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Neymar et le chant de Bolsonaro
Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, Neymar a une nouvelle fois affiché son soutien à Jair Bolsonaro, le remerciant de sa visite dans l’une de ses fondations. Une énième marque de fidélité au président de la République brésilienne, étiqueté « extrême droite », qui interroge toujours plus sur le rôle des footballeurs auriverdes dans l’échiquier politique local.
Le 17 septembre dernier, Neymar et de nombreux autres compatriotes se distinguaient en affichant leur soutien à Vinícius Júnior, victime d’insultes racistes les jours précédant le derby de Madrid. Ce jeudi, le meneur de jeu de la Seleção a visiblement rangé ses convictions, le temps d’une vidéo de remerciements, adressée à Jair Bolsonaro, en visite à l’Instituto Neymar Jr. La fondation caritative, accueillant quotidiennement près de 3000 enfants issus de quartiers défavorisés de l’État de São Paulo, a ainsi eu le droit à un tour d’honneur du président de la République. « Je vous remercie de votre visite. J’aimerais beaucoup être là, en votre compagnie, mais malheureusement je suis loin », a ainsi salué le joueur du Paris Saint-Germain. Un communiqué classique, qui revêt pourtant une symbolique bien plus importante. Car dans trois jours, le dimanche 2 octobre, commencent les élections présidentielles. De quoi renforcer un peu plus l’ambiguïté entourant les prises de position successives, non seulement de Neymar, mais des footballeurs brésiliens en général.
Valeu, @neymarjr! Tmj! Todos de verde e amarelo, com a camisa da Seleção, pra votar no nosso capitão no próximo domingo!Parabéns pelo trabalho no @InstitutoNJr. ???? pic.twitter.com/ol7jcRwAtk
— Fábio Faria ?????? (@fabiofaria) September 28, 2022
Jair, le manipulateur
Il faut dire que depuis son arrivée au pouvoir, Bolsonaro a fait du football un instrument de protection primordial. Rien de nouveau de la part d’une personnalité politique, mais un impact considérable dans un pays sociologiquement porté sur le ballon. Pour Neymar, rien d’exceptionnel à signaler, là non plus. Parmi les fidèles du président, le numéro 10 semble effectivement être l’un des plus fervents, ne manquant jamais l’occasion de s’afficher aux côtés de celui qu’il cite parfois comme un « mentor ». Et il n’est pas le seul : Ronaldinho, Ronaldo, Dani Alves, Cafu, Rivaldo ou Kaká sont autant de figures ayant publiquement affiché leur soutien au président controversé. Dans une interview accordée à Cara a Tapa, Lucas Moura allait même plus loin : « Je n’ai aucun problème à donner mon opinion à ce sujet. Je suis un conservateur de droite, je suis des principes chrétiens et familiaux. Je ne vois pas de candidat à la présidentielle parfait, mais je ne peux pas nier que Bolsonaro est celui qui se rapproche le plus de ce en quoi je crois. Lula soutient tout ce à quoi je suis opposé… l’idéologie de gauche, le socialisme et même le communisme qui n’est rien d’autre que du nazisme. Soutenir Lula est presque impossible. »
Des mots forts, pour un footballeur encore en activité, mais surtout, des prises de position difficilement compréhensibles, pour ces hommes se revendiquant encore « favelados » et aux valeurs antifascistes – Neymar dénonçait par exemple le silence d’une partie de l’Espagne devant les attaques reçues par Vinícius Júnior – aux antipodes des discours inlassablement prononcés par Bolsonaro. À moins d’une semaine de voir le Carioca rempiler pour un éventuel deuxième mandat, l’opération de communication siglée « NJ10 » ne semble donc aucunement anodine. Bien au contraire.
On suit le mouvement
Du point de vue européen, observer des joueurs noirs ou métis soutenir un politicien d’extrême droite suscite dès lors une multitude d’interrogations. Pourtant, au-delà du simple militantisme, les causes et explications sont nombreuses. Car loin d’être des leaders d’opinion, les sportifs semblent surtout suivre le scénario le plus favorable. D’abord par le prisme « conservateur » évoqué par Lucas. Dans une société brésilienne où, bien que le catholicisme reste la religion première, l’évangélisme prend de plus en plus de place. Les joueurs ne semblent ainsi pas insensibles au discours de leur pieux président, farouche défenseur du mode de vie chrétien : famille et foi. Entre 2016 et 2017, les élections municipales de São Paulo et Rio de Janeiro affichaient ainsi des taux d’adhésion record pour les candidats évangéliques.
Argument suffisant pour satisfaire de nombreux footballeurs, comme les T-shirts « I Belong to Jesus » de Kaká ou le bandana « 100% Jesus » de Neymar, arborés lors de chaque célébration, l’ont longtemps suggéré. Ensuite, par une maîtrise accrue de la communication. Rapprochement avec les classes populaires, langage urbain ou corporel directement « inspiré » des favelas, tous les moyens sont effectivement bons du côté de « Bolso » pour s’attirer les faveurs des futeboleros. À ce titre, seuls Raí (frère de Sócrates, comme une évidence) et Juninho se sont ouvertement opposés à lui.
Cas de conscience
Reste que de nombreux joueurs se sont pris de passion ou se sont simplement reconnus en cet homme en costume noir pas vraiment comme les autres. Cela explique, notamment pour Neymar, des changements de bord politiques selon la tendance. Avant Bolsonaro, il était en effet fréquent de voir celui qui animait alors le FC Barcelone poser avec Lula et louer les valeurs de Michel Temer. Idem sur le sujet de la couleur de peau, sujet ô combien complexe au Brésil. Tiraillés entre une identité culturelle africaine ancrée et ce mode de vie occidental dans lequel ils ont baigné, nombreux sont les joueurs à perdre quelques repères, et à ne pas se sentir inclus dans les polémiques en chaîne déclenchées par Bolsonaro.
Le « syndrome de la bourgeoisie » , comme il est appelé au pays. À titre d’exemple, en 2010, un Neymar encore candide (20 ans) déclarait ainsi : « Je n’ai jamais été victime de racisme. Et puis, ce n’est pas comme si j’étais noir. » Argumentaire que Ronaldo, quant à lui, mettait en lumière longtemps auparavant, en 2005 : « Culturellement, je me sens blanc. Dire que je suis noir serait partiellement faux, car je m’identifie beaucoup plus à la culture européenne. » Un microséisme que le père du Fenomeno avait dû calmer en invoquant « l’ignorance et le manque de discernement » de son fils qui était « évidemment noir, en chair et en os. » Influence, méconnaissance, déni ou simple parti pris, les liens unissant les footballeurs brésiliens à l’extrême droite, personnifiée par Bolsonaro, restent donc aussi complexes que nombreux. Et tant que Neymar jouera son rôle d’outil politique malléable à souhait, la vapeur n’est pas près de s’inverser.
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