S’abonner au mag
  • France
  • Arbitrage

Nikola Karabatic : « Être sensibilisé à l’arbitrage t’aide à être un meilleur joueur »

Propos recueillis par Mathieu Rollinger, au Musée de La Poste
12 minutes

Jeune retraité de 41 ans, Nikola Karabatic en a désormais fini avec les 9 mètres, les défenses en zone, les refus de jeu et les tartes dans la tronche. Quadruple champion du monde, quadruple champion d’Europe, triple champion olympique et élu meilleur handballeur du monde en 2007, 2014 et 2016, l’Expert a donné un peu de son temps pour sensibiliser aux enjeux de l’arbitrage et revenir sur sa relation avec le corps arbitral.

Nikola Karabatic : « Être sensibilisé à l’arbitrage t’aide à être un meilleur joueur »

En quoi est-il important que des athlètes de haut niveau comme toi donnent de leur temps pour promouvoir l’arbitrage ?

Il y a l’idée de rendre la pareille aux arbitres. Quand on est en compétition, on doit toujours composer avec des décisions qui peuvent être contre nous. Ça crée une sorte de dualité. Mais je me suis rendu compte que les arbitres sont aussi passionnés que nous. Ils sont là, chaque week-end sur un terrain par amour du sport, de ton sport, ils sont au centre du jeu, et, quelque part, ils font partie de cette grande famille. En devenant parrain de l’opération Tous arbitres (dans le cadre des Journées de l’arbitrage La Poste, NDLR), j’avais envie de mettre leur rôle en lumière, de raconter un peu cette relation qu’on a avec les arbitres et de sensibiliser aussi à ce qu’ils peuvent vivre. Ce n’est pas facile, ils vivent sous le feu des critiques, ça demande du courage, de la patience, de l’engagement. Je sais aussi qu’il y a besoin de créer des vocations chez les jeunes à prendre le sifflet. Mais les athlètes ne doivent pas être les seuls à porter ce message. Il faut aussi que les dirigeants, les fédérations et les instances internationales puissent fournir des outils aux arbitres pour prendre les meilleures décisions, d’adapter aussi les règles pour leur faciliter les choses. On a tous un rôle à jouer.

 

Tu as déjà arbitré un match dans ta vie ?

Oui, j’ai été Jeune Arbitre dans mon premier club près de Montpellier, le Frontignan Thau Handball. Mon papa (Branko, gardien international yougoslave, NDLR) était mon entraîneur, mais entraînait aussi les autres catégories du club. Naturellement, j’étais avec lui à l’entraînement, parfois je l’aidais avec les plus jeunes, et je me suis aussi retrouvé à arbitrer des matchs. J’ai pu comprendre ce qu’était la fonction d’arbitre, la difficulté de prendre la décision la plus juste et de gérer cette relation aux autres, que ce soit les joueurs ou les coachs. Après, je suis devenu pro et je suis parti sur autre chose.

Quand tu es au sifflet, tu ne vois pas le jeu de la même manière que quand tu joues. Tu as pu tirer profit d’avoir expérimenté ce point de vue ?

Oui, c’est vrai que ça demande des capacités particulières. Ton attention est portée sur autre chose que quand tu es demi-centre (poste considéré comme celui du meneur de jeu, NDLR). Par exemple, sur une contre-attaque ou sur un tir à l’aile, tu ne vas pas regarder si le joueur va faire un chabala ou une roucoulette, mais tu regardes s’il était dans les limites du terrain au moment de prendre son élan et s’il a posé son pied en zone ou pas. Sur un pivot, tu vas surveiller comment il se sert de ses mains, s’il attrape un maillot adverse. Donc c’est hyper intéressant.

Je suis sûr qu’au hand, il y a beaucoup de joueurs qui ne connaissent pas toutes les règles ou ne sont pas au courant des dernières modifications.

Nikola Karabatic

Connaître l’arbitrage permet donc d’être un meilleur joueur.

Je suis sûr qu’au hand, il y a beaucoup de joueurs qui ne connaissent pas toutes les règles ou ne sont pas au courant des dernières modifications. Quand je suis arrivé à Kiel en Allemagne, mon coach et mentor Noka Serdarusic nous a beaucoup parlé des règles du handball. C’était quasiment l’un des seuls qui nous en a parlé. Il nous expliquait ce qu’on avait le droit de faire, ce qu’on n’avait pas le droit de faire, en attaque comme en défense, et utiliser tout ça à notre profit. Ça te permet de savoir jusqu’où tu peux pousser le curseur de l’agressivité sans être sanctionné. Donc oui, être sensibilisé à l’arbitrage t’aide à être un meilleur joueur.

