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On a dormi à Clairefontaine avec le RCS Chapelains

Par Andrea Chazy, à Clairefontaine
9 minutes
On a dormi à Clairefontaine avec le RCS Chapelains

Tiré au sort dans le cadre de la troisième édition de la « Prépa de rêve » organisée par la FFF, le club amateur du RCS Chapelains (R1, Grand-Est) a pu profiter des installations de Clairefontaine le temps d’un week-end pour préparer son 8e tour de Coupe de France face à Aurillac-Arpajon (N3). Et on y était.

Réginald Becque fait les cent pas dans le grand salon, baptisé « Aimé Jacquet » , qui fait office de pièce commune du château de Clairefontaine. L’ancien capitaine de Calais, finaliste en 2000 au terme d’une épopée encore dans les mémoires, attend dans un costume ceintré l’arrivée de ses hôtes d’un week-end. « Il y a 18 ans, j’avais dû attendre la finale pour préparer le match ici » , se marre le natif de Denain, appelé au dernier moment pour remplacer Jérôme Rothen dans le rôle de l’exemple à suivre. Nous sommes alors le 7 décembre, il est 11h30, et le bus du RCS Chapelains doit arriver d’une minute à l’autre. Réginald prévient : « Je ne suis pas là pour leur dire ce qu’ils doivent faire, leur donner des conseils. Je vais seulement leur dire de profiter au moment du repas, car ce n’est pas tous les jours que l’on prépare un 8e tour de de Coupe de France à Clairefontaine. »

Arrivée en fanfare

Après 190 kilomètres où il n’a pas vu l’ombre d’un barrage de gilets jaunes, le car touche à son but et pénètre dans l’enceinte boisée de Clairefontaine. Un par un, les 22 joueurs ainsi que les membres du staff aubois viennent respirer l’air frais et pur du domaine. Celui-là même qui caresse ces visages aux sourires radieux. Au moment de fouler pour la première fois le sol, Yves Eock est fou de joie. Muni d’une enceinte qui crache les derniers tubes d’Aya Nakamura, le défenseur de la Chapelle ne tremble pas au moment de claquer quelques pas de danse sur le mythique escalier que Griezmann et consorts ont l’habitude d’emprunter : « Les gars, je fais comme Umtiti ! Il faut snapper, hein ! » Les premiers clichés envoyés aux proches ou enregistrés précieusement, c’est donc dans le grand salon que la troupe se rassemble. Tandis qu’un « Ramenez la Coupe à la Chapelle » et quelques pas de danse aériens amusent les employés du château, l’annonce de la répartition dans les chambres ne fait pas redescendre la température. Au contraire.

Répartis par deux dans les habituelles piaules de Lloris, Pogba ou Deschamps, le hasard ne manque pas de réserver quelques petits clins d’œil. « Putain, on est dans la chambre de Mandanda…, se lamente en souriant Sidiry Kanouté, éducateur à la PSG Academy. J’aurais préféré Sidibé, mais bon, il viendra nous voir demain ! » Si Sidiry est si confiant, ce n’est pas seulement parce que le latéral champion du monde est originaire de Troyes. Mais aussi car le petit frère de Djibril, Moussa, fait partie intégrante du groupe de la Chapelle. « Il devait passer un examen scolaire ce matin (test d’anglais IELTS, N.D.L.R.), il devrait arriver en fin de journée » , rassure le président Nicolas Brugger. De quoi laisser échapper quelques rumeurs au sein du groupe sur une possible venue dès ce samedi de Djibril Sidibé, de Nabil Fekir ou même… de Benjamin Nivet.

Ping-pong et rêve de gosse

En attendant 12h30 et le déjeuner, les amateurs aubois s’acclimatent à leur manière dans leur nouvel environnement. Quand certains donnent des premières nouvelles à leurs proches ou testent leur sommier, d’autres prennent déjà possession de la table de ping-pong dans l’entrée. « C’est un rêve de gosse, s’exclame Yassine Abaidia. Ces chambres, tu sens qu’elles ont un truc, une âme. De vivre ça avec une bande de potes, un mix entre des mecs qui bossent à côté, qui n’ont pas d’emploi ou qui étudient, c’est fou. » L’étudiant en école d’ingénieurs n’a pas le temps de finir sa tirade que l’appel venu des cuisines se fait déjà entendre et sentir : « Ce midi, je sais que je vais pouvoir contrôler mon alimentation parce que j’ai une fâcheuse habitude à prendre du poids rapidement. Quand je suis gros, le coach me fait jouer 5 et quand je suis fit, c’est 6. »

Dans la salle à manger, le groupe prend place au sein d’une énorme table ronde parallèle aux divers buffets qui leurs sont alloués. Au menu : pâtes, poulet, poissons, riz, ou encore fruits et légumes. Un régime digne des pros, que le staff va se charger d’entretenir dès le début du repas en faisant respecter les traditions : « Mathieu, il y a une tradition à Clairefontaine : le dernier arrivé, il chante ! Debout ! » Quelques secondes de chant un peu timide, suivies par un mot du gardien Mickael Canadas : « Bon, les mecs, on est tous dans le même état d’esprit – JB, ne rigole pas steu’plaît. Ce moment, on va le vivre une fois dans notre vie. Il faut le vivre à fond, on est dans un cadre exceptionnel. Demain, je ne veux rien d’autre que la victoire et les 32es. » La faim de victoire, quand même.

