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Martin Baudelet : « Je ne savais même pas que Taïwan avait une sélection nationale »

Propos recueillis par Rayane Amarsy
10 minutes

À l’âge de 22 ans, Martin Baudelet a déjà joué au football sur trois continents. En trois ans, ce défenseur central est passé du niveau régional en France à représenter l’équipe nationale de Taïwan (ou Taipei chinois, selon la désignation officielle au niveau international). Dans une semaine qui l’a vu affronter le Turkménistan, le Franco-Taïwanais est revenu sur sa jeune carrière remplies de péripéties.

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Salut Martin. À moins que tu préfères qu’on t’appelle Chien Po-Ting, comme on t’appelle à Taïwan…

(Rires.) Oui, je joue sous mon nom taïwanais avec la sélection. C’est le prénom que mon grand-père m’a donné. Je ne pensais jamais l’utiliser… Après, les gens m’appellent Martin quand je suis avec le groupe. Mais c’est une fierté ! Pour ma grand-mère, ma mère, mes cousins, c’est spécial, ça leur fait chaud au cœur.

En trois ans, tu es passé du championnat régional à Versailles à l’équipe nationale taïwanaise. Ton premier départ a lieu à l’âge de 18 ans, à Montréal au Canada, pour jouer au niveau universitaire. Tu es parti avec quel objectif ?
Je voulais d’abord aller aux États-Unis. Après, il y a eu le Covid, donc je me suis retrouvé au Canada, dans une très bonne université. J’y suis clairement allé pour les études, et le foot, c’était du bonus. Je n’avais pas forcément d’objectif tracé, je n’aspirais pas à devenir professionnel ou quoi que ce soit. Mais en arrivant là-bas, j’ai vu que c’était vraiment un bon niveau, et je me suis dit que je pouvais prendre du plaisir et sérieusement progresser.

 

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Comment tu as été repéré par l’équipe nationale taïwanaise ?
Au bout de trois saisons, j’étais devenu un très bon joueur du championnat universitaire. Je suis donc resté pendant l’été 2024 pour jouer dans un championnat semi-professionnel qui s’appelle la Ligue 1 Québec. Quand j’ai fait cette ligue-là, j’ai explosé. Et en septembre, des Taïwanais arrivent dans mon équipe universitaire. En voyant mon niveau, ils me disent : « Tu sais que tu peux jouer pour l’équipe nationale ? » Ils me filent le contact d’un agent à qui j’envoie des vidéos, et on m’a invité à faire des essais quelques semaines plus tard.

Il faisait 38 degrés, il y avait 90 % d’humidité, et j’avais 12 heures de décalage horaire dans la gueule. Et les joueurs te voient comme un étranger. Ils se disent : “C’est qui ce mec ?”

Martin Baudelet

Tu avais déjà pensé à jouer pour la sélection taïwanaise ?
Moi ? Jamais. C’est un pays de basket, de baseball, de volley-ball, mais pas de football. Je ne savais même pas qu’il y avait une sélection nationale ! Je suis né à Taïwan, et à chaque fois que j’y retournais, mes parents me disaient que j’étais le meilleur joueur de l’île. (Rires.) Alors qu’en fait, pas du tout.

Comment s’est passée cette première sélection ?
J’ai eu de la chance parce que la fédération n’avait pas réussi à trouver de matchs amicaux. Donc le staff a décidé de faire une sorte de détection pendant dix jours, où ils invitent pas mal de joueurs de partout dans le monde comme moi. Mais c’était chaud. En arrivant fin septembre, il faisait 38 degrés, il y avait 90 % d’humidité, et j’avais 12 heures de décalage horaire dans la gueule. Tu t’étires à peine que tu es déjà trempé. Et les joueurs, ils te voient comme un étranger. Ils se disent : « C’est qui ce mec ? » Tu es une concurrence de plus pour eux. En supplément, je ne parle pas super bien chinois. Donc les premiers jours, ce n’était pas facile, mais j’ai quand même montré que j’étais au-dessus des joueurs qui étaient à mon poste.