Toi, tu étais du genre à te faire sanctionner ?

J’ai eu la stat, là : sur 365 matchs, je n’ai eu que 59 « deux minutes », donc c’est finalement très peu. Mais c’est important parce que dans le sport pro, c’est l’équipe qui est la moins sanctionnée, celle qui donne le moins de pénalités, qui fait la diff’ à la fin.

Que ce soit avec l’équipe de France ou dans la plupart de tes clubs (Montpellier, Kiel, Barcelone, PSG), tu as évolué dans l’équipe qui dominait. Est-ce que l’arbitrage change selon le statut ?

Meilleur tu es, plus l’adversaire est dur avec toi parce qu’il essaye de te faire déjouer, plus tu reçois de coups et moins l’arbitre te protégera parce que tu es censé gagner sans ça. Individuellement, j’ai la sensation d’avoir été plus « protégé » quand je suis arrivé à 18 ans en équipe de France que quand j’étais en pleine possession de mes moyens. Quand tu fais partie des meilleurs joueurs au monde, quand tu joues une finale d’un championnat du monde ou des Jeux olympiques, tu dois savoir gérer tes émotions.

 

Et une cravate sur mesure pour Monsieur Karabatic.
Et une cravate sur mesure pour Monsieur Karabatic.

Si tu devais nous décrire l’arbitre idéal, il aurait quel genre de qualités ?

Déjà, c’est un arbitre qui a une énergie positive, qui se montre de bonne humeur. Un arbitre qui me sanctionne, mais avec un sourire ou avec un mot sympa, c’est pas la même chose que quelqu’un qui est fermé. L’attitude donc mais aussi le dialogue. Quand c’est fait avec le bon ton, ça change tout. Tu peux te dire : « Pour moi, il s’est trompé, mais en fait, c’est humain et c’est sa décision, je respecte. » Ça désamorce beaucoup de situations.

Ce match contre l’Allemagne a enclenché pas mal de choses derrière : on a ressenti un tel sentiment d’injustice, une telle frustration, que ça a amené toute la détermination et la rage pour tout gagner de 2008 à 2012.

Nikola Karabatic

Est-ce qu’il y a assez de pédagogie, que ce soit envers les joueurs ou envers le public ?

Que des arbitres puissent être capables d’expliquer leur décision, je trouve que ça humanise la fonction, ça montre qu’ils sont capables de prendre de la hauteur et c’est forcément bénéfique. Si tout le monde se retranche dans son camp, dans son ego, c’est là que tu crées du conflit. L’idée, ce n’est pas de les juger ou de les désigner à la vindicte, c’est juste d’avoir des retours. Je pense que c’est pas négatif si c’est fait avec la bonne intention.

Quelle est la plus grande injustice que tu as vécue sur un terrain ?

Forcément celle de 2007, en demi-finales des championnats du monde en Allemagne, contre l’Allemagne. Il y a 32-31 à la fin de la prolongation, Mika Guigou égalise à la dernière seconde pour nous envoyer aux tirs au but, les arbitres l’accordent et quelques secondes après reviennent sur leur décision en disant qu’il y a « marché » (seuls trois appuis sont autorisés au handball, NDLR). Ça a été un moment très frustrant, mais ça a surtout enclenché pas mal de choses derrière : on a ressenti un tel sentiment d’injustice, une telle frustration, que ça a amené toute la détermination et la rage pour tout gagner de 2008 à 2012. C’est cette décision arbitrale qui a ouvert l’ère des Experts.

 

<iframe loading="lazy" title="Mondial 2007 demi-finale (fin match) - Allemagne 32-31 France [2007-02-01]" width="500" height="375" src="https://www.youtube.com/embed/xcFA8xieRBc?start=953&amp;feature=oembed" frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture; web-share" referrerpolicy="strict-origin-when-cross-origin" allowfullscreen></iframe>

Claude Onesta parle de ce match comme d’une bascule : être encore meilleur pour avoir une telle marge qu’une décision arbitrale ne changera rien à votre destin.

