tous, on perdait assez régulièrement. Sauf qu’après le match, on allait quand même chambrer les adversaires en disant que cette défaite, c’était seulement parce qu’on avait bu la veille. C’était notre petite excuse. » Une excuse qui fait marrer l’équipe de barmen, mais moins leur succession, à l’image de Raphaël qui confie qu’à un moment, « il y en avait marre des roustes » . Pour attirer de nouveaux joueurs et éviter la mort de Paris Gaels, il fallait donc gagner. Et pour gagner, être plus sérieux, sans perdre de son essentielle bonhomie. Une transition pas si compliquée selon Dan : « Au lieu de boire à la mi-temps, on boit après le match. Ce n’est pas un si gros effort ! »

Outre la boisson, c’est surtout une autre philosophie qu’a dû suivre Paris Gaels, et avec un déplacement de son « identité irlandaise » . Finie la social team, celle ouverte à tous, même au pire des bras cassés souhaitant courir avec un maillot vert et prendre un verre viril après. La compétitivité est désormais de mise, ce qui s’inscrit également dans le sang vert du club, toujours selon l’actuel président : « Pour moi, l’esprit irlandais, c’est avant tout se battre contre les plus gros, c’est lefighting spirit comme on dit. De se dire que même avec peu de moyens financiers et matériels, on ne va jamais rien lâcher et essayer à fond de faire tomber les adversaires. Pour respecter ça, il faut avoir de l’ambition sportive. » Pari réussi : Paris Gaels, depuis septembre, produit plus de jeu et enchaîne les bons résultats en championnat.

Team building à l’Est

S’il y a un autre endroit où l’équipe produit du jeu, c’est aussi lors d’un rituel printanier : un voyage de foot et de fête à l’étranger, en grande majorité vers l’Est de l’Europe, là où « la vie n’est pas chère et les filles sont jolies » selon Raphaël. Moscou, Zagreb, Cracovie et même Vilnius ont été visitées, endroits où la bande ne passe jamais inaperçue selon Dan : « Les blacks du club préfèrent aller vers l’est parce qu’ils « serrent », ils sont des stars là-bas. À Porto, où les joueurs sont allés une année, c’était plus difficile par exemple. » Outre choper, l’équipe joue aussi contre des équipes locales, mais cette fois-ci avec l’attitude du Paris Gaels des origines, celui qui mêlait sans complexe football, boisson, fête et social. L’héritage de la création de Paris Gaels est donc bien loin d’être enterré, malgré les quelques remous vécus entre-temps par le club. Il s’est juste adapté. La harpe demeure toujours fièrement sur le blason de Paris Gaels, et la connexion irlandaise dans son ADN. La preuve : en 2017, à l’occasion des trente ans du club, Dan confie qu’il est prévu d’effectuer le voyage annuel de l’équipe dans l’île émeraude. Avant d’ajouter, malin, en regardant les joueurs s’entraîner sur le terrain nocturne d’en face, « pour leur faire plaisir, sûrement en Irlande de l’Est » .

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