On était au lancement de Football Manager 2009
Jeudi 6 novembre, Paris 9ème. De bon matin, dans les bureaux de Sega, entre une brioche et un croissant, le type un peu endormi c'est Miles Jacobson. L'air de rien, Miles Jacobson, créateur de Football Manager dont il vient présenter la nouvelle mouture, est à Paris, incognito. Son jeu divise, passionne certains ou laisse d'autres perplexes. Débriefing.
Ce serait donc un jour de décembre 1980 que le petit Miles Jacobson découvre le football, en assistant à un match de quatrième division opposant Watford à Leyton Orient. Dure initiation. Aujourd’hui, Miles Jacobson, style négligé et barbe d’une semaine, sillonne le monde chaque année pour présenter la dernière version de son bébé, Football Manager. L’opus 2009 n’échappe pas à la tradition.
Football Manager pourrait s’expliquer en chiffres : plus de 50 championnats, 210 divisions jouables, plus de 24 000 clubs existants, plus de 350 000 joueurs et membres de staff… Surtout un jeu capable de rester 34 semaines en tête des ventes au Royaume-Uni, de mettre en haleine des millions d’utilisateurs sur toute la surface du globe, sans avoir besoin d’afficher Lionel Messi ou Karim Benzema sur sa jaquette. Un succès durable. Cette année encore, l’édition 2009 est attendue avec une impatience particulière par la communauté Football Manager, largement présente sur le Web. Et pour cause, Sports Interactive, dont Miles Jacobson est le directeur, donne dans l’innovation.
Didier Roustan, Albertini et Everton
En vrac… La principale nouveauté est l’intégration d’un moteur 3D, somme toute assez basique, pour suivre les matchs. « C’était une demande récurrente. Il y a carrément eu des battles sur les forums internet pour savoir s’il fallait passer à la 3D. Pour satisfaire tout le monde, nous avons également gardé la possibilité de voir les matchs en 2D, vu d’au-dessus » rassure Miles Jacobson. Un argument lancé aux accrocs de PES ou Fifa et aux réticents de la simulation qui chambrent depuis longtemps les boîtes de textes et les petits ronds qui s’agitent – parce que c’est aussi de ça qu’il s’agit.
Autre innovation : la conférence de presse. L’apprenti manager pourra nouer des liens avec les journalistes, ses déclarations seront enregistrées et réutilisées par les médias pour le conforter ou le mettre en porte-à-faux. « Ils ont particulièrement soigné et amélioré l’aspect communication. On voit à quel point c’est important dans le foot actuel. Par exemple, avec un sélectionneur qui communique mal… » ironise Didier Roustan. Oui, Didier Roustan, parrain, en quelque sorte, du jeu. A noter, une belle transversale vers la parité, avec la possibilité d’incarner une femme ! « Il y a bien des femmes présidentes ou arbitres, alors pourquoi pas entraîneurs ? » . Miles pense à elles, bien que petites amies et mamans du monde ne le lui rendent nécessairement…
Pour aller au plus réaliste, le projet se professionnalise au maximum. La base de données, massive, s’appuie sur les recherches de 500 recruteurs opérant là où roule le moindre ballon, sur les recommandations tactiques de Ray Houghton, la légende du Liverpool des eighties, voire sur les conseils de joueurs – Miles ne lâche pas de noms – quant aux coups francs. « Tu sais que Demetrio Albertini, lorsqu’il jouait contre des petites équipes, il connaissait déjà tous les noms, ce qui interloquait son entraîneur. Bah, c’était grâce à Football Manager » narre Roustan.
Activité préférée des adeptes : la recherche de perles. Car FM a eu du flair, parfois, deux ou trois ans avant l’éclosion d’un joueur, comme Kim Kallstrom, Carlos Tevez, Kun Aguero, Arjen Robben, Robinho ou Carlos Vela, mais a connu ses flops. Miles Jacobson à la barre : « Une année, on pensait qu’Ibrahima Bakayoko deviendrait énorme… Si je peux vous donner un conseil, jetez-vous sur Martin Luis Galvan Romo, un gamin de Cruz Azul » . Consécration ultime, et gros coup promotionnel hein, Miles Jacobson a dévoilé ce vendredi un partenariat officiel avec le club anglais d’Everton, pour donner au manager David Moyes et à ses entraîneurs un accès sans précédent à sa database de joueurs et membres des équipes d’encadrement.
Droit au Net
Malgré tout, il reste de quoi tacler Football Manager à la gorge. Ses détracteurs ciblent souvent son aspect addictif. On ne va pas se mentir, plus personne ne croit au « allez, un dernier match » , et la nuit peut vite ne plus suffire. « On nous dit de fumer avec responsabilité, de boire avec responsabilité, moi je rajoute qu’il faut jouer avec responsabilité » se défend Miles Jacobson. Au vrai, le phénomène n’est pas si important en France qu’il peut l’être en Angleterre. « A cause du temps » ironise-t-il. Toujours selon Miles, « on a tous entendu des supporters dire “Pourquoi il n’aligne pas Berbatov ?”, “Pourquoi il joue ainsi et pas comme ça ?” non ? Le jeu essaie de montrer que se mettre dans la peau d’un manager, c’est aussi avoir à gérer des tonnes d’autres paramètres » .
Ce qui amène l’autre point de débat : le jeu vulgarise-t-il la tactique aux yeux du grand public ? Est-ce que le football n’est pas un peu plus compliqué, par exemple, que demander à son “MO” (milieu offensif) d’aller vers l’avant dans un 442 diamant ? Après tout, Football Manager reste l’un des seuls endroits où l’on peut encore gagner en jouant en 3-4-3 à plat.
Quoiqu’il en soit, Football Manager reste la référence sur son terrain et gardera ses “customers for life” (“clients à vie”), fera des lassés ou accueillera de nouveaux disciples. Mais Jacobson a un nouveau défi. Depuis un an, il teste une version online de sa création, baptisée Football Manager Live, axée sur une interactivité maximale entre les “managers”.
Retour en décembre 1980. Dans les tribunes, Miles Jacobson flashe sur Kenny Jackett, le milieu gallois de Watford. Miles le suit, l’imagine bien faire une brillante carrière. Presque trente ans plus tard, Kenny Jackett n’a pas percé et entraîne Millwall, en troisième division. Le genre de choses qui peut aussi arriver dans Football Manager.
Pierre Maturana
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