Tu es l’un des seuls « étrangers », comme tu dis ?
Non, pas du tout. Ils ramènent même des joueurs qui ne sont pas du tout taïwanais, mais qui vont le devenir en deux mois, comme des gars qui sont mariés avec des Taïwanaises par exemple. J’ai un de mes très bons amis qui joue dans la réserve de New York City, et il a juste son grand-père qui est taïwanais, mais il ne parle pas un mot de chinois. Tu as aussi un Ivoirien, un Haïtien, un Salvadorien, un Suédois… ou moi, qui suis considéré comme un Français.

Tu as dû en voir, du pays et des cultures !
Ouais, j’ai pu voir plein de pays où je n’étais jamais allé. J’ai fait le Cambodge, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande ou Hong Kong. Une des raisons pour lesquelles j’adore faire ça, c’est que je peux voyager, mais aussi jouer contre des pays incroyables. Regarde, mardi, on a joué le Turkménistan (défaite 2-1, NDLR). C’est un pays en pleine dictature, complètement coupé du monde. Donc tu joues contre des mecs qui n’ont pas du tout la même vie que toi. Eux, ils ne jouent aucun match amical dis-toi, et pourtant ils sont 143es mondiaux, au-dessus de Hong Kong, Singapour… Des pays qui ont de l’argent. Tu te dis : « Comment c’est possible ? » Je pense qu’ils s’entraînent très, très durement.

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Tu me disais qu’en plus, il n’y avait pas vraiment de matchs amicaux. Chaque rencontre compte pour le classement FIFA, ce qui importe beaucoup pour une nation comme Taïwan.
Oui, et par conséquent, les fédérations en jouent. Par exemple, on a joué le Cambodge en match amical, et ils nous ont mis sur un terrain pitoyable pour s’entraîner. Il y a un peu un jeu comme ça. Le premier entraînement, on était sur un synthétique avec des trous sur le terrain. Même à Singapour, alors que c’est un pays aisé, ils nous ont mis dans un stade ouvert au public et tu vois des gens qui filment, donc tu te demandes si ce ne sont pas des gars du staff adverse qui regardent. Tu ne peux pas bien te préparer pour ton match.

Et plus vous gagnez, mieux vous êtes payés ?
Je vais être honnête avec toi, on n’est quand même pas très bien payés. C’est 40, 50 euros la journée. C’est pas mal, je ne vais pas me plaindre, mais ce n’est pas du tout ce que tu peux avoir à Singapour ou à Hong Kong. Et Hong Kong, on perd à la dernière minute. Singapour ? On les a battus. Pourtant, on n’a pas les mêmes moyens.

Ça a plus de gueule de signer un “Gervinzinho” qu’un Martin Baudelet. Les Brésiliens ont la belle vie en Chine, mais pour le coup, ce n’est pas le joga bonito.

Martin Baudelet

Au niveau géopolitique, Taïwan connaît un contexte très tendu, notamment vis-à-vis de la Chine. Cela vous atteint au sein de la sélection ?
Je trouve que non, cela ne nous atteint pas trop. En fait, il y a beaucoup de joueurs de l’équipe nationale qui jouent en Chine. C’est le cas du capitaine (Po-Liang Chen, milieu du QD West Coast, NDLR). Le gars, c’est une superstar là-bas, c’était l’un des meilleurs joueurs de Super League chinoise. Mais il y a aussi de l’appréhension chez certains. Il y a des joueurs qui sont très fiers d’être taïwanais et qui refusent d’aller en Chine même si le salaire est moins élevé à Taïwan. Il y en a aussi qui ne sont pas forcément pour l’idée d’aller jouer là-bas, mais qui le font quand même parce que financièrement, c’est un eldorado. Mais on n’en parle pas trop parce que ça reste un sujet sensible.

Tu devais justement signer en deuxième division chinoise au Qingdao Red Lions. Mais après avoir fait un mois de présaison avec eux, le transfert a capoté. Pourquoi ?
Parce que chaque équipe en Chine n’a le droit qu’à un joueur taïwanais, hongkongais ou macanais. Les trois régions autonomes, entre guillemets. Et pour être considéré originaire de ces endroits-là, tu dois avoir eu ta première licence de football dans un de ces pays. Sauf que la mienne vient de France. Je ne pouvais pas signer en tant qu’étranger parce qu’ils en avaient déjà signé trois, dont le fils de Rivaldo d’ailleurs, et ce quota-là était rempli. Pendant tout le mois de février, je m’entraînais avec eux et ça se passait super bien. Et finalement, le dernier jour du mercato, ils m’ont dit que mon enregistrement n’était pas passé alors que j’avais signé le contrat. Le lendemain, j’étais de retour à Taipei.