Oui, et c’est vrai qu’à cette époque, on sortait d’un titre à l’Euro 2006 (le premier de l’histoire pour les Bleus, NDLR) et peut-être qu’on s’était vus un peu trop beaux en arrivant au Mondial 2007, en pensant que ça allait rouler tout seul. Ça a été beaucoup plus dur que prévu. On a quand même su rebondir et on savait qu’en battant l’Allemagne, on jouerait la Pologne en finale et qu’on serait champions du monde. Cette défaite nous a coupés dans notre élan, mais on s’en est servis. On a su être résilients et ça nous a forgés pour la suite. Le sport t’apprend qu’il faut très vite passer à autre chose. Je porte un œil différent au passé parce que même si on n’a pas de médaille cette année-là, je repense à cet épisode d’une manière positive.

Là, on parle d’une injustice collective, mais est-ce que tu en as vécu une plus personnelle ?

J’en rigole maintenant quand je la revois, mais il y a le dernier match de poule contre l’Islande au Mondial 2015 au Qatar, où on termine champions du monde. Cette année-là, les arbitres avaient des consignes ultra fermes. On prenait des « deux minutes » dans tous les sens. Dès que tu touchais un peu un joueur, tu sortais. Moi j’avais déjà pris deux fois “deux minutes” (au bout de trois, l’exclusion devient définitive, NDLR) avec deux arbitres portugais très sévères. En deuxième mi-temps, on est en infériorité numérique, je prends un coup léger au visage et j’en rajoute un petit peu pour gagner du temps… « Simulation », je prends donc mes premières « deux minutes » en attaque de ma carrière et je suis exclu. Forcément, je sors énervé, il y a une caméra qui me suit et je dis : « I quit handball ! » Aujourd’hui encore mon meilleur pote et mes anciens coéquipiers me vannent là-dessus.

La vidéo a imposé aux joueurs de faire très attention et, dans l’intérêt de protéger les joueurs, c’était forcément une bonne chose. Le petit aspect négatif, c’est qu’en étant maintenant spectateur, quand tu vois une action au ralenti, ça peut paraître spectaculaire alors qu’à vitesse réelle, c’est normal.

Nikola Karabatic

Est-ce qu’il y a des règles que le football pourrait piquer au handball ?

Avec les exemples que je t’ai donnés et parce que j’étais le premier à râler, je suis assez mal placé pour donner mon avis, mais ce que j’aime bien dans le hand, c’est que les arbitres disposent d’un arsenal de règles et de sanctions pour leur faciliter la vie. Nous, on sait qu’on peut discuter avec les arbitres, on peut leur demander des explications sur une décision, on a le droit de ne pas être d’accord, mais on va vite passer à autre chose parce que si on est trop agressif dans la contestation, on peut prendre un carton jaune, puis un « deux minutes ». Ça sanctionne toute l’équipe et ça peut faire perdre un match. Au foot, dans la gradation des sanctions, il n’y a que le carton jaune qui est déjà très lourd. Il n’y a pas de petite sanction intermédiaire. Au rugby, ils ont une sanction entre le jaune et le rouge, avec le bunker. Je crois que les fédérations sont en train de réfléchir là-dessus, mais je pense qu’une arme supplémentaire pour l’arbitre permettrait de fluidifier les relations.

 

Dans ta carrière, tu as vu débouler l’assistance vidéo. Est-ce que ça a changé ta façon de jouer ?

Bien sûr. Au début des années 2000, le handball pouvait être très agressif avec des matchs très chauds. La vidéo a imposé aux joueurs de faire très attention et, dans l’intérêt de protéger les joueurs, c’était forcément une bonne chose. Le petit aspect négatif, c’est qu’en étant maintenant spectateur, quand tu vois une action au ralenti, ça peut paraître spectaculaire alors qu’à vitesse réelle, c’est normal. J’ai vu, sur les dernières finales de Ligue des champions, des cartons rouges là où il y avait « deux minutes » avant. Et puis c’est vrai que ça saccade le rythme d’un match. Il faut trouver un équilibre : pour moi, un contact au visage ne devrait pas être systématiquement sanctionné d’un carton rouge. Seulement si c’est intentionnel. Je suis fan de foot américain et là-bas, chaque année ils revoient les règles qui ne fonctionnent pas, celles qui sont dures à comprendre, que ce soit pour les arbitres ou pour les joueurs.

