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Nicolas Hourcade : « La frustration de ne pas aller au stade a suscité une excitation exacerbée »

Propos recueillis par Pierre Rondeau
6 minutes
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Nice-Marseille, Lens-Lille, Montpellier-Bordeaux, Angers-Marseille... Les violences dans et autour des tribunes ont émaillé ce début de saison de Ligue 1. Professeur de sociologie à l’École centrale de Lyon et spécialiste du mouvement des supporters, Nicolas Hourcade tente de prendre de la hauteur et de réfléchir aux origines de ces troubles et d'apporter des solutions. Parce que le tout-répressif, la caricature et le trait forcé ne sont pas les meilleures réponses.

Les différents incidents entre supporters ont-ils une explication sociétale, sociale ? Sont-ils le reflet des conflits inhérents à nos sociétés occidentales ou le fruit des tensions enfouies après les confinements et les huis clos successifs ?La question est fondamentale, mais extrêmement complexe. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un lien avec l’absence de stade pendant un an et demi. Une frustration est née et a marqué les supporters. On l’observe très bien aujourd’hui avec les évènements récents. Le stade a manqué aux gens, on sent que cette frustration a suscité une excitation exacerbée qui peut déboucher sur un enthousiasme encore plus fort qu’avant et aussi, malheureusement, sur des incidents plus fréquents. Mais ils ne sont pas tous à mettre dans le même sac. Bagarres entre supporters, jets de projectiles sur les joueurs, envahissements de terrain, saluts nazis, etc. : ces faits ne sont pas tous de même nature, leurs auteurs ne sont pas forcément les mêmes, et leurs causes sont diverses. Le point commun, c’est cette excitation liée au retour au stade.

On a le sentiment que certains clubs ont sous-dimensionné leurs dispositifs de sécurité, par perte d’habitude ou manque de moyens.

Ensuite, il y a un élément qui n’est pas à négliger, c’est que, manifestement, en France, on a perdu l’habitude d’organiser les matchs. Ce qui est lié au confinement et aux huis clos, mais aussi aux difficultés financières qu’éprouvent les clubs. Par exemple, sur les sociétés de stadiers, profession sinistrée pendant la crise, il y a eu un turnover très important, et on se retrouve aujourd’hui avec des agents qui n’ont pas forcément d’expérience. On a aussi le sentiment que certains clubs ont sous-dimensionné leurs dispositifs de sécurité, par perte d’habitude ou manque de moyens. De même, les dispositifs policiers auraient dû permettre d’éviter certains incidents qui ont eu lieu près des stades. L’explication de la multiplication des incidents est donc aussi organisationnelle, tant du côté des clubs que du côté des forces de l’ordre et des agents de sécurité. Certains incidents auraient pu être empêchés.

Voyez-vous d’autres explications ?Dernier point, c’est le poids des réseaux sociaux, qui donnent à voir des événements qui n’étaient pas vus auparavant. Maintenant, tout le monde a un smartphone doté d’une caméra et peut filmer puis diffuser à grande échelle sur les réseaux sociaux. S’il y a des images, ça donne une autre ampleur aux bagarres et aux débordements. Ce phénomène peut accréditer la thèse d’une augmentation de la violence, alors qu’elle est avant tout plus visible qu’elle ne l’était. L’existence d’images peut aussi créer un feuilleton avec une succession d’incidents à diffuser sur les écrans. Cela dit, les incidents actuels sont d’une ampleur exceptionnelle. Je n’ai pas souvenir d’une telle succession de faits de violence depuis la saison 2009-2010*.

Si le phénomène est structurel, le mal est plus profond. Cette possibilité est inquiétante parce qu’elle supposerait qu’il y ait une radicalité plus importante dans les stades et qu’elle s’installerait dans la durée.

Doit-on s’attendre à un prolongement de cette violence ou ces agissements sont exceptionnels et particuliers ?Globalement, la problématique générale serait de savoir s’il s’agit d’un phénomène conjoncturel, lié à l’excitation de revenir au stade après des mois d’absence et à la perte d’expérience des clubs et des autorités, ou si c’est un phénomène plus profond, plus structurel, qui laissait entrevoir déjà des prémices avant le confinement et la crise sanitaire. Dans le premier cas, si c’est conjoncturel, on pourrait imaginer que tout reprenne son cours normalement et que, passé quelques semaines, les choses se calment et se tassent. Si c’est structurel, le mal est plus profond. Cette possibilité est inquiétante parce qu’elle supposerait qu’il y ait une radicalité plus importante dans les stades et qu’elle s’installerait dans la durée. Cette hypothèse n’est pas impossible puisqu’on avait déjà constaté des événements violents avant les huis clos.

A-t-on déjà tout fait pour mettre fin à ces épisodes de violence ? La Ligue et les pouvoirs publics sont-ils suffisamment présents ?Individualiser les sanctions, c’est la manière qui a permis à d’autres pays européens de juguler le hooliganisme. On cite le modèle anglais en exemple, c’est comme cela qu’ils ont agi dès le début des années 1990, sanctionner les fauteurs de trouble tout en rénovant leurs stades et en augmentant le prix des places. Il ne faut pas faire reposer toute la responsabilité des sanctions sur la commission de discipline de la LFP : elle ne peut prendre des mesures qu’envers les clubs, pas les supporters. Elle est dans son rôle quand elle sanctionne tel ou tel club qui n’aurait pas pris les mesures nécessaires pour éviter les débordements. Mais le cœur de la résolution du problème, ce sont les sanctions individuelles et ce sont aux pouvoirs publics de prendre les choses en main. L’action de la police et de la justice est donc complémentaire de celle de la Ligue. Tout faire reposer sur la commission de discipline de la Ligue reviendrait à n’user que de sanctions collectives, dont les effets pervers sont bien connus.
La répression et la tolérance zéro, comme l’interdiction de déplacement généralisée prônée par certains journalistes et observateurs du football, sont-elles la bonne solution ?Il ne s’agit pas de croire aux solutions miracles, mais de mettre en place une démarche globale : sanctionner les individus quand ils débordent, sanctionner les clubs quand ils ne font pas l’effort organisationnel suffisant, mais aussi assurer du dialogue avec les supporters pour anticiper les problèmes. En 2016, la France a entamé cette démarche, mêlant répression et prévention, pour lutter contre le hooliganisme tout en valorisant le « supporterisme positif » , comme l’ont fait les Allemands. Mais la crise sanitaire et les huis clos ont mis un frein à cette politique, à cette philosophie. À voir si, avec les événements récents, on va revenir à l’idée de la tolérance zéro, qui a prévalu entre 2010 et 2016, avec la généralisation des interdictions de déplacement et les fermetures de tribune, ou rester sur une conciliation entre répression et prévention et maintenir le dialogue et la concertation. Pour les interdictions de déplacement, il ne faut pas être dogmatique, mais pragmatique. Il peut être compréhensible d’interdire un déplacement pour un PSG-OM, car sinon il faudrait mobiliser 3000 policiers, alors que les forces de l’ordre ont d’autres problèmes à traiter. Mais sur des rencontres plus classiques, les autorités doivent être capables d’organiser et encadrer un déplacement de supporters.

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Propos recueillis par Pierre Rondeau

* À cette époque, l'Observatoire de la sécurité de la Ligue et la Direction nationale de lutte contre le hooliganisme avaient noté une augmentation significative des incidents provoqués par les supporters en Ligue 1 de 36,3 % par rapport à la saison 2008-2009.

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