Analyse vidéo de pro

Le repas terminé et les estomacs rassasiés, tout ce petit monde part vaquer à ses occupations durant le temps libre. Pendant que certains cherchent les consoles dans les chambres et que d’autres regardent la Liga à la télé, Mohamed Faty et son adjoint Hossain Kellih peaufinent la préparation de la séance qui a lieu à 15h30. Réunis dans la chambre de N’Golo Kanté, « symbole du travail de l’ombre et d’une efficacité reconnue » , les deux hommes prennent aussi des renseignements sur l’adversaire de dimanche : « On a reçu des infos de base, notamment sur leur attaquant qui fait pas mal de différences, mais on ne va pas commencer à se prendre pour ce qu’on n’est pas. Tactiquement, et on va le revoir pendant la séance vidéo qui n’est pas spécifique à Clairefontaine, mais que l’on fait aussi à la Chapelle de temps en temps, il va falloir qu’on reprenne quelques points sur le jeu sans ballon. »

Mathieu, le bizut, profite quant à lui de cette heure et demie de liberté pour aller faire quelques photos souvenir près des deux étoiles plantées dans l’herbe verte : « D’habitude, je fais la sieste. Mais là, je ne veux pas en louper une miette ! » Dans le grand salon « Aimé Jacquet » , l’adjoint affilié à la vidéo Jérome Erard est, lui, en grande discussion avec Réginald Becque. Sur le canapé, les deux hommes échangent déjà sur l’après-Clairefontaine. Lorsque cette parenthèse inattendue aura pris fin. Ils évoquent alors « les réseaux sociaux à gérer » , tentent de comprendre « comment les jeunes vont redescendre après ces deux jours où tous les projecteurs sont braqués sur eux » … Les voix de la raison.

« Le prochain qui m’appelle Rachid Stéphan, je lui pète la gueule ! »

C’est sur les coups de 16h que le terrain revient au centre des préoccupations. Par le biais d’un escalier interne, les Chapelins gagnent le vestiaire des Bleus et l’excitation repart de plus belle. Tempérée rapidement, cette fois, par le coach Mohamed : « Il faut respecter les règles. Si on doit passer demain, ce sera tous ensemble. Si on ne fait pas attention aux détails, on ne passera pas. » Dès le début de la séance, les mots de Mohamed ont, semble-t-il, été bien intégrés. Les visages sont crispés. Concentrés. Chacun n’hésitant pas à mettre le pied s’il le faut sur chaque exercice. Tous savent déjà que cette séance est la dernière avant le match d’une vie, mais aussi qu’il n’y en aura que onze sur le terrain dimanche. Une forme de tension, et surtout d’attention, qui se retrouve aux environs de 18h30 pendant la séance vidéo.

Le président Brugger introduit : « Les gens du club attendent beaucoup de vous. Les bénévoles préparent tout depuis quinze jours, sans oublier les trente gars qui ne sont pas venus aujourd’hui à Clairefontaine. » L’arrivée discrète de Moussa Sidibé quelques instants plus tard ne perturbe pas les coachs, qui peaufinent au maximum leur approche tactique et mentale du match. « Rentrez-vous dans la caboche que dimanche, c’est victoire ou rien » , prône avec véhémence l’adjoint Hossain Kellih. Le moment d’annoncer les seize qui seront dans le groupe arrive enfin. Lorsque son nom est déclamé par Mohamed, Dorian reçoit une petite tape sur la tête de sa maman qui a fait le déplacement. Il en sera dimanche. Les six malheureux, eux, ne montrent rien. Ou presque. Notamment car la fin de la séance, après quelques soucis de son, est ponctuée par la diffusion d’une longue vidéo de Jérôme Rothen. Elle-même suivie d’autres, plus spontanées, de gamins et bénévoles du club. Rachid, adjoint des U19, gagne à l’applaudimètre avec un limpide clip de cinq secondes chrono : « Le prochain qui m’appelle Rachid Stéphan, je lui pète la gueule ! » Rires dans la salle.

Pas d’happy-end

Après une longue journée riche en émotion, c’est vers 23h que la quasi-totalité des survêts orange et noir regagne leurs appartements. Moussa Sidibé n’est pas dans les premiers, lui qui regrette son arrivée tardive dans les Yvelines : « J’aurais bien aimé m’entraîner sur ce terrain, mais bon… On va essayer de profiter du reste. Le coach vient de me dire que je dormais dans la chambre de mon frère ce soir, c’est déjà pas mal. » La nuit est bonne, mais courte : à 8h, les premiers soldats patientent pour prendre le petit-déjeuner. Encore endormis. C’est donc dans le calme que tout le monde prend le premier repas de la journée. Si « Riki » n’est pas encore levé et manque à l’appel, Mohamed tente déjà de motiver ses joueurs en leur lisant une interview du coach d’Aurillac qui parle « d’un tirage clément » . Dans le mille.

Les minutes, qui paraissaient si lentes la veille, passent désormais à une vitesse folle. Il est déjà l’heure de partir, de quitter Clairefontaine une bonne fois pour toutes afin de faire le boulot. Un happy-end qui n’arrivera finalement jamais. Une défaite 1-0, cruelle, mais pas illogique, marque un point final pour le club entraîné par Mohamed Faty. Au téléphone, le quadragénaire constate, la gorge nouée : « C’est dur de conclure l’aventure de cette manière, malgré notre match solide. Ça s’est joué à un détail, mais je n’ai rien à reprocher à mes joueurs. Je suis content d’avoir vécu cette aventure-là. » Une aventure qui, elle, perdurera à jamais dans les têtes de cette belle bande de gaillards ayant vécu le rêve de tout footballeur amateur.

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