Le fils de Rivaldo, ils l’ont recruté parce que c’est le fils de Rivaldo ou parce que c’est un vrai joueur ?
Malheureusement, je n’ai pas pu jouer avec lui. Après, il a marqué sur penalty lors du premier match de la saison. Mais je pense qu’il y a un peu de cela aussi. Comme ça, Rivaldo peut venir voir les matchs. C’est du marketing aussi finalement. Mais il y a plein de Brésiliens qui jouent en Chine. On a joué un club en amical où les trois étrangers sont des Brésiliens. Ils n’ont pas de traducteurs anglais, mais un traducteur portugais. Ça a plus de gueule de signer un « Gervinzinho » qu’un Martin Baudelet. (Rires.) Ils ont la belle vie, mais pour le coup, ce n’est pas le joga bonito.

Les gens n’étaient pas du tout professionnels. Plus de la moitié de l’équipe fume et boit constamment. Les coachs, ils fumaient avant l’entraînement.

Martin Baudelet

Le monde professionnel, c’était à la hauteur de tes attentes ?
J’avais des attentes élevées, je me disais : « Ça va être un niveau au-dessus de ce que j’ai vu en sélection. » Mais pas du tout en fait. C’était un staff local, pas du tout au niveau d’un club professionnel. Les entraînements étaient super rudimentaires, mais des trucs que tu n’as jamais vus : tu commences la séance, tu t’échauffes et direct t’enchaînes des frappes alors que t’es défenseur central. En revanche, physiquement, tu cours comme à l’armée. Mais les gens n’étaient pas du tout professionnels. Plus de la moitié de l’équipe fume et boit constamment. Les coachs, ils fumaient avant l’entraînement. On finit l’entraînement et ils s’en allument une autre. Tu te dis : « Mais on est où ? » Et après, je vais prendre un café dans la ville et je croise un joueur censé être expérimenté qui s’enfile cinq, six cigarettes d’affilée. Je le regarde et je me dis : « C’est quoi ce délire ? »

On entend beaucoup parler d’histoires d’arrangements informels à propos du football en Chine. Tu en as été témoin ?
Personnellement, non. Mais j’ai entendu dire qu’il y a énormément de mecs qui parient. On m’a aussi raconté l’histoire d’un coach qui travaillait en Chine, et l’un des dirigeants de son club est venu le voir et lui a dit : « L’équipe adverse offre trois iPhones à l’arbitre. T’es prêt à lui offrir quoi pour le match ? » C’est plein de trucs comme ça, c’est dingue !

Malgré tout ça, tu as envie de continuer à jouer en Asie ?

Mon CV, il est asiatique, donc si je vais en Europe, ce serait dans des divisions inférieures. Et financièrement, c’est plus compliqué. Mais à Taïwan, ça ne m’intéresse pas de jouer professionnel pour l’instant. Aujourd’hui, je veux engranger de l’expérience dans d’autres pays. Donc comme championnat intéressant, il y a la Chine, la Thaïlande, le Vietnam ou même l’Indonésie. En deuxième division chinoise, tu as quand même cinq, six clubs qui sont hyper bien structurés. Tous ne sont pas comme celui où j’étais. Après, tu as le Japon et la Corée du Sud, mais eux, je ne les compte pas. Je les considère presque comme des gros championnats européens tellement c’est bien.

C’est quoi la suite pour toi ?
Il me reste encore un an d’éligibilité pour jouer au football universitaire, donc j’irai peut-être aux États-Unis, en NCAA D1. Et après, si la situation se débloque en Chine, dans un bon cadre, pourquoi pas ? En tout cas, tout ça m’est un peu tombé dessus, et j’ai envie de continuer, parce que forcément, je suis piqué, j’ai goûté et j’ai envie de bien manger maintenant. Mais à un moment, si ça ne marche pas, il faudra être réaliste. C’est un métier passion, et pour l’instant, j’ai envie de faire ça, c’est tout.

Où est le suspense en Europe ?

Propos recueillis par Rayane Amarsy

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