Tu penses à quelle règle en disant ça ?

Celle qui permet de remplacer son gardien par un joueur de champ en attaque, par exemple. Les joueurs en ont horreur parce que ça a complètement dénaturé le jeu. Elle existe depuis 2016 et personne ne revient en arrière.

Est-ce que tu as le souvenir d’une décision arbitrale qui a changé complètement le cours d’un match de foot ? Quelque chose qui t’a marqué.

Je ne sais pas pourquoi, mais je me souviens du carton rouge que prend Jens Lehmann en finale de la Ligue des champions en 2006 (entre le Barça et Arsenal), après quelques minutes de jeu. Je vois encore Robert Pirès sortir, ça avait complètement dénaturé la finale. C’est vrai que tu peux mettre carton rouge, mais j’ai trouvé que c’était une application très stricte de la règle. Quand tu es arbitre, prendre une bonne décision, c’est aussi prendre une décision qui va dans le sens du jeu. Et là, peut-être qu’un penalty avec un carton jaune aurait été suffisant. Je me souviens m’être posé la question : « Qu’est-ce que j’aurais fait à leur place ? » Au foot, il y a le score qui est tellement faible qu’une décision comme ça, ça affecte tout.

 

Avec les scores du hand, c’est sûr qu’une erreur arbitrale a moins d’impact sur le résultat final.

Tu peux toujours te relever, c’est aussi pour ça que j’aime mon sport. Comme au basket, rien n’est fait jusqu’à la fin. Au foot, un carton rouge, c’est lourd.

Maintenant que tu es retraité, tu pourrais prendre le sifflet le dimanche pour arbitrer un match ? Même au niveau amateur ?

Ce n’est pas dans mes plans, non. (Rires.) Là, je prends du temps pour moi et pour ma famille, ça c’est le plus important. Mais je sais qu’il y a des joueurs pros qui voulaient devenir arbitres. Il y en a qui ont pris ce chemin au foot (Gaël Angoula et Jérémy Stinat, NDLR). C’est une bonne chose pour inciter les jeunes à franchir le pas et pour sensibiliser aux enjeux de l’arbitrage, notamment dans le monde amateur où il y a des problématiques liés aux effectifs, mais aussi aux violences que les arbitres peuvent subir.

Tous ces efforts ne sont-ils pas anéantis à chaque fois qu’un joueur, un entraîneur ou un dirigeant s’en prend directement à un arbitre ?

Oui mais c’est pour ça qu’il est encore plus important de s’investir. En match, les tensions et les émotions sont à leur comble, personne n’est parfait, moi le premier, mais une fois qu’on est sorti de ça, il faut prendre un peu de hauteur parce que c’est un vrai enjeu sociétal. Pas que la relation avec l’arbitre, mais la relation à l’autre de manière générale.

Corinne Diacre à Marseille, et pour quoi faire ?

Propos recueillis par Mathieu Rollinger, au Musée de La Poste

À lire aussi
Les grands récits de Society: Tout le monde en parle, l'histoire orale
  •  
Les grands récits de Society: Tout le monde en parle, l'histoire orale

Les grands récits de Society: Tout le monde en parle, l'histoire orale

C’était une émission, c’est devenu un rendez-vous. Puis un objet de culte. Souvent drôle, parfois intelligente, toujours alcoolisée et volontiers vulgaire, Tout le monde en parle mêlait la désinvolture d’une petite soirée entre potes et le clinquant d’un dîner dans le grand monde. Voilà pourquoi personne ne l’a oubliée, même 20 ans après.

Les grands récits de Society: Tout le monde en parle, l'histoire orale
Articles en tendances

Votre avis sur cet article

Les avis de nos lecteurs:

C'est une putain de bonne question !

Le titre peut-il échapper au PSG cette saison ?

Oui
Non
Fin Dans 2j
57
61

Nos partenaires

  • Vietnam: le label d'H-BURNS, Phararon de Winter, 51 Black Super, Kakkmaddafakka...
  • #Trashtalk: les vrais coulisses de la NBA.
  • Maillots, équipement, lifestyle - Degaine.
  • Magazine trimestriel de Mode, Culture et Société pour les vrais parents sur les vrais enfants.
  • La revue de presse foot des différents médias, radio et presse française/européenne, du lundi au vendredi en 3 à 4h!